Nouvel agenda pour la paix : l’heure du bilan pour la sécurité collective en Afrique ?

Les efforts des Nations unies pour relancer le multilatéralisme mondial devraient amener les États africains, l’UA et les blocs régionaux à mieux collaborer.

Il semble y avoir une résurgence des conflits en Afrique, résultat d’un mélange de menaces alliant terrorisme, autoritarisme et, plus récemment, coups d’État au Niger, au Burkina Faso, au Mali, en Guinée, au Soudan et au Tchad. Cette situation révèle les limites des approches de la lutte contre l’insécurité, notamment la sécurité collective.

La sécurité collective est une approche coopérative fondée sur un engagement juridiquement contraignant entre les États. Elle est actuellement à l’épreuve en Afrique de l’Ouest, où la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CÉDÉAO) envisage des mesures diplomatiques et une intervention militaire en réponse au coup d’État du 26 juillet au Niger. Les efforts de la CÉDÉAO pour lutter contre la prolifération des coups d’État se sont heurtés à la résistance de certains pays de la région.

Comment réajuster l’approche africaine de la sécurité collective afin d’atteindre l’objectif de l’Union africaine de faire taire les armes d’ici 2030 et de mettre en œuvre « l’action pour la paix » préconisée par António Guterres, le Secrétaire général de l’Organisation des Nations unies (ONU) ? Il n’y a pas de réponses simples, mais le Nouvel agenda pour la paix de Guterres constitue un bon point de départ.

Guterres, dans sa note de synthèse sur le Nouvel agenda pour la paix, analyse les menaces mondiales interdépendantes, notamment les conflits armés, la militarisation des nouvelles technologies, le rétrécissement de l’espace civique et l’urgence climatique. Il appelle à un renouveau du multilatéralisme pour éviter la logique actuelle de concurrence mondiale et se concentre sur 12 propositions dans cinq domaines prioritaires.

Ce document est destiné à orienter les discussions du Sommet de l’avenir de l’année prochaine. Les Nations unies présentent le sommet comme une occasion unique de réaffirmer les engagements concernant les objectifs de développement durable et la charte des Nations unies, et pour les États membres de renouveler leur engagement à s’attaquer collectivement aux lacunes de la gouvernance mondiale.

Face au coup d’État au Niger, la sécurité collective est mise à l’épreuve en Afrique de l’Ouest

L’une des priorités du Nouvel agenda pour la paix est de revoir le système de sécurité collective des Nations unies. L’Afrique fait partie intégrante de la paix et de la sécurité dans le monde – en 2021, 70 % des crises abordées au Conseil de sécurité des Nations unies concernaient l’Afrique. Les discussions autour du Nouvel agenda pour la paix offrent au continent l’occasion de revoir son approche de la gestion de l’insécurité.

Avec l’Architecture africaine de paix et de sécurité (un ensemble de normes, d’institutions et de structures visant à prévenir, gérer et résoudre les conflits), les États africains avaient adopté des principes de sécurité collective pour faire face aux conflits nationaux et internationaux sur le continent. La CÉDÉAO et la Communauté de développement de l’Afrique australe ont expérimenté cette approche. Les missions de maintien de la paix de la CÉDÉAO au Liberia, en Sierra Leone et en Guinée sont des exemples classiques de tentatives collectives de lutte contre l’insécurité nationale et régionale.

Le Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’UA est également un dispositif de sécurité collective et d’alerte précoce. La Politique africaine commune de défense et de sécurité de l’UA confère à l’UA un rôle dans les réponses collectives aux menaces externes et internes. La Force africaine en attente, composée de contingents de différents pays et destinée à être déployée rapidement dans le cadre d’opérations de paix, est une autre initiative de sécurité collective.

Mais après vingt ans d’efforts, les résultats ne sont pas au rendez-vous. L’UA admet qu’une nouvelle approche est nécessaire, qui s’aligne sur les facteurs de déstabilisation auxquels l’Afrique est actuellement confrontée.

Divers facteurs normatifs et pratiques limitent les tentatives de l’Afrique en matière de sécurité collective. Sur le plan des normes, le continent est reconnu comme étant avancé. L’UA, par exemple, autorise des interventions dans les États membres lorsque des circonstances graves touchant les droits de l’homme l’exigent. Cela représente un changement dans la politique africaine, qui passe de la non-ingérence à la non-indifférence. Mais l’UA n’a pratiquement jamais eu recours à cette disposition, car elle est en contradiction avec certains de ses autres principes fondamentaux, tels que le respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale.

