Promouvoir la paix et la sécurité par une mobilisation renforcée de la société civile
Pallier les écueils de mise en œuvre persistants pourrait favoriser une plus grande participation citoyenne à la gestion des défis continentaux.
Lors de la transformation de l'Organisation de l'unité africaine (OUA) en Union africaine (UA), les dirigeants africains ont été « guidés par [...] la nécessité d'établir un partenariat entre les gouvernements et tous les acteurs de la société civile, en particulier les femmes, les jeunes et le secteur privé, afin de renforcer la solidarité et la cohésion » entre les citoyens. Cette vision, inscrite dans l'Acte constitutif de l'UA, constituait un changement significatif par rapport à l'approche stato-centrée de l'OUA, au profit d'un nouveau paradigme dans lequel la participation des citoyens devaient avoir un rôle déterminant dans la réalisation des objectifs continentaux. La volonté de l'UA d'adopter une approche centrée sur le citoyen suscitait alors l'optimisme et laissait espérer un engagement en faveur du changement et une volonté d'exploiter la force collective des citoyens et des groupes de citoyens.
L'UA a poursuivi cet objectif en créant plusieurs structures, notamment la Direction des citoyens africains et de la diaspora et le Conseil économique, social et culturel (ECOSOCC), afin de combler le fossé entre ses institutions et les citoyens africains. Elle a également prévu des dispositions administratives, notamment des protocoles d'accord bilatéraux et l'octroi du statut d'observateur aux organisations de la société civile (OSC), afin d'impliquer les citoyens dans ses activités. Des plates-formes de participation ont ainsi vu le jour pour leur permettre d'être représentés dans certains espaces réservés par l'UA, ainsi que sur des plates-formes créées par les OSC pour favoriser les interactions entre l'UA et les citoyens.
Autre point important, les dirigeants africains, en définissant le mandat du Conseil de paix et de sécurité (CPS), ont décidé d'appliquer l'article 20 du protocole relatif au CPS. Celui-ci prévoit l'engagement « d'organisations non gouvernementales, d'organisations communautaires et d'autres organisations de la société civile, en particulier des organisations de femmes, à participer activement aux efforts visant à promouvoir la paix, la sécurité et la stabilité en Afrique ». Lors de la première retraite annuelle du CPS à Dakar, au Sénégal, en 2007, il a ainsi été convenu que le Conseil pourrait inviter des acteurs de la société civile à prendre la parole lors des sessions et, au fil du temps, élaborer des propositions pour guider les interactions avec les OSC. Ce processus a abouti à l'adoption par le CPS de la formule de Livingstone, lors de sa réunion annuelle avec l'ECOSOCC, à l'occasion de sa retraite de 2008 dans la ville éponyme de Zambie.
La vision de l'Acte constitutif de l'UA privilégie désormais l'implication des citoyens
Cependant, les interactions avec les OSC sont restées limitées et, en 2014, la sixième retraite annuelle du CPS à Maseru, au Lesotho, a examiné les défis rencontrés par la formule de Livingstone. Malgré les progrès du CPS dans le domaine de la participation citoyenne depuis Maseru, de nombreux obstacles continuent d'entraver le processus.
Approches et réalisations
Depuis Maseru, le CPS tente de renforcer la participation citoyenne à la résolution des problèmes liés à la paix et à la sécurité en Afrique. Pour ce faire, il a mis en place des espaces institutionnels tels que les réunions annuelles CPS-OSC et a invité les OSC à participer aux séances publiques mensuelles du CPS en tant qu'intervenants ou observateurs. Le Conseil a également collaboré avec des acteurs de la société civile pour la prise de décisions cruciales dans le cadre de ses activités de prévention et de gestion des conflits. En outre, il a chargé l'ECOSOCC et la Direction des citoyens africains et de la diaspora de mettre au point une base de données exhaustive afin d'améliorer la portée et la diffusion des informations parmi les principaux acteurs de la société civile.
Cela a permis d'obtenir des résultats significatifs dans la mise en place du mécanisme visant à faire progresser les interactions entre le CPS et les OSC dans la promotion de la paix, de la sécurité et de la stabilité en Afrique, comme le prévoient la formule de Livingstone et les conclusions de Maseru. La participation des OSC aux séances publiques du CPS a considérablement augmenté depuis Maseru, alors que les liens avec la société civile étaient réduits entre 2008 et 2014. Bien que seulement deux consultations annuelles entre l'ECOSOCC et les représentants des OSC aient eu lieu conformément à la formule de Livingstone, la participation de la société civile aux réunions et aux retraites du CPS a augmenté.
