Rater le bateau? Le coût du report du sommet maritime de Lomé

Alors que la spéculation abonde à propos du pourquoi le sommet de novembre a été reporté, les pirates continuent à opérer dans les eaux africaines.

Alors que le monde maritime comptait se retrouver au début du mois de novembre à Lomé au Togo pour un sommet sur la sécurité, la sûreté et le développement, le gouvernement togolais annonce son annulation juste deux semaines avant. De nouvelles dates ne sont pas disponibles, et la raison officielle avancée est le manque d’infrastructures pour abriter  les travaux et accueillir les participants.  

Lomé n’était pas une conférence internationale de plus puisque l’événement devrait se terminer par un sommet extraordinaire des chefs d’Etat de l’Union africaine (UA).

Pourquoi alors cette annulation brusque, et quelles opportunités pourrait-elle faire perdre en termes d’amélioration de la sûreté maritime?

Les personnes proches de l’organisation du sommet confirment la raison évoquée dans le communiqué officiel. Elles s’appuient sur les conclusions d’un audit estimant que sur les 160 hôtels répertoriés comme pouvant loger les 5000 participants attendus, seuls 23 répondent aux normes de l’hôtellerie. Celles-ci mettent aussi en avant le retard accusé dans la rénovation de l’hôtel du « 2 février » - un édifice de 35 étages sensé abriter les travaux du sommet.

Tout le monde ne partage pas cet argument. Certains estiment que le Togo a souhaité organiser le sommet maritime pour accroître ses chances d’abriter le Centre régional de sécurité maritime de l’Afrique de l’Ouest (CRESMAO). Aussi, après la désignation de la Côte d’Ivoire comme pays hôte du CRESMAO les autorités togolaises ont-elles perdu leur motivation initiale.

D’autres observateurs trouvent des raisons politiques au report du sommet. Pour eux, des bailleurs de fonds ne souhaitent pas aider l’UA tant que le président zimbabwéen Robert Mugabe sera à la tête de l’institution, et demandent que l’événement ait lieu après la fin de son mandat prévue pour fin janvier 2016. Cette tendance estime que des problèmes d’infrastructures n’ont jamais empêché le Togo d’abriter de grandes rencontres. Elle cite pour exemple la foire internationale que le pays a récemment organisé en coopération avec l’Union économique et monétaire ouest-africaine, et qui a accueilli des milliers de visiteurs par jour.

Pendant ce temps les pirates et autres malfaiteurs continuent d’opérer dans les eaux africaines. Le golfe de Guinée après une trêve de quelques mois renoue avec les actes de piraterie. L’attaque la plus récente remonte au 26 novembre au large du Nigeria contre le Szafir qui bat pavillon chypriote et appartient à des intérêts polonais. Le commandant du navire et quatre membres d’équipage furent pris en otage.

Même les côtes somaliennes qui semblaient sécurisées grâce aux gardes armés embarqués sur les navires et aux moyens navals déployés par des puissances étrangères, font l’objet de nouvelles attaques. Après environ trois ans sans actes de piraterie il est rapporté que trois navires de pêche iraniens furent piratés et leurs marins pris en otage en 2015. Le dernier de ces incidents est survenu le 22 novembre sur le chalutier Muhammidi ayant à son bord 15 marins. Les Iraniens ont dû utiliser la force en tuant au moins 4 pirates pour libérer leurs compatriotes.

En plus de la piraterie, les eaux du continent demeurent le théâtre de nombreuses activités illicites. On y déplore notamment le vol de pétrole, le trafic de migrants clandestins, la pêche illicite, les trafics de drogue, d’armes, d’êtres humains et de marchandises de contrefaçon.

Devant ces menaces, le report brusque de la conférence de Lomé appelle une interrogation ; celle de savoir si la volonté politique en faveur de la sûreté maritime en Afrique ne s’est pas émoussée depuis le sommet historique de Yaoundé de 2013.

La question est d’autant plus pertinente que plusieurs importantes rencontres africaines sur la sûreté maritime sont reportées voire annulées depuis le sommet de 2013. L’année dernière, par exemple, le lancement d’un programme dénommé « couper la piraterie à la racine » initié par l’Organisation maritime des Etats de l’Afrique de l’ouest et du centre qui regroupe 25 pays fut reporté pour raison d’Ébola, et ensuite annulé cette année sans raison officielle. Plus récemment, un symposium attendu depuis 2013 et qui devait se tenir en novembre au Cap en Afrique du Sud sur la sûreté et la sécurité côtières fut annulé au dernier moment.

La conférence de Lomé était sensée faire le point des progrès réalisés dans la mise en œuvre des mesures régionales de lutte contre les actes illicites en mer. Elle se pencherait notamment sur les codes de conduite de Djibouti de 2009 et de Yaoundé de 2013 qui furent adoptés principalement pour faire face à la piraterie sur les côtes somaliennes et dans le golfe de Guinée. Les chefs d’Etat de l’Afrique de l’ouest et du centre avaient convenu que le code de conduite de Yaoundé deviendrait contraignant à partir de juin 2016, soit trois ans après son entrée en vigueur. Lomé devrait par conséquent être une étape décisive avant la prochaine réunion sur ce code.

Le sommet permettrait aussi aux dirigeants du continent de prendre des décisions sur les questions débattues à la réunion ministérielle de l’Union africaine tenue à Victoria, aux Seychelles en février 2014 sur la sûreté et la sécurité maritimes. Il serait surtout le lieu pour définir une position africaine sur l’épineuse question des flux migratoires vers l’Europe qui occasionnent chaque année des centaines de morts par noyade en mer méditerranée.

L’événement allait également débattre de questions de développement en général, conformément à la stratégie africaine intégrée pour les mers et les océans à l’horizon 2050 adoptée en janvier 2014. Comme le soutient Robert Dussey, ministre togolais des affaires étrangères, la conférence de Lomé allait contribuer à « faire de l’espace maritime le levier principal du développement économique et social de l’Afrique ».

La sûreté et le développement maritimes sont vitaux pour la croissance économique de l’Afrique. Cependant, il faut garder à l’esprit qu’« on ne ruse pas avec la sûreté maritime ». Aussi, au lieu de devenir une source de spéculations politiciennes, le sommet devrait-il constituer une priorité majeure afin d’éviter plus de pertes d’opportunités. Il est seulement à espérer qu’il se tienne effectivement en mars 2016 comme l’annonce la rumeur.

Barthélemy Blédé, chercheur principal, Gestion des conflits et consolidation de la paix, ISS Dakar

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