Participation citoyenne : l’UA peut-elle passer de la théorie à la pratique ?
La collaboration entre la société civile et le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine reste semée d’embûches.
Publié le 13 septembre 2024 dans
ISS Today
Par
Moussa Soumahoro
chercheur, Gouvernance de la paix et de la sécurité en Afrique, ISS Addis-Abeba
Pour l’Union africaine (UA), les populations jouent un rôle essentiel dans la réalisation des objectifs du continent. Leur participation est ancrée dans l’Acte constitutif de l’organisation, qui stipule que les dirigeants africains sont « guidés par ... la nécessité d’instaurer un partenariat entre les gouvernements et toutes les composantes de la société civile, en particulier les femmes, les jeunes et le secteur privé, afin de renforcer la solidarité et la cohésion » entre les citoyens.
Cet engagement a marqué un tournant majeur par rapport à l’approche axée sur les États poursuivie par l’ancêtre de l’UA, l’Organisation de l’unité africaine. Il a suscité l’optimisme quant à la volonté de changement de l’UA et sa capacité à reconnaître la force collective des populations. Cependant, malgré certains progrès, de nombreux obstacles limitent encore les interactions avec la société civile.
L’UA a mis en place plusieurs structures et procédures visant à combler le fossé entre les populations et ses institutions, notamment la Direction des citoyens et de la diaspora (CIDO) et le Conseil économique, social et culturel (ECOSOCC). Elle a instauré des protocoles d’accord bilatéraux et accordé le statut d’observatrices aux organisations de la société civile (OSC) lors de ses sommets. Ces mesures ont créé des espaces d’interaction entre l’UA et les citoyens.
Au cours de la première retraite annuelle du Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’UA à Dakar, au Sénégal, en 2007, il a été convenu que le Conseil pourrait inviter des acteurs de la société civile à prendre la parole lors des sessions et, au fil du temps, élaborer des propositions pour guider les interactions avec les OSC. Ce mouvement a abouti en 2008 à la décision du CPS d’organiser des réunions annuelles avec l’ECOSOCC dans le cadre d’un dispositif dénommé « formule Livingstone ».
De nombreuses OSC considèrent que l'ECOSOCC est capturé par l'État, freinant ainsi les avancées
En dépit de cette formule, les interactions entre le CPS et les OSC sont restées limitées. Depuis sa sixième retraite à Maseru en 2014, qui a permis d’échanger sur les défis rencontrés, le CPS a effectué des progrès notables en associant les populations au processus de résolution des problèmes de paix et de sécurité en Afrique.
Il a créé des espaces institutionnels tels que des réunions annuelles avec les OSC et a invité les OSC à participer à ses sessions publiques mensuelles en tant qu’intervenantes, observatrices ou les deux. Le CPS a également travaillé avec des acteurs de la société civile pour faire adopter des décisions cruciales dans le cadre de ses activités de prévention et de gestion des conflits. En outre, il a chargé l’ECOSOCC et la CIDO de mettre au point une base de données exhaustive afin d’améliorer la portée et la diffusion des informations auprès des principaux acteurs de la société civile.
Ces initiatives ont donné des résultats probants. La participation des OSC aux sessions publiques du CPS s’est considérablement intensifiée depuis Maseru, par rapport à la période 2008-2014. Bien que seulement deux consultations annuelles aient eu lieu entre l’ECOSOCC et les représentants des OSC en vertu de la formule Livingstone, la société civile participe aujourd’hui davantage aux réunions et aux retraites du CPS.
Malgré des améliorations notables dans certains aspects des relations entre le CPS et les citoyens africains, plusieurs problèmes empêchent toujours des interactions efficaces. Les plus importants sont les défis institutionnels et la méfiance de longue date des OSC à l’égard des sphères décisionnelles de l’UA, notamment le CPS.
L'antagonisme des OSC et des gouvernements sur la gouvernance et la sécurité reste largement ignoré
Plusieurs OSC perçoivent l’ECOSOCC comme une institution contrôlée par les États, ce qui nuit aux progrès accomplis. Les réactions à l’article 6, qui précise que les ressources des OSC intégrant l’ECOSOCC doivent provenir au moins à 50 % de contributions de membres de l’organisation, affectent considérablement l’adhésion à cette structure. La situation entrave particulièrement la capacité des membres à occuper des postes électifs, malgré des avancées significatives.
L’éternel l’antagonisme entre la société civile et les gouvernements sur des questions sensibles liées à la gouvernance et à la sécurité est largement occulté dans la plupart des États membres de l’UA. Comme les OSC demandent à leurs gouvernements de rendre davantage de comptes dans ces domaines, elles sont perçues comme étant « trop militantes ». Par conséquent, leurs relations sont souvent tendues avec les autorités de leur pays d’accueil et leurs demandes d’autorisation et d’enregistrement sont parfois refusées, ce qui les empêche de devenir membres de l’ECOSOCC et, en fin de compte, de participer aux travaux du CPS.
L’ECOSOCC est également été critiqué pour son orientation urbaine qui exclurait des organisations locales remplissant pourtant bien souvent les critères de sélection. Ces accusations ne sont pas nécessairement fondées si l’on considère l’approche globale de mobilisation des OSC adoptée par l’ECOSOCC, qui couvre un éventail de thèmes sur l’ensemble du continent dans le cadre de son concept de chapitres nationaux.
Malgré une plus grande flexibilité dans ses critères de reconnaissance, l’ECOSOCC n’a pas encore finalisé la base de données recommandée lors de la retraite de Maseru il y a dix ans pour répertorier les acteurs dans des domaines essentiels tels que la prévention et la médiation. Selon certaines sources, cela témoigne des difficultés persistantes de l’organisation à rallier l’adhésion des OSC au mécanisme d’interaction avec le CPS. La transposition par certains États membres de leur antagonisme à l’égard des OSC dans les organes continentaux en limitant leur accès aux réunions stratégiques, y compris dans le domaine de la paix et de la sécurité, constitue un autre facteur important.
Les initiatives de l'ECOSOCC visant à rassembler les OSC au sein de son chapitre national sont louables
Les efforts déployés par l’ECOSOCC pour mobiliser les OSC dans le cadre de ses chapitres nationaux sont tout à fait louables. Afin de parvenir à la paix et à la stabilité en Afrique, il est essentiel de dynamiser les interactions entre le CPS et les OSC. La mobilisation des OSC et l’élargissement de leur vivier permettront ainsi au CPS de mieux comprendre et relever les défis liés à la sécurité. Une fois ces obstacles levés, les experts de la société civile pourront se consacrer à la médiation et à la diplomatie préventive.
Même s’il ne régit pas uniquement les interactions entre le CPS et les OSC, le concept de chapitres nationaux et la structure de groupes sectoriels qui l’accompagne constituent des fondements solides pour une participation citoyenne élargie. Du côté de l’ECOSOCC, il serait judicieux d’utiliser des plateformes numériques pour accroître sa portée et surmonter la réticence des OSC à collaborer avec lui.
Il faudrait également que le secrétariat du CPS intensifie ses efforts de plaidoyer afin d’apaiser les inquiétudes des gouvernements quant à l’inclusion de la société civile dans la gestion des défis du continent en matière de paix et de sécurité.
Cet article a été publié pour la première fois dans le Rapport sur le CPS de l’ISS.
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