Pour sa sécurité, l’Afrique australe doit activer sa stratégie de lutte contre le crime organisé
Traite des êtres humains et criminalité financière ont atteint des niveaux tels qu’il est urgent d’améliorer les contrôles et la coopération régionale.
La criminalité organisée dans la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) semble s’aggraver. La porosité des frontières, la mauvaise gouvernance et les lacunes en matière de développement exposent la région à des activités telles que le trafic de drogue, la contrebande d’armes, la traite d’êtres humains, le trafic d’animaux sauvages, et la criminalité financière.
L’instabilité politique, la faiblesse des services publics et la marginalisation socioéconomique constituent un terrain fertile pour les groupes extrémistes. La criminalité organisée et le terrorisme vont de pair, car ces groupes partagent des tactiques similaires telles que l’appropriation de ressources et de financements locaux, et profitent mutuellement de leurs activités et réseaux illicites. L’émergence des menaces terroristes dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC) et dans le nord du Mozambique suscite des inquiétudes majeures et provoquent de graves crises humanitaires.
Communauté de développement d'Afrique australe Source : ISS (cliquez sur la carte pour l'image en taille réelle)
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Les dernières données de l’Indice mondial de la criminalité organisée révèlent que trois pays africains notamment le Nigeria, la RDC et l’Afrique du Sud, sont parmi les plus touchés dans le monde par la criminalité organisée. Deux de ces pays font partie de la SADC. L’Indice évalue à la fois la criminalité au sein des 193 États membres des Nations Unies (ONU) (marchés et acteurs criminels) et leur capacité à résister aux activités de criminalité organisée ou à les contrer.
Après le Nigeria, la RDC et l’Afrique du Sud sont les pays africains les « mieux » classés en matière de criminalité. Entre 2021 et 2023, l’Afrique du Sud est montée dans le classement, passant de la 19e place sur 193 pays à la 7e place au niveau mondial. La RDC, quant à elle, est passée de la première place en 2021 à la 5e place cette année.
Les pays de la SADC font face à des sérieux défis de prévention, d’enquête et de poursuites contre le crime organisé
Selon l’Indice, les activités criminelles les plus répandues au sein de la SADC sont la traite des êtres humains, les crimes financiers et le trafic d’armes. En 2022, lors d’une réunion des chefs de police d’Afrique australe, il a été révélé que les délits financiers représentaient 43 % des délits signalés dans la région, entraînant la perte de milliards pour les pays concernés.
L’Initiative mondiale contre la criminalité transnationale organisée estime qu’environ 3,8 millions d’armes à feu illégales non répertoriées circulent actuellement au Mozambique, en Afrique du Sud et au Zimbabwe. Le taux élevé de trafic d’armes dans la région est principalement dû aux conflits armés anciens et en cours. En outre, la porosité des frontières facilite la circulation illicite d’armes, des personnes et de marchandises.
Un rapport conjoint sur la traite des êtres humains publié en 2016 par l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime et la SADC a révélé qu’entre 2014 et 2016, environ 1217 victimes avaient été officiellement recensées au sein de la SADC. Mais ce chiffre pourrait ne représenter qu’une fraction des cas réels, car de nombreuses affaires ne font pas l’objet de signalement. Le travail forcé et l’exploitation sexuelle sont les formes les plus courantes de ce crime, avec une moyenne de 66 % et 23 % des affaires, respectivement.
En ce qui concerne la résilience face à la criminalité organisée, l’Afrique affiche le score le plus bas de toutes les régions du monde. L’Indice mondial de la criminalité organisée évalue la résilience en fonction du type des mesures prises pour contrer les crimes et de leur efficacité. Les principaux indicateurs de résilience en Afrique sont la coopération internationale, les politiques et lois nationales et l’intégrité territoriale.
