ISS

Les drones : un outil de propagande pour les groupes armés en Afrique ?

La récente attaque contre la Russie par des drones ukrainiens montre la puissance de ces engins au front et au-delà.

Les drones se développent rapidement en Afrique que ce soit sur le plan de leur fabrication, de leur déploiement ou de leur utilisation, impliquant un ensemble complexe d'acteurs et de mandataires. Ils fournissent non seulement des renseignements et une force meurtrière, mais servent aussi d’outil de diffusion de propagande aux groupes armés non étatiques, à grande échelle et à grande vitesse.

À ce jour, neuf groupes armés en Afrique se seraient dotés de drones militaires, au Burkina Faso, en République démocratique du Congo (RDC), au Kenya, en Libye, au Mali, au Mozambique, au Nigeria, en Somalie et au Soudan. La perspective d'utiliser des drones à de multiples fins semble donc s'élargir.

Les chercheurs affirment que les acteurs non étatiques violents utilisent « les drones pour leur propagande, à la fois pour faire la publicité de leurs nouvelles capacités aériennes et de leurs effets et pour diffuser des images cinématographiques saisissantes de leurs succès opérationnels ».

L'Afrique devrait prendre note de la manière dont les nouvelles technologies permettent aux acteurs de la menace de projeter leur puissance dans les airs et au sol. Le coût abordable des drones et le transfert du savoir-faire entre les groupes armés et leurs affiliés rendent de plus en plus probable l'intégration des drones dans leurs arsenaux. Ces groupes, dont l'État islamique, ont été considérés comme les premiers à utiliser les drones au Moyen-Orient.

Les drones, ou systèmes aériens sans pilote (UAS) et véhicules aériens sans pilote (UAV), illustrent clairement la démocratisation de la technologie. Les armées africaines et les groupes armés non étatiques les utilisent à des fins meurtrières. Ils se servent également des modèles amateurs bon marché et des drones produits localement, comblant ainsi le fossé entre leurs capacités respectives (réelles ou perçues).

Neuf groupes armés non étatiques en Afrique posséderaient des drones militaires

L'utilisation de drones amateurs et commerciaux par les groupes armés en Afrique est intervenue plus tardivement qu'au Moyen-Orient. Cependant, la guerre entre l'Ukraine et la Russie a été une source d’inspiration et d'adaptation technologique pour les acteurs étatiques et non étatiques en Afrique et au-delà. L'opération « Toile d'Araignée » menée par l'Ukraine le 1er juin a montré l'ampleur de la guerre des drones, avec l’introduction clandestine quelques mois auparavant de 117 drones, selon les affirmations ukrainiennes, pour cibler l'infrastructure militaire russe.

Outre les dommages physiques infligés par les UAS, il y a leur valeur d’outil de propagande — un effet qui a beaucoup moins attiré l'attention des médias et des universitaires que les attaques. Si les gouvernements disposent de machines de propagande bien huilées, les groupes armés non étatiques utilisent les drones pour exercer leur influence de deux manières.

Tout d'abord, prétendre utiliser des UAS envoie un message psychologique important. C'est particulièrement vrai dans la « course aux armements », où des mandataires fournissent des drones amateurs et des drones militaires à des groupes armés, augmentant la capacité de projection de leur puissance. Selon Maria-Louise Clausen, de l'Institut danois d'études internationales, « le statut et le prestige associés à la possession de drones peuvent devenir un objectif principal ».

Ensuite, les UAS sont un moyen pour collecter des informations en fournissant des vidéos, des photos et des sons à partager en ligne et via des sites de messagerie sociale. En Afrique et au Moyen-Orient, on trouve des exemples de ces deux types d'outils. Le groupe Ansar Allah au Yémen, plus connu sous le nom de « Houthi », a récemment mené une guerre de drones dans la région. Elle leur a permis de remporter des succès tactiques et symboliques, qui pourraient encourager leurs alliés en Somalie, au fur et à mesure que les groupes armés développent des alliances plus étroites.

La valeur propagandiste de la possession d'un drone est « particulièrement évidente » avec ce groupe, comme l’affirme Kerry Chávez, qui décrit comment les Houthis « commercialisent explicitement leur utilisation de drones », expliquant que le simple fait de « lancer un drone est une déclaration ». Les Houthis font partie des 57 groupes armés dans le monde qui, selon Chávez et d'autres, les utilisent à des fins cinétiques et non cinétiques.

