Pourquoi l’Égypte cherche à affirmer son rôle en Afrique ?

Sous l’égide d’al-Sissi, qui occupe actuellement la présidence tournante de l’UA, l’Égypte est en passe de s’impliquer dans certains conflits régionaux, notamment au Soudan et en Libye.

L’Égypte fait beaucoup parler d’elle ces derniers temps et principalement pour de mauvaises raisons. Cette semaine, Mohamed Morsi, que l’actuel président Abdel Fattah al-Sissi a renversé à la faveur d’un coup d’État en juillet 2013, est subitement mort en plein tribunal au cours d’une de ses interminables comparutions pour une série d’accusations douteuses.

La cause de son décès reste à définir, mais l’ONG Human Rights Watch reproche au gouvernement égyptien d’avoir privé le dirigeant des Frères musulmans, âgé de 67 ans, de soins de santé adéquats tout au long des six années qu’il a passées en prison. Le Caire dément fermement ces accusations.

L’Égypte s’est également réengagée dans certains conflits régionaux, comme au Soudan et en Libye. D’après Emily Hawthorne, analyste pour la plateforme de renseignement géopolitique Stratfor, « la volonté [du Caire] de s’impliquer dans les questions régionales varie en fonction de la stabilité du pays. Aujourd’hui, après les années de chaos politique qui ont suivi le printemps arabe et le retour des militaires au pouvoir, la politique intérieure de l’Égypte s’est stabilisée. »

Al-Sissi s’est rapproché de pays tels que l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, dont l’implication en Afrique est de plus en plus affirmée

Cette stabilité, acquise au prix d’une forte répression à l’encontre de Morsi et des Frères musulmans, n’est toutefois pas totale, car la menace de l’extrémisme violent persiste dans le Sinaï. Le gouvernement égyptien semble néanmoins se sentir suffisamment solide pour assumer à nouveau un rôle actif dans la région.

L’Égypte est ainsi soupçonnée — tout comme certains États du Golfe, tels que l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis (EAU), mais aussi la Russie et dans une moindre mesure la France — de fournir un appui militaire au général libyen dissident Khalifa Haftar dans sa tentative de conquérir Tripoli, où siège le gouvernement soutenu par l’ONU.

L’Égypte, ainsi que les États du Golfe précédemment cités, soutient par ailleurs le Conseil militaire de transition (CMT) de Khartoum, actuellement en difficulté. Après avoir contribué à la destitution d’Omar el-Béchir le 11 avril dernier, le CMT, toujours à la tête du pays, fait face à une forte pression nationale et une pression croissante de la communauté internationale pour transférer le pouvoir à une autorité civile de transition.

Quelle est la stratégie de l'Égypte ? S’agit-il simplement d’un soutien mutuel entre chefs militaires ? S’agit-il d’une aversion viscérale pour tout ce qui évoque le fondamentalisme islamique ou simplement l’islamisme, peu importe où il se manifeste dans la région ? Y aurait-il un autre enjeu ?

De manière plus large, l’Égypte a provoqué l’agacement de l’ONU et de la communauté internationale en soutenant Haftar

Il est évident qu’al-Sissi s’intéresse davantage à l’Afrique que son prédécesseur Hosni Moubarak, qui a lui aussi été renversé. Mais le président égyptien s’est également récemment rapproché de pays tels que l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, dont l’implication en Afrique est de plus en plus affirmée, suggérant la mise en place d’une stratégie plus large.

Un analyste du renseignement originaire d’un pays occidental et ayant exigé l’anonymat estime que même si leurs intérêts peuvent parfois coïncider, il n’est pas forcément judicieux de mettre Le Caire dans le même sac que l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis. Il affirme qu’al-Sissi soutient surtout le CMT et Haftar pour protéger les frontières de l’Égypte contre les terroristes islamistes opérant depuis le Soudan et la Libye.

