Quelle solution à la recrudescence de la piraterie dans le golfe de Guinée?

Des stratégies de lutte contre la piraterie existent, mais les pays doivent éviter les pièges qui gênent leur mise en œuvre.

« Déjà principale zone de piraterie maritime en Afrique depuis 2011, le golfe de Guinée pourrait bientôt en devenir la première place mondiale, si l’on n’y prend garde ». Ce constat ressort des analyses des experts américains et africains, lesquels ont dépeint un tableau peu reluisant de la sûreté maritime en Afrique lors d’un atelier organisé du 14 au 17 février 2017 par le Centre africain d’études stratégiques à Abidjan.

En effet, le golfe de Guinée a connu un regain de violence en mer en 2016, alors que cette dernière reculait de façon notable au niveau mondial avec 191 attaques et tentatives d’attaques de navires, le niveau le plus bas depuis 1998  (203 incidents). Le Bureau maritime international (BMI) y a dénombré 55 incidents de piraterie dont 36 pour le Nigeria. En outre, plus de la moitié des cas d’enlèvements de marins y ont été enregistrés en 2016, avec 34 personnes enlevées sur un total de 62 au niveau mondial.

À l’opposé et à titre de comparaison, d’énormes progrès ont été réalisés en Asie du Sud-Est, notamment en Indonésie où les attaques des navires sont passées de 108 en 2015, à 49 en 2016, soit une baisse de 55 %.

L’année 2017 ne commence pas sous de meilleurs auspices, le golfe de Guinée ayant déjà fait l’objet en seulement deux mois d’au moins cinq attaques de navires – deux en Sierra Leone et trois au Nigeria. L’un de ces incidents - l’attaque du 5 février dans le delta du Niger du navire cargo BBC Caribbean appartenant à la compagnie allemande Briese Schiffahrts - s’est soldé par l’enlèvement de sept Russes et d’un Ukrainien. À ce jour, les huit marins seraient encore en otages au Nigeria.

On pouvait pourtant légitimement penser que le golfe de Guinée sortait progressivement des zones à risque maritime au regard de la baisse régulière des attaques de navires entre 2013 et 2015. Selon les statistiques du BMI, les attaques des navires dans la région estimées à 52 en 2013, ont diminué de 21 % en 2014 (41 attaques), puis de 24 % par rapport à 2015 où leur nombre s’élevait à 31. 

Ceci pouvait être vu comme le résultat d’initiatives communes prises par plusieurs pays de la zone dont le Nigeria, puissance économique régionale où les  criminels maritimes sont les plus actifs. Le président nigérian Muhammadu Buhari, à sa prise de pouvoir en 2015, avait déclaré la guerre à la criminalité en général et placé la situation du delta du Niger et la piraterie en mer parmi ses urgences.

Buhari a maintenu le programme d’amnistie instauré par le défunt président Umaru Musa Yar’Adua en 2009 et reconduit par l’ex-président Goodluck Jonathan, malgré les critiques qui le considèrent comme une prime à la violence. Le Nigeria a aussi renforcé la puissance de feu de sa marine nationale qui n’hésite pas à tirer sur  les pirates.

Dans leur lutte contre les vols du pétrole des oléoducs et des navires pétroliers détournés dans le golfe de Guinée, les forces armées nigérianes détruisent les raffineries de pétrole illégalement installées et traquent leurs propriétaires. Le président Buhari a également remplacé les anciens dirigeants du secteur pétrolier et engagé des poursuites contre les autorités soupçonnées d’être impliquées dans ces vols, dont l’ancienne ministre du pétrole Diezani Alison-Madueke arrêtée à Londres le 2 octobre 2015.

En outre, la Communauté économique des États de l’Afrique centrale, le 29 octobre 2009, la Commission du Golfe de Guinée, le 10 août 2013, et la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest, le 29 mars 2014, ont adopté des stratégies maritimes régionales. Les trois organisations régionales ont signé un mémorandum d'entente en juin 2013 par lequel elles ont créé un centre interrégional de coordination (CIC) à Yaoundé, au Cameroun. Le CIC doit coopérer avec les centres régionaux de coordination de sécurité maritime établis à Pointe-Noire, au Congo, pour l’Afrique centrale, et à Abidjan pour l’Afrique de l’Ouest.

Au niveau continental, le 15 octobre 2016, l’Union africaine s’est dotée, en plus de la Stratégie africaine intégrée des mers et des océans Horizon 2050, d’un traité sur la sécurité et la sûreté maritimes et le développement dit « Charte de Lomé ». Celui-ci est censé permettre de venir à bout de la criminalité maritime en Afrique et particulièrement dans le golfe de Guinée.

Toutes ces initiatives n’ont cependant pas empêché le golfe d’enregistrer un nombre élevé d’actes de piraterie en 2016. L’une des solutions proposées par les experts pour changer la donne est la mise en œuvre efficiente des stratégies maritimes nationales et de créer une synergie entre elles et celles adoptées aux niveaux régional et continental.

Selon les analystes, pour être efficaces, les stratégies maritimes doivent être conçues en associant tous les acteurs concernés afin de mieux prendre en compte leurs différents intérêts. Le triptyque conseillé pour avoir de bonnes stratégies maritimes en Afrique est « Coordination-collaboration-coopération ».

L’un des intervenants, le Dr. Mathurin Houngnipko, un Américain d’origine béninoise, a utilisé, pour illustrer cette recommandation, l’image d’une main. Celle-ci fonctionne de façon optimale avec ses cinq doigts de tailles différentes, mais qui jouent chacun un rôle spécifique. Un doigt manquant ou malade perturbe forcement le fonctionnement normal de la main entière, et même le pouce, malgré sa grosseur, n’y peut rien. Il en est de même pour les parties prenantes d’une stratégie maritime nationale qui ont chacune leur importance. La marine nationale (le pouce), nonobstant sa force et sa place prépondérante dans cette stratégie, ne parviendra pas seule à faire face de façon durable à l’insécurité maritime. La contribution des autres acteurs comme la police maritime, les ports, le service des pêches et le service de l’environnement ne doit pas être négligée.  

Le Nigéria et ses voisins devraient revoir rapidement la mise en œuvre de leurs stratégies maritimes afin qu’elles interagissent les unes avec les autres. Les acteurs concernés doivent aussi comprendre l’importance du rôle de chacun si on veut voir disparaître le golfe de Guinée de la liste des zones maritimes à risque d'Afrique et du monde.

Barthélemy Blédé, chercheur principal, Division Opérations de paix et consolidation de la paix , ISS Dakar

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