L’insécurité croissante au Nigeria offre des possibilités d’expansion à Boko Haram
En l’absence de protection de l’État, les communautés du nord-ouest et du centre-nord du Nigeria sont de plus en plus vulnérables.
Publié le 03 août 2020 dans
ISS Today
Par
Malik Samuel
chercheur, Bureau régional de l’ISS pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel
Présent au nord-est du Nigeria, Boko Haram s’étend dorénavant vers le nord-ouest du pays. Ce groupe extrémiste violent profite de conflits locaux, anciens et nouveaux, et de l’insécurité ambiante pour s’implanter davantage dans la région.
Depuis janvier 2019, des milliers de personnes ont été tuées ou blessées dans les États de Kaduna, Katsina, Sokoto et Zamfara, au nord-ouest du pays, tandis que d’autres ont perdu leurs moyens de subsistance. Au moins 23 000 personnes ont été déplacées et des dizaines ont été enlevées contre rançon, alimentant ainsi une économie de la violence.
L’extrémisme croissant dans cette région et dans l’État du Niger, dans le centre-nord du pays, a conduit le chef de Boko Haram, Abubakar Shekau, à congratuler des combattants du nord-ouest qui, selon lui, auraient prêté allégeance au groupe et se montreraient bien disposés à son égard. Les communautés du nord-ouest et du centre-nord du Nigeria, qui ne bénéficient pas de la protection de l’État, sont de plus en plus vulnérables face à ces menaces convergentes.
Nigéria du nord (cliquez sur la carte pour agrandir l'image)
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Plusieurs raisons expliquent cette insécurité. Non résolus, les conflits entre communautés d’agriculteurs et d’éleveurs quant à l’accès à la terre et à l’eau se sont transformés en conflits violents et meurtriers, aux armes sophistiquées. Ces conflits locaux s’intensifient et le gouvernement peine à y répondre de manière efficace et durable.
La criminalité organisée constitue un facteur supplémentaire. Le banditisme, les enlèvements et les vols à main armée alimentent une économie lucrative, notamment grâce au trafic d’armes légères et de petit calibre et d’autres produits de contrebande. Boko Haram tire parti de l’escalade des conflits locaux irrésolus et de la montée de la criminalité organisée pour se développer et recruter.
Les recherches menées dans le Sahel par l’Institut d’études de sécurité (ISS) ont montré que la stratégie des groupes extrémistes violents consiste à exploiter les conflits locaux dans le but de s’implanter au sein des communautés. Ils profitent également des lacunes en matière de sécurité et de protection de la part de l’État afin d’exercer leur propre contrôle sur les économies locales et de garantir leur résilience.
Ce sont les civils qui font les frais de la convergence des dynamiques criminelles et conflictuelles dans le nord-ouest. Entre janvier et juin 2020, ce ne sont pas moins de 608 civils qui ont été tués dans quelque 245 incidents dans les États nigérians de Kaduna, Zamfara, Katsina, Kebbi et Niger. À titre de comparaison, 251 incidents avaient été enregistrés pour l’ensemble de l’année 2019, faisant 1 028 morts.
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À moto et lourdement armés, les pillards déferlent sur les villages, tandis que les forces de sécurité, qui par ailleurs arrivent souvent longtemps après que les attaques ont eu lieu, ne leur opposent que peu, voire pas de résistance. Le 9 juin, des hommes en armes juchés sur plus de 200 motos ont attaqué la communauté de Kadisau dans l’État de Katsina, tuant au moins 20 personnes.
Toujours dans l’État de Katsina, cinq enfants ont été tués par un engin explosif improvisé dans une ferme du village de Yammama le 18 juillet, et au moins 16 soldats ont trouvé la mort dans une embuscade quelques heures plus tard.
Les efforts des armées nationales et de la Force multinationale mixte (FMM) empêchent Boko Haram de tenir ou de gagner du terrain dans le nord-est du Nigeria et dans la région du lac Tchad. Par conséquent, le nord-ouest du Nigeria offre à ce groupe des possibilités d’étendre son territoire.