Il note que l’année dernière, Haftar a capturé l’un des individus les plus recherchés par les autorités égyptiennes, Hisham al-Ashmawy, en Libye et qu’il l’a livré au Caire le mois dernier. D’autres terroristes opèrent toujours à la frontière entre la Libye et l’Égypte. Il souligne également que des groupes djihadistes comme Liwa al-Thawra, que l’Égypte suspecte être rattaché aux Frères musulmans, lancent également des attaques en Égypte depuis le Soudan.

En revanche, l’analyste avance que l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis sont également impliqués en Libye et au Soudan dans le cadre d’efforts plus larges de lutte contre le terrorisme islamiste — du moins selon leur définition de ce concept — à travers le Moyen-Orient, parallèlement à leurs rivaux régionaux, notamment l’Iran et la Turquie.

Al-Sissi profite de son passage à la présidence tournante de l’UA pour tempérer la position antimilitariste du CPS

Ainsi, des membres des Forces de soutien rapide (FSR) soudanaises — plus connues sous leur ancien nom de milices janjaweed du temps où elles terrorisaient les populations du Darfour, et tristement célèbres depuis les violences qu’elles ont perpétrées à Khartoum le 3 juin dernier contre les manifestants pacifiques — aident l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis à combattre les milices chiites Houthi au Yémen qui bénéficient du soutien de l’Iran. Les États du Golfe craignent probablement qu’un gouvernement civil au Soudan mène une politique étrangère beaucoup moins agressive.

Al-Sissi pourrait avoir une autre raison de soutenir la junte militaire au Soudan, compte tenu du fait que le médiateur dans le conflit qui oppose les généraux aux manifestants civils n’est tout autre que le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed. En effet, l’Éthiopie est le rival traditionnel de l’Égypte dans la région. Cette rivalité s’est intensifiée depuis que l’Éthiopie a lancé les travaux de construction du barrage de la Grande renaissance éthiopienne sur le Nil bleu. Le Caire craint que ce projet épuise sa principale ressource en eau.

Cependant, Abiy représente au moins officieusement l'UA — ainsi que plus officiellement l'Autorité intergouvernementale pour le développement — dans son processus de médiation au Soudan. Le Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’UA s’est clairement rangé du côté des manifestants civils, suspendant le Soudan des instances de l’organisation panafricaine et menaçant d’imposer de nouvelles sanctions si le CMT n’a pas cédé le pouvoir à une autorité civile transitoire d’ici le 30 juin.

Al-Sissi profite de son passage à la présidence tournante de l’UA pour tempérer la position antimilitariste du CPS. L’Égypte a appuyé le CMT dès son émergence en s’opposant à la suspension du Soudan lors de la première réunion du CPS sur la situation au Soudan. Il est probable qu'al-Sissi continue sur cette voie, bien que la répression brutale des manifestants pacifiques par l'armée soudanaise le 3 juin lui complique la tâche.

Ce n’est pas la première fois que le CPS de l’UA prend les devants par rapport aux dirigeants de l’organisation panafricaine au sujet de conflits continentaux. En 2015, l’organe a ainsi été jusqu’à réclamer une intervention militaire de l’UA au Burundi. Au vu de cet exemple, il ne serait donc pas surprenant que les chefs d’État et de gouvernement de l’UA adoptent également une approche moins tranchée à l’égard du Soudan.

De manière plus large, l’Égypte a également provoqué l’agacement des Nations unies (ONU) et de la communauté internationale en soutenant Haftar, bien que le président américain Donald Trump ait exprimé son soutien sans réserve à al-Sissi, et donc à Haftar, en raison de leur ferme position anti-djihadiste. Les soutiens russe et français à Haftar pourraient constituer un obstacle supplémentaire à toute action du Conseil de sécurité de l’ONU.

L’Égypte bénéficie du soutien des principales puissances internationales et jouit d’une position géopolitique stratégique grâce au canal de Suez, au Nil et à son accès à la mer Rouge et à la Méditerranée. Avec le soutien militaire et financier de nations telles que l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, al-Sissi estime probablement être doté de suffisamment de pouvoir de négociation pour faire face à toute opposition concernant à la fois sa posture plus affirmée sur le plan régional et ses politiques répressives sur le plan domestique. Les deux semblent malheureusement aller de pair.

Peter Fabricius, consultant de l’ISS

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