Quelle stratégie commune pour l’UA et l’ONU au Soudan ?

Les mois à venir offriront une occasion unique pour la stabilisation du Soudan - il ne faut pas la laisser passer.

Les événements récents concernant le transfert du pouvoir politique au Soudan illustrent l’importance d’un renforcement du partenariat stratégique entre l’Union africaine (UA) et l’Organisation des Nations unies (ONU), particulièrement au niveau de leurs organes respectifs dédiés aux questions de paix et de sécurité. Des désaccords entre les conseils de sécurité des deux organisations mettent à jour des lignes de fracture dans leurs efforts de stabilisation au Soudan.

Le 5 juillet, un accord préliminaire - quelque peu précaire - de partage du pouvoir a été conclu entre le Conseil militaire de transition du Soudan et les responsables civils du pays. Le Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU) et le Conseil de paix et de sécurité de l’UA (CPS) se trouvent désormais devant une rare occasion d’élaborer une stratégie commune pour soutenir la population soudanaise. Les deux organes disposent de points d’entrée politiques distincts et œuvrent pour différents aspects de la stabilité au Soudan.

La signature de cet accord provisoire a en partie été rendue possible par les efforts de médiation de l’UA, sous l’impulsion du Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed Ali. Elle intervient suite à des mois de tensions marqués par une forte agitation civile, un coup d’État, des atrocités perpétrées par les Forces de soutien rapide (FSR) contre des civils, ainsi qu’une rupture communicationnelle et de confiance entre les manifestants civils et la junte militaire.

Durant la crise récente, le CPS a fait preuve de réactivité face à l’évolution de la situation sur le terrain. Depuis le 19 avril, l’organe a adopté quatre communiqués condamnant les agissements du Conseil militaire de transition et demandant à ce que le pouvoir soit confié à une instance politique de transition dirigée par des civils.

Des désaccords entre les deux conseils de sécurité exposent des failles dans leurs efforts de stabilisation

Le 6 juin, le Soudan a été suspendu de toutes les activités de l’UA. La crédibilité de l’organisation panafricaine s’est vue renforcée par le rejet, de la part du CPS, d’un décret du Conseil militaire de transition demandant à l’Opération hybride de l'Union Africaine et des Nations Unies au Darfour (MINUAD) de transférer ses ressources aux FSR.

Il est important de noter que les trois pays africains (A3) occupant un siège non permanent au Conseil de sécurité des Nations unies ont tous soutenu les positions du CPS. Par ailleurs, le 6 juin, les trois pays ont organisé une conférence de presse conjointe au cours de laquelle a été émise une déclaration très ferme au sujet du Soudan. Une telle déclaration, à l’encontre d’un pays spécifique, est très rare. Au vu des liens institutionnels historiques plutôt faibles entre l’A3 et le CPS, cette approche collective est encourageante.

Toutefois, de nombreuses lignes de fracture sont apparues entre le CSNU et le CPS depuis le mois d’avril, témoignant de la nécessité d’une coopération plus conséquente. L'un des principaux défis réside dans la vision que portent les deux organes sur le retrait prévu de la MINUAD dans le contexte de la crise politique qui secoue actuellement le Soudan. La position du A3 reflète en grande partie celle d’autres membres du CSNU, notamment les États-Unis, la France et le Royaume-Uni. La Russie et la Chine ont cependant un point de vue divergent, en accord avec leur modus operandi de non-ingérence dans les affaires intérieures d’autres États membres.

La position ferme du A3 concernant la MINUAD a poussé les États membres du CSNU à atteindre un compromis et à adapter leur position à celle du CPS. Des affaires récemment traitées par les deux conseils, le rôle de relais que joue l’A3 est le plus évident durant la crise soudanaise.