La propagande d'Al-Shabaab à l’aide de drones pourrait s'étendre grâce aux autres groupes armés

Les outils de communication et l'imagerie visuelle ont une valeur symbolique majeure. Dans le cas de l'État islamique et de ses affiliés, les chercheurs ont constaté que « l'imagerie des drones est un élément important de leur machine médiatique de propagande ». Alors que les États ont traditionnellement monopolisé le contrôle de l'espace aérien, ils soutiennent que l’utilisation des drones par des acteurs non étatiques armés peuvent « symboliquement saper l'autorité souveraine [de l'État] ».

Al-Shabaab, en Somalie, a également exploité cette technologie. Les images d'un drone militaire abattu, diffusées sur les chaînes d'information du groupe en 2016, ont donné une première indication du potentiel de propagande des drones — soit en les possédant, soit en détournant ceux d'un adversaire et en vantant ses mérites publiquement. Les armées des États utilisent la même tactique.

En outre, selon le Combating Terrorism Center, les séquences vidéo de l'attentat meurtrier de janvier 2020 à Manda Bay, au Kenya, ont montré que l'appareil médiatique d'Al-Shabaab était « particulièrement doué pour les [opérations psychologiques] ». En effet, le programme de propagande par drone d'Al-Shabaab pourrait encore s'étendre avec le renforcement des liens du groupe avec d'autres groupes armés, en particulier Ansar Allah qui intègre de manière agressive la technologie des drones dans ses arsenaux.

Au Sahel, des groupes tels que Boko Haram et la Province d'Afrique de l'Ouest de l'État islamique expérimentent également des vidéos de propagande diffusées par drone. Dans un document rédigé pour le Global Network on Extremism and Technology, Francis Okpaleke explique que ces vidéos « servent non seulement d'outil de recrutement, mais aussi à démontrer les prouesses technologiques, renforçant ainsi la perception de légitimité et de pouvoir du groupe ». Elles peuvent également aider à collecter des fonds en positionnant le groupe comme progressiste sur le plan technologique.

En RDC, l'Institut des Nations unies pour la recherche sur le désarmement a constaté en 2024 que les Forces démocratiques alliées utilisaient des UAS pour « enregistrer des vidéos et prendre des photos de leurs camps à des fins de propagande ». Cette évaluation était basée sur des entretiens avec d'anciens combattants et des personnes qui avaient été enlevées, par l'intermédiaire du Groupe d'experts des Nations unies sur la RDC.

Les Houthis font partie des 57 groupes armés dans le monde qui utilisent des drones

Outre la collecte de vidéos ou de photos par des drones à des fins d'influence ou de positionnement stratégique, l'intelligence artificielle (IA) permet de multiplier considérablement les succès des opérations de propagande. Chávez a déclaré à ISS Today que « l'introduction de l'imagerie dans l'IA en ligne permet d'économiser la production et la diffusion de la propagande » en facilitant une publication rapide d’une nouvelle version du matériel.

Le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté de nombreuses résolutions sur l'utilisation abusive des UAS, mais les actions futures devraient se concentrer sur la surveillance et la sensibilisation aux risques, tout en notant les avantages d’une telle technologie en termes de développement.

Une initiative pour relancer le mémorandum de Berlin sur les bonnes pratiques de lutte contre l'utilisation des UAS par les terroristes utilise des conférences en ligne et vise une plus grande sensibilisation du public. Par ailleurs, en Afrique, où la contrebande d'armes est monnaie courante, le commerce illicite de pièces détachées de drones mériterait d'être approfondi.

Le fait que les grandes puissances mondiales, y compris la Russie, peinent à détecter ou à intercepter les drones introduits illégalement, tels que ceux déployés récemment par l'Ukraine, rappelle à quel point les UAS militarisés s'avèrent puissants.

Les droits exclusifs de re-publication des articles ISS Today ont été accordés au Daily Maverick en Afrique du Sud et au Premium Times au Nigéria. Les médias basés en dehors de l'Afrique du Sud et du Nigéria qui souhaitent republier des articles ou faire une demande concernant notre politique de publication sont invités à nous écrire.

Partenaires de développement
L’ISS tient à remercier les membres du Forum de partenariat de l’Institut, notamment la Fondation Hanns Seidel, l’Open Society Foundations, l’Union européenne, ainsi que les gouvernements du Danemark, de l’Irlande, de la Norvège, des Pays-Bas et de la Suède.
Contenu lié