La capacité de Boko Haram à s’étendre au-delà des frontières de certains États pourrait s’accroître si le groupe réussit sa conquête du nord-ouest. Les États de Zamfara, Katsina et Sokoto sont tous limitrophes du Niger au nord, tandis que l’État nigérian de Niger borde le Bénin, qui fait également partie de la FMM.
Le terrain du nord-ouest convient tout à fait aux opérations et aux tactiques de Boko Haram, ainsi qu’à son besoin de vivre loin des regards. Forêt de Kamuku, qui est plus vaste que celle de Sambisa, s’étend sur plusieurs États du Nigeria. Forêt de Ruma/Kukar Jangarai, qui s’étend de Katsina à Zamfara, et celle de Kwiambana, à Zamfara, feraient d’ores et déjà office de repaires pour les bandits. Ce terrain offre un abri aux membres du groupe et leur donne accès à des ressources.
En cas d’expansion de Boko Haram vers le nord-ouest et le centre-nord du Nigeria, la présence du groupe perturberait fortement les économies locales. En effet, le nord-ouest est le grenier à céréales du Nigeria. Les activités agricoles étant déjà fortement touchées par le conflit avec Boko Haram dans le nord-est, le Nigeria ne peut se permettre de nouvelles perturbations dans une région agricole clé.
Les agriculteurs des États de Zamfara et de Katsina se tiennent déjà à l’écart de leurs terres par crainte d’être attaqués, et la situation ne fera qu’empirer si elle n’est pas résolue. L’explosion récente d’une bombe qui a tué cinq enfants renforce également les suspicions de présence d’engins explosifs improvisés et non explosés.
Boko Haram ignore les frontières lorsqu’il s’agit de recruter, d’attaquer, de voler et de commercer
Le nord-ouest est économiquement attrayant pour Boko Haram. Le groupe s’est lancé à corps perdu dans l’économie des communautés frontalières de la région du lac Tchad afin d’assurer sa propre subsistance. Les mines d’or illégales des États de Zamfara et de Niger seront une aubaine pour le groupe, et l’État de Kaduna regorge de nickel.
Boko Haram avait déjà, par le passé, mené des attaques dans les régions du nord-ouest et du centre-nord, sans toutefois s’y établir. Le chaos qui règne actuellement permet au groupe de construire les types d’alliances locales nécessaires à l’établissement de ses opérations dans ces États.
En l’absence de protection gouvernementale, les membres des communautés vont éventuellement prendre en charge leur propre sécurité. Cela entraînerait davantage de violence, de pertes en vies humaines et moyens de subsistance, et conduirait à une hausse de la prolifération des armes. Dans les États de Kaduna et de Zamfara, des groupes d’autodéfense communautaires ont mené des attaques contre des groupes armés en guise de représailles. Dans l’État de Katsina, des jeunes font également équipe dans le but de protéger leur communauté.
Boko Haram ne se soucie pas des frontières lorsqu’il recrute, attaque, vole et fait du commerce. Le Nigeria doit mettre en œuvre son plan national de transformation du bétail, qui vise à résoudre durablement le conflit entre agriculteurs et éleveurs, origine même de cette crise. Ce plan global repose sur six piliers : investissements économiques, résolution de conflits, maintien de l’ordre public, aide humanitaire, éducation à l’information et communication stratégique, et questions transversales.
Si le problème n’est pas traité de toute urgence, les répercussions des attaques de Boko Haram sur la situation humanitaire ne feront qu’augmenter. Cela entraînera un détournement de ressources qui auraient pu être utilisées pour développer les communautés touchées et améliorer la vie des citoyens.
Malik Samuel, chercheur, Programme Bassin du lac Tchad, ISS Dakar
Cet article a été réalisé grâce au soutien du gouvernement des Pays Bas et du Fonds de résolution des conflits du Royaume-Uni.
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