Attentats du 11 septembre : la criminalité organisée au service du terrorisme
La lutte contre la criminalité organisée et le terrorisme en Afrique est devenue particulièrement difficile en raison de leur lien.
Publié le 13 septembre 2023 dans
ISS Today
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La confluence entre le terrorisme et la criminalité transnationale organisée est aussi ancienne que leur histoire, bien que son analyse soit relativement récente. La recherche et les politiques sur ce qui les relie se sont presque entièrement concentrées sur la criminalité organisée en tant que source de financement du terrorisme.
Les attentats perpétrés aux États-Unis le 9 septembre 2001 (le 11 septembre) ont mis en évidence ces liens et ont remis en question la séparation traditionnelle entre les deux types de crimes. L'une des principales conclusions de la commission du 11 septembre mentionne que c’est cette division qui a empêché les forces de l’ordre de détecter les attentats du 11 septembre et d'agir à temps pour interrompre leur planification.
Bien que perpétrés par des terroristes, ils ont été préparés et financés par des réseaux de la criminalité organisée. Cette combinaison a mis à mal la conception de la criminalité organisée dont le moteur est le profit, qui figure dans la Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée. Le profit a son importance, mais la motivation varie d'un acteur à l'autre. Pour les terroristes, le gain financier que procure la criminalité organisée n'est pas une fin en soi, mais un moyen d'atteindre un objectif politique, religieux ou idéologique plus important.
C’est que la criminalité organisée n'est pas le domaine exclusif des trafiquants, des syndicats ou des consortiums qui recherchent le profit, mais qu'elle attire au contraire divers acteurs criminels, y compris des terroristes.
Les attentats du 11 septembre ont été perpétrés par des terroristes, soutenus par la criminalité organisée
De nombreuses questions sur le 11 septembre restent sans réponse. Cependant, plusieurs transactions et activités criminelles dissimulées qui ont sous-tendu la planification — documentées par des sources de renseignement — confirment que sans la criminalité organisée, les attentats du 11 septembre n'auraient pas pu avoir lieu.
Au-delà du détournement des avions projetés sur les bâtiments, l'ensemble de l'opération, depuis la planification, la stratégie, l'achat du matériel et le financement, jusqu'aux itinéraires de voyage, s'est appuyé sur les circuits de la criminalité organisée. Le rôle central qu’a eu celle-ci dans l'orchestration du 11 septembre n'a pas été entièrement analysé, peut-être parce que l’on a d’abord pensé que Oussama Ben Laden avait financé les attentats, hypothèse qui a été réfutée depuis lors.
La commission a recensé de nombreuses sources de financement utilisées par Al-Qaïda et Ben Laden, dont plusieurs sont liées à la criminalité organisée. Elle estime que les attentats ont coûté entre 400 000 et 500 000 dollars US, dont 300 000 ont été déposés dans des banques américaines. Cette somme a été mobilisée à partir de diverses sources, dont la zakat, les organisations caritatives et les dons individuels et de groupes à l'intégrité douteuse.
Les fonds ont été transférés par le système du hawala, par Al-Barakaat et divers systèmes financiers formels et informels de transfert d'argent, y compris des banques. Ces transactions ont été entachées de corruption, de nombreuses institutions ayant fermé les yeux ou n'ayant pas appliqué les règles.
Le 11 septembre a légitimé le recours à la criminalité organisée pour poursuivre les objectifs du djihad
La commission n'a pas pu confirmer les informations faisant état de l'implication d'Al-Qaïda dans le trafic d'opium et d'héroïne en Afghanistan, dans la contrefaçon de produits de marque dans divers pays musulmans, dans les fraudes aux coupons alimentaires et dans les diamants de la guerre en Afrique. Toutefois, on estime qu'il s'agit là des principales sources de financement d'Al-Qaïda. Certains rapports affirment que l’implication de Ben Laden dans le trafic de drogue avec les talibans rapportait 50 millions de dollars par an.
