Trump donne-t-il un blanc-seing à la corruption des entreprises américaines ?
Suspendre la loi réprimant les pots-de-vin à l’étranger remet en cause un demi-siècle de lutte contre la corruption.
Le décret pris cette semaine par le président des États-Unis Donald Trump pour suspendre l’application de la loi sur les pratiques de corruption à l’étranger (Foreign Corrupt Practices Act, FCPA) aura probablement un effet néfaste en Afrique, où la corruption draine environ 10 milliards de dollars américains par an, certaines estimations allant jusqu’à 140 milliards de dollars.
La FCPA, adoptée en 1977, interdit aux entreprises et aux particuliers américains (ainsi qu’aux entités étrangères ayant un lien avec les États-Unis) de corrompre des agents publics étrangers. Ce « lien » peut être aussi ténu qu’un simple appel téléphonique, un courriel ou un SMS envoyé ou reçu des États-Unis pour une transaction commerciale frauduleuse, ouvrant ainsi à la loi un vaste champ d’application.
David Lewis, fondateur de l’organisation sud-africaine Corruption Watch, a déclaré à Currency que la FCPA était « incontestablement l’instrument anticorruption le plus efficace au monde », et que sa suspension augmenterait la corruption. Il se référait à l’Afrique du Sud, même si cette loi a servi de base aux poursuites judiciaires dans toute l’Afrique.
Trump a décidé de suspendre la FCPA pendant 180 jours, afin d’examiner son fonctionnement. Il a déclaré que cette loi avait été graduellement « appliquée au-delà de sa portée, voire détournée au détriment des intérêts des États-Unis ». Elle aurait réduit la compétitivité des entreprises américaines dans « l’obtention d’avantages commerciaux stratégiques, notamment de minerais essentiels, de ports en eau profonde ou d’autres infrastructures ou actifs clés. »
Pour Trump, la pénalisation par la FCPA des entreprises américaines qui versent des pots-de-vin à des gouvernements étrangers les désavantageait par rapport aux entreprises d’autres pays qui ne pénalisent pas la corruption.
La FCPA interdit aux entreprises ayant un lien avec les États-Unis de corrompre des agents publics
Cette décision était similaire à d’autres décrets émis par Trump durant les trois premières semaines de son mandat, sabrant les restrictions, les réglementations et autres contrôles pesant sur les entreprises américaines, privilégiant leurs intérêts à ceux des citoyens ordinaires aux États-Unis et ailleurs.
« [La FCPA] était la première du genre au monde », a déclaré Transparency International (TI) cette semaine. En la suspendant, Trump a porté un coup majeur à la lutte contre la corruption transnationale. « Cela pourrait saper des décennies de lutte contre la corruption transfrontalière et mettre en péril la stabilité internationale. Cette suspension bénéficiera aux acteurs économiques peu scrupuleux qui redoutaient les poursuites pénales des États-Unis. »
TI a déclaré que les États-Unis étaient reconnus comme le leader mondial de lutte contre la corruption transnationale. En 1997, la FCPA avait été internationalisée grâce à l’adoption de la Convention anti-corruption de l’Organisation de coopération et de développement économiques, qui compte aujourd’hui 46 États parties.
Selon François Valérian, président de TI, « l’application de la FCPA par les États-Unis est une référence en matière de lutte contre la corruption. Son assouplissement pourrait s’interpréter comme un aval de la corruption. La corruption transnationale n’est en aucun cas, comme le suggère la décision d’hier soir, une pratique commerciale courante. »
Pour illustrer les résultats obtenus par la FCPA, TI a cité une affaire dans laquelle une multinationale minière aurait soudoyé des fonctionnaires en République démocratique du Congo et au Nigeria afin d’obtenir des contrats lucratifs. Étant donné que cette société était cotée en bourse aux États-Unis, les autorités ont pris des mesures pour violation de la FCPA.
La FCPA fait des États-Unis le leader de la lutte contre la corruption transnationale
Il s’agirait d’une action intentée par le ministère américain de la Justice contre le conglomérat minier Glencore, en Suisse, pour violation de la FCPA et manipulation du cours des matières premières.
