Piraterie dans le golfe de Guinée : un symptôme, plutôt qu’une cause, de l’insécurité

L'accent placé sur la piraterie ne saurait être efficace si les stratégies négligent les autres problèmes de sécurité maritime dans les communautés côtières.

D’après des articles récemment publiés dans les médias, les actes de piraterie observés dans le golfe de Guinée n’ont jamais été aussi nombreux. Ces articles, et les données sur lesquelles ils s’appuient, doivent toutefois être interprétés avec prudence. Derrière les chiffres relatifs à la piraterie et au vol à main armée en mer se cachent souvent des problèmes de sous-signalement et de définition. Des interventions précipitées pourraient entraîner des solutions ponctuelles ne permettant pas de résoudre les causes sous-jacentes de l’insécurité maritime.

Un aperçu du phénomène de piraterie dans la région montre que le nombre d’incidents signalés est relativement stable. D’après le Bureau maritime international (IMB), des attaques ont été rapportées dans 15 États côtiers du golfe de Guinée au cours des trois dernières années.

Le Centre de suivi de la piraterie de l’IMB a enregistré 84 attaques et tentatives d’attaques en 2020, soit seulement deux de plus qu’en 2018, contre 64 en 2019. La plupart de ces attaques ont ciblé l’équipage de navires, kidnappé en échange d’une rançon. Plus de 90 % des enlèvements en mer signalés à travers le monde de nos jours ont lieu dans cette région.

Les données relatives à la piraterie font souvent office d’indicateur de la sécurité maritime générale dans le golfe de Guinée. Or, une interprétation imprudente pourrait mener à une intervention inadéquate. L’évolution des tendances en matière de piraterie pourrait s’expliquer par des capacités et des connaissances en sécurité maritime hétérogènes parmi les pays concernés, une situation qui influe à son tour sur le signalement des incidents.

Le lieu des attaques importe aussi bien pour l’interprétation des données que pour l'élaboration de solutions anti-piraterie

Les rapports de l’IMB et d’autres sources telles que le Centre interrégional de coordination de Yaoundé influencent sensiblement le public et le discours politique sur la situation sécuritaire maritime en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale. L’ampleur de la menace est pourtant mise en doute ; les chiffres doivent être vérifiés avec minutie si l’on veut éviter nombre de lacunes et de chausse-trappes.

Par exemple, les forces de la Marine nigériane ont signalé 339 actes de piraterie en 2020. Toutefois, d’après la définition formulée dans le droit international, 214 de ces incidents ne relèveraient pas d’actes de piraterie, mais plutôt de vols à main armée, étant donné qu’ils ont eu lieu dans les eaux territoriales nigérianes et non en haute mer.

Les vols à main armée en mer relèvent de la responsabilité de l’État s’ils se produisent à moins de 12 milles marins de ses côtes. Le lieu des attaques a donc toute son importance, aussi bien pour l’interprétation des données que pour la mise au point de solutions.

La plupart des États régionaux ne disposent pas des capacités nécessaires pour faire appliquer la loi en pleine mer. Toute solution au problème de la piraterie doit donc être définie de manière collective et reposer sur un appui multinational, comme le prévoit l’Accord de Yaoundé de 2013.

Les États du golfe de Guinée préféreraient bénéficier d’un appui en matière de sécurité maritime, plutôt que de céder cette responsabilité à des parties extérieures

S’il arrive que les chiffres varient, les attaques en haute mer ont tendance à être de plus en plus complexes et violentes. Le 30 janvier, le navire Rowayton Eagle a été attaqué en pleine mer, à 200 milles marins de la côte. De tels incidents ne sont pas rares. Si les bateaux naviguant en haute mer sont aujourd’hui la cible de ces attaques, c’est peut-être parce que les forces de l’ordre côtières des États du golfe de Guinée sont de plus en plus efficaces.

