L'insécurité monte au Cameroun alors que les efforts de réintégration piétinent

Les problèmes de réintégration des anciens membres de Boko Haram rendent difficile la prévention de l'extrémisme violent et du crime organisé.

Les anciens combattants et membres de Boko Haram qui reviennent dans les communautés au Cameroun représentent une menace importante pour la sécurité des civils. L'absence d’une réintégration efficace accroît les risques de retour à la violence des anciens combattants, encouragés par les gains générés par une criminalité organisée croissante, la circulation d'armes illicites et les conflits intercommunautaires.

La première étape d'une réintégration réussie est la sélection des transfuges. Mais elle fait défaut au Cameroun, où les rôles des associés de Boko Haram qui se rendent ne sont pas clairement identifiés. En faisant la distinction entre les combattants, les otages, les messagers, les esclaves ou les logisticiens, il est possible de reconnaître ceux qui demeurent radicalisés et dangereux. Ainsi, à Amchidé, à la frontière nigériane, des sources communautaires ont déclaré à ISS Today que les anciens combattants menacent parfois les civils.

Nord du Cameroun

Nord du Cameroun

Source: ISS
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Un Comité national de désarmement, de démobilisation et de réinsertion (CNDDR) a été créé en 2018, mais le décret qui l'a institué ne mentionne pas les personnes enlevées par Boko Haram. Les otages qui s'échappent et rentrent chez eux sont souvent pris pour des ex-combattants. Les responsables du centre de désarmement, de démobilisation et de réintégration de Méri, dans l’Extrême-Nord du Cameroun, affirment qu’il accueille à la fois des otages et des combattants. Ainsi, outre les omissions dans les textes juridiques, l'absence de filtrage rend difficile la résolution du problème.

Les lacunes du processus de réintégration sont également préjudiciables à ceux qui quittent les groupes extrémistes violents. Les anciens associés peuvent faire l'objet de représailles de la part des victimes de Boko Haram, car aucune poursuite ou réconciliation n'a eu lieu pour prouver leur innocence ou leur culpabilité. Par exemple, à Mayo-Moskota, de nombreux cas d'anciens membres innocents stigmatisés ont été signalés.

Le manque d'infrastructures signifie que de nombreux transfuges de Boko Haram s'intègrent directement dans les communautés

Il y a également un manque de clarté concernant les poursuites à l'encontre des combattants de Boko Haram, même si la stratégie de stabilisation régionale du bassin du lac Tchad et les normes internationales couvrent ce point. Les poursuites judiciaires sont importantes pour la réintégration, car elles contribuent à lutter contre l'impunité et à apaiser les craintes des victimes de Boko Haram. Mais depuis l'ouverture du centre de Méri en 2020, aucun de ses résidents n'a été gracié, exonéré ou condamné pour un acte terroriste avant d'être réintégré dans la communauté.

Cette situation met en lumière un autre problème : le manque d'harmonisation juridique au Cameroun. La loi de 2014 qui impose la peine de mort à toute personne reconnue coupable ou complice d'actes de terrorisme ne favorise pas la réintégration. Et le décret du CNDDR est muet sur l'amnistie ou les poursuites judiciaires à l'encontre des anciens combattants.

Les infrastructures telles que les centres de cantonnement, où les rapatriés séjournent avant d'être réintégrés, font également défaut. La prison secondaire de Méri a été transformée en centre de déradicalisation, mais bien qu'elle ne puisse accueillir que 150 résidents, elle en héberge plus de 2 500, selon le CNDDR. Elle manque également de matériel de formation pour faciliter l'insertion économique des ex-combattants. Un centre de cantonnement régional devrait être construit à Mémé, dans la commune de Mora, qui a été déclarée siège régional du CNDDR pour l'Extrême-Nord.

En raison du manque d'infrastructures, bien des transfuges de Boko Haram préfèrent s'intégrer directement dans les communautés. En 2021, les communes de Mora, Mayo Moskota, Kolofata, Mokolo, Makari, Waza, Logone-Birni et Fotokol abritaient à elles seules 584 anciens combattants et membres. Leur nombre a augmenté depuis.

Des sources communautaires affirment que plus de 100 anciens combattants et membres sont retournés à Boko Haram

Beaucoup d’entre eux vivent également parmi les personnes déplacées à Zamaï. Ils pourraient devenir la cible de représailles de la part des victimes de Boko Haram, ou être attaqués par les insurgés qui les considèrent comme des traîtres.



©Institute for Security Studies

Il est essentiel de disposer de directives nationales sur la réintégration des anciens membres. En 2017, le gouverneur de la région de l'Extrême-Nord a encouragé les combattants de Boko Haram à faire défection, en proposant un programme de sensibilisation et un protocole en trois parties comprenant le triage, la déradicalisation et la réintégration. De retour chez eux, ils se sont engagés à abandonner toute interaction avec Boko Haram, en jurant sur le Coran en présence des membres de la communauté et des autorités traditionnelles et religieuses. Cette initiative a été abandonnée lors de la création de la CNDDR. Toutefois, ses réalisations et ses enseignements devraient inspirer les processus de réintégration en cours.

Selon des sources communautaires, plus de 100 anciens combattants et membres — désillusionnés par leur traitement au centre de Méri ou laissés sans surveillance dans les communautés — sont retournés à Boko Haram depuis la mort du chef Abubakar Shekau en 2021. Les mauvaises conditions de vie au centre de Méri dissuaderaient également de nombreux combattants de se rendre.

En l'absence d'une réintégration réussie, le terrorisme se poursuit dans la région. En parallèle, les vols à main armée, les prises d'otages et les embuscades routières se multiplient. Les armes circulent, augmentant l'insécurité et alimentant les conflits communautaires. La réintégration est essentielle pour réduire la menace de l'extrémisme violent et atténuer la recrudescence de la criminalité organisée liée à la présence d'anciens associés de Boko Haram dans les communautés.

Des directives nationales sur l’organisation de la réintégration des anciens membres sont essentielles

Un processus clair doit être défini, comprenant des étapes, des objectifs, des résultats et des indicateurs. Une approche inclusive de la justice transitionnelle devrait impliquer les communautés locales, les chefs traditionnels, les organisations communautaires, les médias, les chercheurs et le secteur privé.

La législation antiterroriste doit également être harmonisée aux niveaux national et régional. Les principes de désarmement, de démobilisation et de réintégration de la stratégie régionale de stabilisation du bassin du lac Tchad doivent guider ce processus.

Célestin Delanga, chargé de recherche, Bureau régional de l'ISS pour l'Afrique de l'Ouest, le Sahel et le bassin du lac Tchad

Image : © REUTERS / Alamy Stock Photo

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