Un défi majeur reste le retrait prévu de la MINUAD dans le contexte de la crise politique actuelle

Les divisions au sein du CSNU sont apparues dans les négociations qui ont abouti au renouvellement, le 27 juin, du mandat de la MINUAD. Les compromis qui ont dû être consentis transparaissent clairement dans la résolution 2479 (2019), qui proroge de quatre mois le mandat de la MINUAD, alors que la pratique habituelle du Conseil est d’adopter des prorogations d’un an. Néanmoins, l’adoption de cette résolution témoigne du consensus, certes fragile, selon lequel la fragilité et l’instabilité de la situation politique au Soudan nécessiteraient une pause dans le processus de retrait de la MINUAD.

Un autre défi avec lequel doivent composer le CSNU et le CPS concerne l’influence de certains États ayant des intérêts politiques au Soudan ainsi que l’issue du processus de paix.

Depuis avril, les efforts de médiation du CPS d’un côté et de l’UA et de l’Éthiopie de l’autre semblent avoir été minés par la tenue du Sommet consultatif des partenaires régionaux du Soudan, qui a eu lieu au Caire. Cette rencontre visait à prolonger le délai accordé au Conseil militaire de transition pour céder le pouvoir à une autorité civile. Dans de tels cas, les États doivent également être considérés comme des contrevenants potentiels à l’accord provisoire du 5 juillet.

Les mois à venir offriront une occasion unique de remédier à l’instabilité qui plombe le Soudan. La résolution 2479 demande au Secrétaire général des Nations unies et à la Commission de l’UA de soumettre au CSNU, d’ici le 30 septembre, une stratégie politique commune UA-ONU concernant le déploiement d’un dispositif qui succéderait à la MINUAD.

Des affaires récemment traitées par les deux conseils, le rôle de relais de l’A3 est le plus évident pour le Soudan

Cette stratégie devrait tenir compte des impacts de l’instabilité persistante à Khartoum et de la façon dont le gouvernement de transition renouera avec le processus de paix au Darfour. Les dispositions de l’accord du 5 juillet sont également pertinentes. Elles prévoient la mise en place d’un conseil souverain conjoint, dirigé pendant 21 mois par un haut responsable militaire puis pendant 18 mois par un responsable civil. Des élections démocratiques devront ensuite être tenues.

Une fois que l’accord provisoire sera accepté par les parties en conflit, les deux conseils devront s’assurer de sa bonne exécution. Ils devront également veiller à ce que le Conseil militaire de transition ne revienne pas sur son engagement de transférer le pouvoir à des dirigeants civils d’ici janvier 2021.

Résoudre ces problèmes ne sera pas chose facile, mais les chances de succès seront d’autant plus élevées si le CSNU et le CPS travaillent ensemble. Il est d’ores et déjà évident que lorsque le CPS se montre ferme sur un principe, l’A3 est mieux à même de servir de relais entre les deux conseils et de promouvoir une meilleure cohérence institutionnelle.

La prochaine visite d’une délégation du CSNU au CPS à Addis-Abeba, prévue au mois d’octobre, présente une occasion précieuse de renforcer les relations de travail entre les deux organes et de surmonter les défis causés par les inégalités de pouvoir qui les caractérisent. Le cas du Soudan offre aux deux organisations une opportunité unique d’harmoniser leurs efforts, sur la base d’une compréhension mutuelle quant à la meilleure démarche pour gérer la crise. Une telle opportunité ne doit pas être manquée, et surtout pas par les acteurs multilatéraux impliqués.

Priyal Singh, Chercheur, ISS Prétoria et Daniel Forti, Analyste Politique, International Peace Institute

Cet article est publié grâce au programme Training for Peace (TfP), une initiative financée par le gouvernement de la Norvège. Il s’inscrit dans une série de publications portant sur le partenariat ONU-UA dans le domaine de la paix et de la sécurité, dans le cadre d’un projet commun entre l’Institut d’études de sécurité et l’International Peace Institute (IPI). Une version de cet article sera également publiée sur le site Internet du Global Observatory de l’IPI.

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Crédit photo : Alaa Salah/Twitter

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