L’augmentation du nombre d’actes de piraterie signalés dans le golfe de Guinée a provoqué des comparaisons avec les attaques observées au large des côtes de la Somalie, et soulevé un débat mondial sur les solutions à mettre en œuvre. Les sociétés de transport maritime qui opèrent dans le golfe de Guinée s’inquiètent du fait que nul ne semble pouvoir leur offrir de protection. Les voix qui attirent le plus l’attention sont celles qui appellent à une présence ou une coalition navale internationale renforcée et souhaitent voir davantage de forces de sécurité privées armées.

Bien qu’elles soient toutes deux concernées par le phénomène de piraterie, ces deux régions sont foncièrement différentes, et les interventions politiques doivent aussi l’être. Une différence majeure réside dans le fait que dans le golfe de Guinée, toute force internationale a besoin d’une autorisation de chacun des nombreux pays de la région. De par la forme concave du golfe, qui concentre des pays disposant d’un littoral relativement restreint, les zones maritimes d’intérêt se recoupent. Les parties prenantes auprès desquelles obtenir un consensus sont donc plus nombreuses.

La Corne de l’Afrique, quant à elle, constitue une immense péninsule qui se jette dans l’Océan indien. La Somalie possède l’un des littoraux les plus longs d’Afrique et peu de pays voisins. La zone maritime placée sous sa responsabilité est entourée d’eaux de haute mer.

Lorsque les décideurs accordent la priorité à la piraterie, ils négligent les autres problèmes en matière maritime et sécuritaire

Le Conseil de sécurité des Nations Unies a adopté des résolutions anti-piraterie pour la Corne de l’Afrique et le golfe de Guinée depuis 2008. Approuvées par le Gouvernement somalien officiellement reconnu, les mesures concernant la Corne de l’Afrique partaient pratiquement de zéro. Le golfe de Guinée a quant à lui privilégié le renforcement des capacités des institutions régionales émergentes, telles que celles mises en place par la Communauté économique des États de l'Afrique de l’Ouest et la Communauté économique des États de l’Afrique centrale, sous les auspices de l’Accord de Yaoundé.

Il est peu probable que le « scénario somalien » soit accepté dans le golfe de Guinée. Les États du golfe préféreraient qu’on les aide à garantir la sécurité maritime, plutôt que de céder cette responsabilité à des parties externes.

Les deux régions se retrouvent toutefois face à la même difficulté : la répression menée contre la piraterie pousserait les malfaiteurs à se tourner vers d’autres activités illicites afin de poursuivre leurs opérations criminelles, ou cibler d’autres endroits de la région. Lorsque les décideurs concentrent leur attention sur la piraterie, ils risquent en outre de négliger d’autres problèmes en matière maritime et sécuritaire, lesquels ont des répercussions sur les moyens de subsistance et la conservation écologique des zones côtières.

Les politiques et les stratégies adoptées doivent fournir une protection aux populations marines à proximité et au large des côtes, et éliminer les menaces pesant sur l’environnement naturel et les moyens de subsistance des communautés côtières, telles que les activités criminelles liées à la pêche et la pollution marine. La mise en œuvre de solutions durables en matière de sécurité dans le golfe de Guinée devrait permettre d’améliorer le bien-être socio-économique des communautés côtières, afin qu’elles soient moins vulnérables aux réseaux criminels organisés.            

La lutte contre la piraterie ne peut être menée par un seul pays. Les organisations et les États présents dans la région doivent continuer de travailler de concert afin de définir une approche protégeant l’ensemble de leurs intérêts en matière de sécurité maritime.

Intervenir de manière précipitée en réponse aux articles sensationnalistes sur les attaques en mer pourrait fort bien bénéficier aux sociétés de transport maritime. À long terme, cependant, se concentrer sur les symptômes plutôt que sur les causes profondes du problème pourrait aggraver la situation. Il convient de résoudre les griefs des communautés côtières marginalisées afin que celles-ci puissent bénéficier de moyens de subsistance durables et échapper au cycle de privation qui les expose aux activités criminelles.

Dr Ifesinachi Okafor-Yarwood, chargé de cours, Université de St Andrews, Timothy Walker, responsable du Projet maritime et chercheur principal, et Denys Reva, chargé de recherche, ISS Pretoria

Cet article a été réalisé grâce au soutien du Gouvernement norvégien.

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