De nombreux États africains s’opposent à ce qu’ils considèrent comme une ingérence dans leurs affaires

De nombreux États africains s’opposent à ce qu’ils considèrent comme une ingérence de l’UA ou des blocs régionaux dans leurs affaires politiques ou sécuritaires. Cela transparaît de plus en plus, par exemple, dans les difficultés à faire appliquer les décisions de l’UA et de la communauté économique régionale concernée sur les coups d’État en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale.

Idéalement, la sécurité collective exige que les États membres acceptent que des entités régionales et continentales agissent dans l’intérêt de la collectivité. Ce qui suppose pour eux d’abandonner une partie de leur souveraineté à une entité supranationale.

Selon le Council on Foreign Relations, l’Union européenne (UE) reste la plus grande expérience de souveraineté. Les États qui la composent ont mutualisé leur souveraineté dans une large mesure et ont confié certains pouvoirs à une autorité supranationale. En revanche, la politique continentale et régionale de l’Afrique est définie par une forte adhésion à la souveraineté, ce qui limite l’efficacité de la sécurité collective.

Les pays africains jouent souvent la « carte de la souveraineté » pour s’opposer aux initiatives de sécurité collective, pourtant les moins attentatoires à la souveraineté, telles que les visites du CPS sur le terrain et les efforts de médiation pour mettre fin aux crises. Récemment, le Soudan a rejeté la proposition de l’Autorité intergouvernementale pour le développement de déployer une force africaine, estimant qu’il s’agissait là d’une atteinte à sa souveraineté.

L’UA a identifié cette interprétation étroite de la souveraineté, associée à la compréhension contestée de la subsidiarité qui régit ses relations avec les blocs régionaux, comme le principal défi à la prise de décision de l’UA sur les problèmes de sécurité.

Il faut un débat sur l’interprétation africaine de la souveraineté et la prévention des conflits

Un autre obstacle à la sécurité collective africaine est le décalage entre les ambitions et les objectifs, d’une part, et les ressources, les capacités et les politiques de soutien, d’autre part. La dépendance excessive à l’égard des donateurs extérieurs pour financer les opérations africaines de soutien à la paix en est un exemple pertinent.

Certaines politiques et institutions, comme  la Force africaine en attente, doivent également être révisées en profondeur. Conçue au début des années 2000, celle-ci répondait aux menaces de l’époque. Cependant, son efficacité reste limitée en raison d’un mauvais choix politique concernant l’autorisation de sa mobilisation, d’un financement limité et de la préférence des États membres pour des déploiements de sécurité ad hoc, en particulier contre le terrorisme.

À l’instar du système mondial, l’approche de la sécurité collective en Afrique n’accorde pas une priorité suffisante à la prévention, en particulier quand il s’agit de s’attaquer aux causes profondes des conflits. Cela s’explique en partie par le fait que la prévention est une prérogative nationale, de sorte que l’adhésion stricte à la souveraineté limite les possibilités d’intervention extérieure. La prévention des conflits est également moins attrayante pour les dirigeants que les mesures sécuritaires et militaires.

Un changement de paradigme s’impose. Le Nouvel agenda pour la paix et le Sommet pour l’avenir sont des occasions de réorganiser l’approche de l’Afrique en matière de sécurité collective et de positionner le continent pour qu’il apporte une contribution significative à la paix régionale et mondiale.

L’Afrique devrait revoir en profondeur le concept de sécurité collective et analyser les facteurs qui l’entravent. Elle a besoin d’un mécanisme de coopération qui s’attaque à l’insécurité persistante et s’adapte à l’évolution de la politique mondiale.

L’UA et les organismes régionaux devraient prendre l’initiative d’organiser un dialogue sur l’approche de l’Afrique. Une discussion franche et ouverte est essentielle, notamment sur l’interprétation étroite de la souveraineté et le manque de priorité accordée à la prévention des conflits.

Dawit Yohannes, chef de projet et chercheur principal, Training for Peace, ISS Addis-Abeba

Téléchargez le rapport complet de l’ISS Prévention des conflits régionaux et consolidation de la paix en Afrique : la voie du Nouvel agenda pour la paix ici.

Image : © Union africaine/Twitter

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