Pêche illégale : Une autre cible dans le champ de bataille maritime de l'Afrique de l'Ouest
Dans une région où sévit déjà la piraterie, le saccage des réserves de poissons par des opérateurs industriels doit être enrayé.
Publié le 19 novembre 2021 dans
ISS Today
Par
David Willima
chargé de recherche, sécurité maritime, ISS Pretoria
Denys Reva
chercheur, L’Afrique dans le monde, ISS Pretoria
L'inclusion par la Conférence des Nations Unies sur le changement climatique (COP26) de la nécessité de préserver la santé des océans est une bonne nouvelle. Toutefois, malgré quelques appels à l'action notables avant et pendant la COP26, l'accent n'a pas été suffisamment mis sur l'importance de la conservation des poissons, des pêches et des écosystèmes marins.
La Stratégie de l'économie bleue pour l'Afrique de 2019 cite la pêche et l'aquaculture comme l'un des sept domaines cruciaux pour créer des économies bleues durables. La pêche est considérée comme un secteur relativement inexploité en matière de développement et de prospérité de l'Afrique. Elle n'est cependant pas susceptible de porter ses fruits, à moins que ne soit freinée l'exploitation des ressources marines. La pêche illégale se manifeste sous différentes formes, mais ce sont les opérateurs industriels à grande échelle qui causent le plus de dommages aux écosystèmes et à l'environnement.
Le changement climatique exacerbe les conséquences de la surexploitation des réserves de poissons, limitant leur capacité à se régénérer. Compte tenu de la crise actuelle, des mesures urgentes sont nécessaires dans les communautés côtières vulnérables, notamment en Afrique de l'Ouest, où la piraterie et les enlèvements et vols à main armée en mer sont monnaie courante.
La pêche illégale en Afrique de l'Ouest constitue un problème sur trois plans. Premièrement, elle compromet la gestion des réserves de poissons en perturbant les processus réglementaires. Pour parvenir à un secteur de la pêche durable, les pays doivent gérer la croissance et l'épuisement des réserves de poissons, faire respecter les règles de sécurité et d'exploitation, et délimiter les zones de pêche et de conservation.
La plupart des dommages causés aux écosystèmes et à l'environnement sont le fait d'opérateurs industriels à grande échelle
La pêche illégale sape les initiatives émergentes de l'économie bleue à travers l'Afrique, coûtant aux États des milliards de dollars de revenus perdus. À eux seuls, la Mauritanie, le Sénégal, la Gambie, la Guinée-Bissau, la Guinée et la Sierra Leone perdent 2,3 milliards de dollars par an à cause de la pêche illégale.
Le deuxième aspect concerne l'atteinte à la sécurité alimentaire des communautés côtières, pour lesquelles les poissons constituent une source importante de subsistance et, dans certains cas, leur unique source de revenus. Et troisièmement, la pêche illégale érode la confiance des communautés dans les forces de l'ordre, suscitant un sentiment de non-respect de la loi et de négligence. Ces conditions sont propices à l'essor de la criminalité organisée et, associées à la perte des moyens de subsistance, elles peuvent alimenter la violence communautaire et d'autres formes de criminalité au niveau local.
Par exemple, la pêche illégale endémique au large des côtes somaliennes, associée au non-respect de la loi, a conduit les pêcheurs locaux à prendre les armes pour attaquer les navires de pêche étrangers dans les eaux somaliennes. Ces groupes d'autodéfense ont joué un rôle précurseur dans l'apparition de la piraterie dans la région. L'Afrique de l'Ouest doit tirer les leçons de ce phénomène, car la persistance de l'instabilité côtière dans cette région pourrait accentuer la piraterie.
Alors que la demande mondiale de poisson augmente, il est probable qu'il en sera de même pour les incursions de flottes étrangères dans les eaux africaines. Les pays non-africains jouent un rôle considérable en détournant le regard de leurs flottes de pêche industrielle qui s'aventurent dans les eaux africaines. Les subventions publiques à la pêche favorisent également la pêche illégale en permettant aux flottes de naviguer et d'opérer partout dans le monde.
Les subventions publiques à la pêche favorisent la pêche illégale en permettant aux flottes de naviguer et d'opérer partout dans le monde
Ce qui complique la résolution de cette situation, c'est que du point de vue légal, les navires respectent la réglementation et la juridiction de leur État du pavillon. Sans le soutien actif des États du pavillon, il est impossible de lutter contre la pêche industrielle illégale en Afrique. Certains progrès ont toutefois été réalisés. Par exemple, l'Espagne a appliqué des sanctions plus sévères à l'encontre de ses citoyens impliqués dans la pêche illégale, non déclarée et non réglementée en 2015. La Chine a dressé une liste noire et s'est engagée à imposer des sanctions sévères aux opérateurs illégaux et à leurs entreprises.
Pour lutter contre les menaces qui pèsent sur leurs écosystèmes et leurs secteurs de la pêche, les États africains doivent participer plus activement aux négociations au sein de l'Organisation mondiale du commerce afin de mettre un terme aux subventions néfastes et non durables accordées à la pêche. Par ailleurs, les États non africains doivent reconnaître que leur approche axée sur le profit à court terme porte atteinte à la sécurité maritime, en particulier en Afrique de l'Ouest. À terme, cela nuira à leurs intérêts dans d'autres secteurs, comme le transport maritime.
La plupart des États africains ne disposent pas de ressources suffisantes pour surveiller et contrôler leurs vastes zones économiques exclusives. La lutte contre la pêche illégale exige donc une étroite coopération, car des efforts insuffisants dans un pays peuvent compromettre les mesures de gestion de la pêche prises dans un État voisin.
Cette tâche peut être menée par la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), afin de protéger les perspectives offertes par l'économie bleue en Afrique de l'Ouest. Poussés par la nécessité d'éradiquer la piraterie, les États de la CEDEAO ont récemment fait des progrès significatifs dans l'amélioration de leur capacité à détecter, à répondre et à poursuivre les crimes maritimes.
Sans le soutien actif des États du pavillon, il est impossible de lutter contre la pêche industrielle illégale en Afrique
La région abrite également la Commission sous-régionale des pêches et le Comité des pêches du Centre-Ouest du golfe de Guinée, qui couvrent les domaines maritimes des États de la CEDEAO. Ces institutions ont été créées pour surveiller les navires de pêche opérant dans la région et soutenir la lutte contre la pêche illégale. Mais il reste du travail à faire, et les menaces maritimes perdureront en l'absence d'une approche holistique de la sécurité maritime.
Enfin, les États d'Afrique de l'Ouest peuvent prendre les devants en rejoignant les mécanismes établis pour lutter contre la pêche illégale. L'Accord relatif aux mesures du ressort de l'État du Port (PSMA) de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture est une initiative mondiale importante visant à empêcher les navires de pêche de débarquer des prises illégales dans les ports soumis à l'accord.
Lorsque les signataires appliquent rigoureusement le PSMA, cela entraîne un effet dissuasif d’envergure pour les navires de pêche illégale, notamment en les privant de ports et en limitant leur accès aux marchés. Il est encourageant de constater que 12 des 27 États africains parties au PSMA sont situés en Afrique de l'Ouest. Toutefois, pour avoir un véritable impact régional, le Nigeria, un acteur régional majeur, doit également ratifier l'accord.
Denys Reva, chercheur, et David Willima, chargé de recherche, Maritime, ISS Pretoria
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Crédit photo : Karwai Tang/UK Government