Les Houthis en Somalie : une alliance aux atouts technologiques ?
Le transfert technologique des drones tueurs à Al-Shabaab et à l’EI en Somalie pourrait redéfinir le conflit dans la Corne de l’Afrique et au-delà.
Le groupe Ansar Allah du Yémen, communément appelé les « Houthis », et les deux organisations terroristes interdites en Somalie, Al-Shabaab et l’État islamique en Somalie (EI en Somalie), sont soupçonnés de resserrer leurs liens.
Quel en serait l’impact sur les outils de guerre, en particulier sur l’utilisation des drones tueurs, l’arme la plus prisée d’Ansar Allah dans ses opérations soutenues par son puissant allié, l’Iran ? Le rapprochement avec le groupe sanctionné par les Nations unies influencera-t-il la perception des groupes extrémistes somaliens dans la région ?
On connait mieux le transfert de technologie entre groupes armés depuis la prolifération des engins explosifs improvisés à la suite des conflits en Irak (2002) et en Afghanistan (2001-2021). L’arrivée de combattants étrangers et l’accès à l’impression 3D ont amplifié la capacité de ces groupes à exploiter les circuits de trafic d’armes, à échanger leurs connaissances, à avoir accès aux composants ou à inspirer des tiers. La prolifération des drones militaires en Afrique encombre davantage cet espace.
Jusqu’à présent, Al-Shabaab utilisait les drones à des fins de propagande, de renseignement et de surveillance, non pour attaquer. Les observateurs de l’ONU décrivent ses relations avec Ansar Allah comme « transactionnelles ou opportunistes », les deux parties ayant des intérêts communs dans les itinéraires de contrebande et l’accès aux sources de revenus.
Toutefois, Al-Shabaab pourrait tenter d’en avoir un usage plus meurtrier. Les observateurs de l’ONU notent que lors de réunions entre les deux groupes en 2024, les dirigeants d’Al-Shabaab ont demandé à Ansar Allah des « armes et une formation de pointe ».
Al-Shabaab a des armes et Ansar Allah des itinéraires de contrebande et de l’argent
Ansar Allah affectionne l’utilisation de drones, comme en témoignent les attaques contre des navires commerciaux durant la crise de la mer Rouge qui a débuté en 2023. Certains équipements et composants possédés par le groupe provenaient d’Iran, « et il s’agissait probablement de drones de la série Sammad assemblés dans le pays », a déclaré Taimur Khan, responsable des opérations dans le Golfe chez Conflict Armament Research, à ISS Today.
Les Houthis se procurent les composants internes à double usage et fabriquent les fuselages dans leur pays. Ils utilisent également des drones commerciaux standard.
Al-Shabaab, l’EI en Somalie et Ansar Allah ont tout à gagner à collaborer. Un rapport de la Fondation Carnegie pour la paix internationale, qui relate des entretiens avec des garde-côtes, révèle que « la porosité des côtes somaliennes garantit au groupe un accès aux fournitures iraniennes d’équipements chinois, nécessaires à son programme de drones et de missiles soutenu par l’Iran ». Les groupes armés somaliens bénéficieraient d’un entraînement et de drones plus sophistiqués.
L’EI en Somalie teste également des drones. En janvier, il a effectué ses premières frappes de drones contre la force de sécurité du Puntland. Au cours des six mois précédents, les responsables de la sécurité ont saisi cinq drones d’attaque « envoyés par Ansar Allah [...] et appréhendé sept personnes » liées aux deux principaux groupes extrémistes somaliens.
Les observateurs de l’ONU ont aussi déclaré qu’en mai 2024, l’EI en Somalie « avait employé des drones pour la reconnaissance et le déploiement limité d’explosifs [...]. Le programme visait à développer des drones d’attaque ». Cette situation suppose que les groupes armés du Yémen et de la Somalie coopèrent ou qu’ils s’inspirent mutuellement.
Les fusils d’assaut sont encore privilégiés, mais la prolifération des drones est inévitable
La possession de drones permet aux groupes de projeter leur puissance. Les médias se concentrent sur les drones suicides ou les drones à vue subjective (avec caméra embarquée) utilisés pour des missions à courte portée. Ils fournissent aux opérateurs des informations en temps réel et constituent « l’une des menaces les plus mortelles pour les civils dans les lignes de front », affirment les observateurs des droits de l’homme de l’ONU en Ukraine. Ils sont une véritable révolution dans les guerres asymétriques et un objet de convoitise pour les groupes armés, notamment Ansar Allah.
Cependant, quelle est la probabilité que ces armes soient régulièrement employées en Somalie ? « Des composants de drones à vue subjective introduits en contrebande au Yémen ont été saisis, mais Conflict Armament Research n’a pas de preuves que [Al-Shabaab] utilise ce type de drones, ce qui n’exclut pas qu’il ne l’ait jamais fait », explique Khan.
Les fusils d’assaut restent la principale arme passée en contrebande dans la région, mais les experts estiment inévitable une prolifération des drones. « Lorsqu’un groupe terroriste adopte cette technologie, les autres groupes, qui n’ont pas nécessairement de liens directs avec celui-ci, ont tendance à l’imiter », explique Khan.
Les routes d’approvisionnement qui servaient déjà à d’autres contrebandes peuvent être réaffectées. Les relations entre Ansar Allah et Al-Shabaab permettent à ce dernier d’accéder aisément à des armes plus sophistiquées, tandis qu’Ansar Allah bénéficie d’itinéraires de contrebande et d’opportunités financières.
Le resserrement des liens avec les groupes extrémistes en Somalie signifie également qu’Ansar Allah — et plus encore l’Iran, son soutien militaire, financier et logistique — gagne en « profondeur stratégique » selon la fondation Carnegie. Grâce à son mandataire yéménite, l’Iran peut « façonner l’architecture de sécurité maritime du golfe d’Aden et du détroit de Bab el-Mandeb », théâtre de nombreuses attaques de navires commerciaux.
Une seule frappe de drone réussie des insurgés changera l’orientation du conflit
Cela risque aussi d’accroître la perception de la menace de ces groupes dans la région, surtout en Éthiopie, en Somalie, à Djibouti et au Kenya. Timothy Walker, chercheur principal sur les questions maritimes à l’Institut d’études de sécurité (ISS), explique que les armées seront ainsi contraintes d’allouer davantage de ressources à leurs défenses aériennes.
Selon Moses Okello, chercheur principal à l’ISS, le transfert de technologies plus meurtrières s’accompagne d’un effet psychologique et diplomatique. Il estime que la simple menace que représentent la possession de drones tueurs ou l’accès aux composants et aux voies d’approvisionnement peut avoir un impact sur la diplomatie, de sorte que « les insurgés pourraient être réticents à participer aux discussions politiques ».
Okello ajoute que pour la mission de soutien et de stabilisation de l’Union africaine en Somalie, la perspective de voir des drones tueurs aux mains d’Al-Shabaab est alarmante. Il précise : « Les drones offensifs ne sont pas encore opérationnels, Al-Shabaab serait en train d’intégrer des charges utiles aux drones commerciaux ». Une seule frappe de drone réussie par les insurgés changera l’orientation du conflit.
Les casques bleus savent que, pour l’instant, les fusils d’assaut restent l’arme privilégiée en Somalie. Toutefois, le partage technologique et de l’expertise avec un acteur clé de la guerre complexe menée par procuration au Yémen pourrait remodeler le conflit dans la Corne de l’Afrique et au-delà.
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