L’UA en 2023 : traduire les intentions en action ?

Le Conseil de paix et de sécurité de l’UA reste largement réactif et sélectionne les conflits auxquels il s’attaque.

Le Conseil de paix et de sécurité (CPS) est l’un des organes les plus dynamiques et actifs de l’Union africaine (UA). Créé en 2004 afin de soutenir la prévention et la résolution des conflits, le CPS s’est réuni à plus de 1 120 reprises. Bien que l’approche et le champ d’action du CPS aient considérablement évolué, son ordre du jour est encore trop sélectif, son alerte précoce inefficace et ses décisions manquent de suivi.

Au cours des cinq dernières années, plusieurs conflits graves, tels que ceux du Soudan, du Soudan du Sud, de la Somalie, du Mali et de la République centrafricaine (RCA), ont figuré en bonne place à l’ordre du jour du CPS. Des défis régionaux y ont également été inscrits, notamment l’instabilité politique au Sahel, dans les Grands Lacs et dans le bassin du lac Tchad. Mais, malgré l’attention que le Conseil a pu porter à ces régions, ces conflits se sont aggravés.

D’autres crises brillent par leur absence à l’ordre du jour du CPS, malgré l’urgence et leur impact sur l’Afrique. Citons par exemple le conflit dans les régions anglophones du Cameroun, qui a fait plus de 7 000 morts, la crise constitutionnelle en Tunisie, la guerre civile en Libye et, jusqu’à récemment, la guerre en Éthiopie. Les violences liées aux élections au Zimbabwe n’ont jamais été examinées, et l’insurrection dans le nord du Mozambique, qui a débuté en 2017, n’a été inscrite à l’ordre du jour du CPS que l’année dernière.

Le CPS a fait des déclarations sur certaines de ces questions sans toutefois prendre de décision. Il semble peu probable que le conflit au Cameroun, qui dure depuis cinq ans, et la récession démocratique sans précédent en Tunisie, sous la présidence de Kaïs Saïed, soient examinées, alors que les deux pays sont membres du CPS. Le mandat de la Tunisie au sein du Conseil dure encore un an, et celui du Cameroun deux ans.

La plupart des membres du CPS sont réticents à l’idée de voir les conflits de leur pays inscrits à l’ordre du jour

La plupart des pays membres du CPS sont réticents à l’idée de voir leurs conflits inscrits à l’ordre du jour. Pour éviter toute confrontation, le Conseil préfère se concentrer sur des enjeux thématiques et sur l’insécurité régionale. Il prévoit d’examiner de plus en plus de thèmes relativement nouveaux, tels que la menace des pandémies, la cybersécurité, les technologies émergentes et les nouveaux médias. Ces questions sont certes importantes, mais comment l’UA, par l’intermédiaire du CPS, peut-elle s’attaquer aux problèmes des pays si elle ne les aborde pas ?

L’alerte précoce pour prévenir les crises et adopter des réponses efficaces est également l’une des fonctions vitales du CPS, tout comme la résolution des conflits, l’adoption de sanctions en cas de changements anticonstitutionnels de gouvernement et l’autorisation de déploiement d’opérations de soutien à la paix.

Au fil des ans, l’UA a fait des progrès dans le déploiement de missions militaires de stabilisation au Burundi (en 2003) et au Darfour et en Somalie (en 2007). L’organisation continentale a également suspendu certains de ses pays membres dirigés par des militaires, comme le Togo, la Mauritanie, Madagascar, le Niger, l’Égypte, la RCA, le Soudan, la Guinée, la Guinée-Bissau, le Mali et le Burkina Faso. Enfin, elle a eu recours à la diplomatie préventive pour régler de multiples conflits en Afrique.

L’UA s’est engagée à faire taire les armes d’ici 2030, même si elle n’a pas été capable d’atteindre cet objectif selon le calendrier initial. Le déploiement d’opérations de soutien à la paix dans le bassin du lac Tchad et en Somalie a permis de faire de modestes progrès dans la mise en place de la Force africaine en attente. L’UA a également approuvé la mission de la Communauté de développement de l’Afrique australe au Mozambique pour lutter contre l’insurrection dans le nord du pays.

Pour éviter toute confrontation, le CPS se concentre sur des questions thématiques et l’insécurité à l’échelle régionale

Pourtant, l’approche du CPS reste plus réactive que proactive. Le fait que les États membres invoquent leur souveraineté constitue un obstacle de taille. Le déploiement de la Mission africaine de prévention et de protection au Burundi en 2015 a montré que le Conseil pouvait intervenir dans une crise en recourant à l’article 4 (h) de l’Acte constitutif de l’UA, qui autorise son intervention dans les conflits au sein des États membres.

Mais le revirement des dirigeants des pays membres du CPS et l’annulation de la mission ont affaibli la détermination du Conseil à intervenir en cas de conflit. Le CPS n’a plus jamais fait usage de l’article 4 (h), ce qui a limité la capacité de réaction de l’UA. Au contraire, le Conseil s’est appuyé sur les communautés économiques régionales pour mener à bien ce mandat, conformément au principe de subsidiarité qui donne la primeur aux régions.

Le principal point faible du CPS réside toutefois dans le décalage entre ses nombreuses décisions et leur mise en œuvre. Le Conseil a bien imposé des sanctions en réponse aux coups d’État militaires tentés ou réussis au Mali, en Guinée, en Guinée-Bissau, au Soudan et au Burkina Faso. En suspendant ces pays de l’UA, le CPS a manifesté son intransigeance à l’égard des changements anticonstitutionnels de gouvernement et son engagement en faveur de l’État de droit.

Mais la réponse qu’il a apportée aux coups d’État au Tchad et au Soudan a révélé des incohérences. La décision prise par le Conseil en mai 2021 d’approuver la transition militaire au Tchad semble indiquer une approche sélective et un retour en arrière. La suspension du Soudan en 2019 a été saluée comme étant son action la plus rapide à ce jour. Cependant, l’approbation ultérieure par le CPS d’un accord de partage du pouvoir avec les putschistes pourrait être considérée comme contraire à la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance.

Le principal point faible du CPS est le décalage entre ses décisions et leur mise en œuvre

Ces contradictions jettent le doute sur l’engagement de l’UA à faire respecter ses politiques en matière de bonne gouvernance et de démocratie. Il n’est pas surprenant que les forces armées du Burkina Faso aient organisé un nouveau coup d’État en octobre 2022, le deuxième en un an, faisant craindre par là-même que cette nouvelle insécurité en Afrique n’en soit qu’à ses débuts.

Le CPS a récemment revu la feuille de route de l’UA visant à faire taire les armes et a élaboré un cadre de suivi et d’évaluation. Il a également mis en place un sous-comité au CPS sur les sanctions et un comité d’experts. Il peut s’appuyer sur ces acquis en apportant des réponses opportunes et proactives aux défis sécuritaires croissants que connaît l’Afrique.

Cela nécessitera une meilleure capacité à prévenir les conflits et à agir rapidement lorsqu’ils surviennent. Le CPS doit également s’attaquer aux situations nationales controversées qui étaient jusqu’à présent absentes de son ordre du jour. Il sera tout aussi important de garantir le financement de la lutte contre le terrorisme et d’accélérer la mise en œuvre des décisions prises par l’UA en mai 2022 sur le terrorisme et les changements anticonstitutionnels de gouvernement. Comme il sera également essentiel de procéder au suivi régulier de la mise en œuvre de ses décisions.

Équipe de l’ISS chargée du rapport sur le CPS

Image : © African Union/Flickr

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