Des défis persistants
Malgré des améliorations notables dans certains aspects des relations entre le CPS et les citoyens africains, plusieurs problèmes continuent d'entraver la mise en œuvre efficace du mécanisme d'interaction. Les défis institutionnels et une ancienne méfiance entre les OSC et les États dans les sphères décisionnelles continentales, y compris le CPS, figurent au premier rang.
Plusieurs OSC perçoivent l'ECOSOCC comme une instance contrôlée par les États, ce qui nuit aux progrès accomplis. Les perceptions entourant l'article 6, qui stipule que les OSC s'inscrivant à l'ECOSOCC doivent être financées à au moins 50 % par des membres de l'organisation, affectent considérablement l'adhésion à l'ECOSOCC. Ceci est particulièrement vrai en ce qui concerne la capacité des membres à occuper des postes électifs, malgré des avancées significatives.
De nombreux obstacles continuent d'entraver le processus de participation citoyenne
Peu d'attention a été accordée à l'antagonisme constant qui oppose la société civile et les gouvernements sur de nombreuses questions sensibles relatives à la gouvernance et à la sécurité dans la plupart des États membres de l'UA. Étant donné que les OSC exigent une plus grande responsabilisation des États dans ces domaines, elles sont perçues comme étant « trop militantes ». Par conséquent, leurs relations sont souvent tendues avec les autorités de leur pays d'accueil et leurs demandes d’autorisation et d’enregistrement sont parfois refusées, ce qui les empêche de devenir membres de l'ECOSOCC et, en fin de compte, de participer aux travaux du CPS. L'ECOSOCC est également été critiqué pour son orientation urbaine qui exclurait les organisations locales qui remplissent pourtant bien souvent les critères de sélection. Ces accusations ne sont toutefois pas nécessairement fondées si l'on considère l'approche globale de l'ECOSOCC pour mobiliser les OSC, qui couvre divers thèmes sur l'ensemble du continent dans le cadre de son concept de sections nationales.
Malgré une plus grande flexibilité dans ses critères de reconnaissance, l'ECOSOCC n'a pas encore finalisé la base de données, recommandée par Maseru il y a dix ans, pour répertorier les acteurs dans des domaines essentiels tels que la prévention des conflits et la médiation. Selon certaines sources, cela témoigne des difficultés persistantes de l'organisation à encourager les OSC à adhérer au mécanisme d'interaction avec le CPS. La transposition par certains États membres de leur antagonisme à l'égard des OSC dans les organes continentaux en limitant leur accès aux réunions stratégiques, y compris dans le domaine de la paix et de la sécurité, est également un élément important.
Aborder les problèmes
Les efforts de l'ECOSOCC pour mobiliser les OSC dans le cadre de ses chapitres nationaux sont tout à fait louables. Étant donné qu'une interaction plus dynamique entre le CPS et les OSC est essentielle pour parvenir à débarrasser le continent des conflits, l'élargissement du vivier des OSC et leur mobilisation permettront au CPS de mieux comprendre les défis liés à la paix et à la sécurité et d'y répondre plus efficacement. En outre, l'élimination des obstacles susmentionnés permettra d'exploiter les capacités et les connaissances des OSC afin de renforcer la diplomatie préventive et de préserver les acquis démocratiques et pacifiques obtenus par le CPS dans sa quête d'une stabilité continentale.
L'ECOSOCC n'a pas encore finalisé la base de données recommandée par Maseru il y a 10 ans
Même s'il n'est pas spécifique aux interactions entre le CPS et les OSC, le concept de chapitre national et la composition globale des groupes sectoriels qui y est associée constituent des bases solides pour une participation citoyenne élargie, y compris à l'échelle locale. L'ECOSOCC devrait utiliser des plateformes numériques pour relier les niveaux d'engagement afin d'élargir sa portée et de surmonter la réticence des OSC à dialoguer avec lui.
Le secrétariat du CPS devrait intensifier ses efforts de plaidoyer en faveur d'une contribution accrue des OSC pour vaincre les hésitations des États membres à inclure la société civile dans la gestion des défis continentaux en matière de paix et de sécurité.