En 2021, le GAFI a identifié des insuffisances dans la lutte anti-blanchiment en Afrique du Sud, RDC, Tanzanie et Seychelles
Malgré la faible capacité globale de l’Afrique à lutter contre la criminalité organisée, certains pays de la SADC tels que le Botswana, les Seychelles, le Malawi et la Namibie affichent des résultats relativement élevés en termes de résilience. Cela pourrait s’expliquer par le fait que les 16 États membres de la SADC ont tous ratifié la Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée.
En revanche, les pays d’Afrique australe sont confrontés à des défis majeurs en matière de prévention, d’enquête et de poursuites dans les affaires de criminalité organisée. Parmi ces défis figurent la faiblesse des capacités institutionnelles, la corruption et le manque de volonté politique.
Par exemple, la mise en œuvre du Protocole de la SADC contre la Corruption (2001) et de son Protocole sur l’Exploitation minière (2006) a été lente, peut-être en raison d’un manque de volonté ou de capacité politique. Lors d’événements récents à Dar es Salaam et à Lusaka sur la criminalité financière, l’exploitation minière illicite et les explosifs au sein de la SADC, des experts ont déploré que ces protocoles essentiels ne soient pas mis en pratique. La collaboration et la coopération régionale sont vitales, ont-ils déclaré.
Plus récemment, la Stratégie de lutte contre la criminalité transnationale organisée de la SADC, préparée et élaborée en collaboration avec le projet ENACT de lutte contre la criminalité transnationale organisée de l’Institut d’études de sécurité, a été adoptée par tous les États membres. La stratégie est en cours de mise en œuvre et les retours d’information des États membres de la SADC sont attendus ce mois-ci.
Le groupe anti-blanchiment d’Afrique de l’Est et australe pourrait aider les pays à se conformer aux propositions du GAFI
En 2021, le Groupe d’action financière (GAFI) a identifié des lacunes dans la capacité de l’Afrique du Sud, de la RDC, de la Tanzanie et des Seychelles à lutter contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, les plaçant sur sa liste grise. Ces problèmes incluaient une tenue inadéquate des registres et la corruption.
Le GAFI a récemment retiré le Botswana, Maurice et le Zimbabwe de sa liste grise après que ces pays se sont conformés à ses recommandations. Le Botswana y figurait depuis trois ans, Maurice et le Zimbabwe depuis deux ans. La Namibie a été mise en demeure et fera l’objet d’un réexamen en février 2024 si elle n’est pas déclarée conforme aux recommandations du GAFI d’ici la fin du mois d’octobre.
L’Afrique du Sud, la Tanzanie, la RDC et les Seychelles doivent de toute urgence suivre les recommandations du GAFI pour éviter de nuire à leurs investissements internationaux, à leurs flux de capitaux et à leurs systèmes financiers. Le Mozambique offre quelques bonnes pratiques pour la région. Il a été placé sur la liste grise un an avant l’Afrique du Sud et a soumis son premier rapport d’étape au début de 2023, conformément aux recommandations du GAFI. Le Mozambique attend maintenant un examen du GAFI en vue d’être retiré de la liste.
Le groupe anti-blanchiment de l’Afrique de l’Est et australe, qui supervise et coordonne la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme entre les États membres, pourrait aider les pays à se conformer rapidement aux exigences du GAFI.
Compte tenu des menaces que la criminalité organisée et le terrorisme font peser sur la région, il est urgent de remédier aux insuffisances constatées dans la lutte contre ces deux fléaux. La criminalité organisée ne met pas seulement en péril la sécurité physique, elle mine aussi la stabilité des communautés, suscite la peur et la méfiance et contribue à créer des conditions propices au terrorisme.
Les indicateurs de résilience de l’Indice mondial de la criminalité organisée constituent un guide utile pour les États de la SADC. S’ils ne s’attaquent pas à la criminalité financière et ne renforcent pas leur législation, les pays risquent de faciliter les activités des groupes criminels et terroristes, ce qui compromet en outre la prestation de services publics essentiels aux citoyens.
Isel Ras, consultante chercheuse, Afrique australe, et Willem Els, coordinateur principal de la formation, ENACT, ISS Pretoria
Image : © SARPCCO
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