Le ministère américain de la Justice a déclaré en 2022 qu’entre 2007 et 2018, Glencore et ses filiales avaient versé environ 79,6 millions de dollars en pots-de-vin, afin d’obtenir et de conserver des contrats avec des entités publiques au Nigeria, au Cameroun, en Côte d’Ivoire et en Guinée équatoriale. Ces accords frauduleux visaient l’achat de pétrole brut et d’essence à la compagnie pétrolière publique du Nigéria et l’obtention de contrats d’exploitation de pétrole brut.
« En RDC, Glencore a avoué avoir versé environ 27,5 millions de dollars à des tiers, avec l’intention de soudoyer des fonctionnaires, afin de s’assurer des avantages commerciaux indus », a déclaré le ministère américain de la Justice. Glencore a plaidé coupable et accepté de payer plus de 1,1 milliard de dollars pour mettre fin aux poursuites.
La FCPA a également servi à engager des poursuites dans plusieurs autres affaires en Afrique. En décembre dernier, la filiale sud-africaine de la société de conseil McKinsey a été condamnée à payer plus de 122 millions de dollars pour mettre fin aux poursuites pour violation de la FCPA. La société avait corrompu des fonctionnaires de Transnet et d’Eskom afin d’obtenir des contrats. Cette affaire s’inscrit dans le démantèlement de la corruption au sein de l’État sous l’ancien président Jacob Zuma.
En 2023, la multinationale minière Rio Tinto a accepté de payer une amende de 15 millions de dollars au titre de la FCPA pour avoir versé 10,5 millions de dollars à un fonctionnaire guinéen afin de conserver certains droits miniers dans ce pays.
McKinsey en Afrique du Sud a été condamnée à payer 122 millions de dollars pour violation de la FCPA
En 2018, le ministère américain de la Justice a utilisé la FCPA pour inculper Jean Boustani, un dirigeant de l’entreprise de construction navale Privinvest, pour avoir corrompu, entre autres, Manuel Chang, alors ministre mozambicain des Finances. Il s’agissait d’autoriser des prêts d’un montant de 2 milliards de dollars au gouvernement de Chang pour l’achat de navires patrouilleurs et de thoniers.
L’année dernière, Chang a été reconnu coupable, par un tribunal de New York, de complot en vue de commettre des actes de fraude au virement et valeurs mobilières et de blanchiment d’argent. Il a, pour le moment, été condamné à huit ans et demi de prison, ainsi qu’à une amende de 7 millions de dollars.
Adriano Nuvunga, directeur du Centre pour la démocratie et les droits de l’homme du Mozambique et ancien président du forum de Monitoria do Orçamento (Forum pour la surveillance du budget), qui a poursuivi Chang devant les tribunaux, a déploré la décision de Trump de suspendre la FCPA.
« Dans des régions vulnérables comme l’Afrique, et surtout dans le secteur extractif du Mozambique, la corruption mine l’exploitation des ressources naturelles, au détriment des communautés locales », a-t-il déclaré à ISS Today. « Le Mozambique souffre des conséquences de la corruption : détournement de fonds, mauvaise gestion, sous-développement, dégradation de l’environnement et pauvreté généralisée. »
« La suspension de la FCPA ne fera qu’encourager la poursuite de l’exploitation et de la corruption sans reddition des comptes. Au lieu de promouvoir la transparence et la justice, cette décision affaiblit les protections essentielles des droits humains et du développement durable. C’est un dangereux retour en arrière qui mérite une condamnation mondiale. »
Du revers de la main, Trump a fait reculer l’horloge d’environ un demi-siècle, à une époque où les entreprises, pour la plupart originaires du Nord industrialisé, versaient régulièrement des pots-de-vin à des fonctionnaires, originaires du Sud en développement, afin d’obtenir des contrats d’exploitation des ressources naturelles ou d’infrastructures. Des pots-de-vin que certains gouvernements européens permettaient à leurs entreprises de déduire de leurs impôts.
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