Outre le financement, la criminalité organisée a inspiré les plans de Ben Laden. Il était essentiel que les pirates de l'air restent dans la clandestinité et ne soient pas repérés. La stratégie s'appuyait sur des opérations secrètes et discrètes de la criminalité organisée pour se procurer et dissimuler des équipements et des services. Les cerveaux d'Al-Qaïda ont eu recours à la fraude, à la tromperie et à la corruption pour infiltrer le dispositif sécuritaire et tracer les itinéraires des pirates de l'air. Pour éviter d'être détectés, les plans de voyage impliquaient plusieurs pays et des États amis ou corruptibles étaient soigneusement choisis comme point de départ.
Il s’agissait d’une opération de grande envergure, tant sur le plan temporel que géographique, afin de mettre à l'épreuve les capacités des services de renseignement. Elle a été planifiée sur trois ans et a impliqué au moins 24 pays et 23 villes américaines.
L'attentat du 11 septembre n'était pas la première attaque de Ben Laden dans laquelle il se servait des canaux de la criminalité transnationale organisée. Trois ans auparavant, l'attentat contre les ambassades américaines à Nairobi (Kenya) et à Dar es Salam (Tanzanie), qui a fait 263 morts et plus de 5 000 blessés, avait utilisé des explosifs en provenance du Moyen-Orient, passés en contrebande.
Les terroristes et les syndicats du crime convergent, mais pas les réponses des politiques
Avant le 11 septembre, l'implication ouverte des terroristes, en particulier des groupes islamistes, dans la criminalité organisée telle que le trafic de drogue, était très contestée par leurs membres. Ceux-ci considéraient que ces activités compromettaient leurs convictions et contredisaient les accusations portées contre les régimes qu'ils visaient. Le 11 septembre a semblé légitimer le recours à la criminalité organisée pour poursuivre les objectifs du djihad.
Les attentats ont inspiré des groupes terroristes tels que Al-Shabaab en Somalie, Boko Haram dans le bassin du lac Tchad et le Jama'at Nusrat al-Islam wal-Muslimin (Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans) dans la région du Liptako Gourma en Afrique de l'Ouest. Il en va de même pour l'Armée de résistance du Seigneur et les Forces démocratiques alliées en Ouganda et en République démocratique du Congo, ainsi que pour la Seleka et les anti-Balaka en République centrafricaine.
Ces groupes et d'autres affiliés d'Al-Qaïda et de l'État islamique sont impliqués dans des activités de criminalité organisée telles que le trafic de drogue, d'armes et d'êtres humains, l'extorsion, l'exploitation minière illégale, le vol de bétail, le banditisme et la contrebande. Ces liens ont été favorisés par la perception populaire que la criminalité organisée est une source de revenus qui permet de lutter contre la pauvreté, en particulier dans les communautés où les services de l’État sont absents.
Le problème de ce chevauchement complexe est que si les terroristes et les syndicats du crime convergent, ce n’est pas le cas pour les réponses des politiques. La principale leçon à tirer du 11 septembre et de l'effort mondial de lutte contre le terrorisme au cours des deux dernières décennies est qu'ignorer ce lien conduit à des politiques non coordonnées et inefficaces qui profitent aux groupes criminels.
Alors que la communauté internationale se joint aux États-Unis pour commémorer le 11 septembre, les leçons tirées devraient guider les réponses au terrorisme et à la criminalité organisée. La prévention des attentats nécessite des stratégies bien coordonnées et intégrées qui considèrent la criminalité organisée et le terrorisme comme les deux facettes d'un même problème et non comme des crimes ou des actes distincts perpétrés par des groupes criminels isolés.
Des efforts supplémentaires sont nécessaires pour s'attaquer à leurs causes profondes, à tout ce qui leur sert de base et à l'écosystème qui les sous-tend. Cette approche holistique met l'accent sur la coopération internationale et la participation active des organisations de la société civile pour appuyer les actions de l'État.
Martin Ewi, coordinateur de l'Observatoire régional de la criminalité organisée pour l'Afrique australe, ENACT, ISS Pretoria
Image : © Amelia Broodryk/ISS
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