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L’Afrique doit faire entendre sa voix dans la crise en mer Rouge

L’appel des pays africains à des solutions diplomatiques devrait s’accompagner d’une action de l’UA pour protéger les intérêts du continent.

La crise de la mer Rouge est désormais une priorité du Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU), qui s’est déjà réuni à trois reprises cette année à ce sujet. Après plusieurs mois d’attaques des Houthis contre des navires en mer Rouge et dans le golfe d’Aden, les pays concernés se sont coalisés et sont intervenus militairement le 11 janvier afin de réduire les capacités maritimes des Houthis au Yémen.

La campagne des Houthis a débuté peu après l’escalade du conflit entre Israël, le Hamas et Gaza en octobre 2023, dans une apparente démonstration de solidarité avec les Palestiniens afin de faire pression sur Israël pour obtenir un cessez-le-feu. Après l’interception par la marine américaine de missiles visant des cibles israéliennes, les Houthis ont ciblé des navires – souvent sans lien avec Israël – passant près des côtes yéménites.

Des attaques de missiles et de drones et des tentatives d’abordage ont plongé la mer Rouge dans la tourmente, de nombreuses compagnies de transport maritime ayant cessé d’emprunter le détroit de Bab-el-Mandeb. En réaction, l’opération multilatérale « Prosperity Guardian » dirigée par les États-Unis a été mise en place,  ainsi que d’autres déploiements navals par des pays tels que la France.

Mer Rouge et golfe d’Aden

Mer Rouge et golfe d’Aden

Source : ISS
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La résolution 2722 du CSNU, adoptée le 10 janvier, exigeait que les Houthis cessent leurs attaques et libèrent tous les marins retenus en otage, tout en soulignant le droit des États membres à défendre leurs navires. La question de savoir si les contre-opérations du 11 janvier sont conformes à la résolution 2722 a retenu l’attention de la communauté internationale, notamment de la Sierra Leone, du Mozambique et de l’Algérie, les trois membres africains non permanents du CSNU (les A3).

Les A3 ont insisté sur la nécessité d’une résolution diplomatique, faisant référence à l’absence de cessez-le-feu à Gaza comme cause première. Elle a également mis l’accent sur l’aspect humanitaire, demandant instamment que des mesures soient prises pour éviter une nouvelle escalade. La Sierra Leone a soutenu la résolution 2722, mais le Mozambique et l’Algérie se sont abstenus, estimant que le lien avec le conflit de Gaza était insuffisamment établi.

La position des A3 reconnaît les implications plus larges de la crise de la mer Rouge sur le commerce international et la paix régionale. Mais les trois pays devraient se pencher à nouveau sur cette question, compte tenu de l’importance stratégique majeure de la mer Rouge et du golfe d’Aden pour l’Afrique. Il y a plusieurs raisons sur lesquelles se fondent les A3 pour ne pas lier l’intervention des Houthis à l’absence de cessez-le-feu à Gaza.

Les rebelles houthis, soutenus par l’Iran, dominent le nord du Yémen, le sud de la mer Rouge et le détroit de Bab-el-Mandeb – un goulot d’étranglement maritime stratégique car cette route est empruntée par une grande partie du transport maritime mondial de grande valeur. C’est là que les Houthis ont commencé à faire pression.

Les attaques des Houthis mettent en péril les importations de céréales et d’engrais est-africaines

Les attaques entraînent le réacheminement de nombreux navires vers le cap de Bonne-Espérance, ce qui perturbe les chaînes d’approvisionnement et augmente les coûts. L’impact immédiat se fait sentir sur l’Égypte, qui dépend fortement des revenus du canal de Suez. Une baisse prolongée du trafic et des revenus du canal pourrait peser sur son économie et sa stabilité. L’Égypte ne s’est pas exprimée ouvertement sur la question, peut-être par crainte que sa population n’interprète cela comme un soutien tacite à Israël au détriment de la Palestine.

L’Afrique est déjà confrontée à des défis économiques complexes. Les effets sur les chaînes d’approvisionnement mondiales se traduiront par une augmentation des coûts et une diminution de la disponibilité des marchandises. L’augmentation des coûts d’expédition due à l’allongement des trajets ou à la hausse des primes d’assurance peut avoir un effet en cascade sur le commerce et les économies mondiales. Cette hausse des dépenses se répercute sur les clients et met en péril la croissance et la reprise économiques qui sont essentielles.

Les attaques des Houthis pourraient se répercuter sur la sécurité et l’environnement dans toute l’Afrique. Les attaques contre les pétroliers ou les accidents provoqués par des erreurs de navigation entraînent un risque de marée noire qui peut se révéler dévastateur pour les écosystèmes marins et les moyens de subsistance des communautés côtières.

Le risque élevé de pollution dans l’ouest de l’océan Indien par le pétrole et d’autres substances dangereuses a déjà soulevé la question de l’adéquation des plans d’urgence des pays africains. L’augmentation du nombre de navires qui font escale dans les ports africains, alors que nombre de ces derniers sont déjà congestionnés, pourrait entraîner des retards supplémentaires, des accidents tels que des déversements d’hydrocarbures lors de l’avitaillement, voire des naufrages.

Dans l’attente de consignes, les navires ralentissent et offrent aux pirates l’occasion de les attaquer

Les céréales et les engrais en provenance d’Ukraine et d’Europe de l’Est représentent une part importante des importations alimentaires de toute l’Afrique de l’Est, et les attaques des Houthis les mettent en péril. L’allongement de la durée du transit entraînera une hausse des prix des denrées alimentaires et une réduction de leur disponibilité.

Le Programme alimentaire mondial (PAM) expédie également des céréales en Somalie. Les attaques de pirates contre ses navires en 2008 ont été le point de basculement de l’action internationale contre la piraterie. Alors que les forces navales et les gouvernements se concentrent sur la crise de la mer Rouge — et que les navires vulnérables s’arrêtent ou ralentissent pour attendre les ordres —, les pirates pourraient facilement frapper à nouveau.

Bien que certains pirates établis en Somalie semblent avoir attaqué plusieurs navires au cours des derniers mois, il est peu probable que la piraterie reprenne au même niveau d’intensité qu’au cours de la période 2008-2012. D’importantes capacités de lutte contre la piraterie subsistent dans la région, même si elles sont actuellement réorientées vers le Yémen. Des capacités navales supplémentaires y sont également attendues.

L’appel à des solutions diplomatiques exige que le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine (CPS-UA) joue un rôle plus important pour aider les États africains à s’orienter en terrain inconnu.

Contrairement aux autres membres du G20, l’Union africaine reste silencieuse sur la question

Contrairement aux autres membres du G20, l’UA est restée silencieuse sur la question. Une réunion du CPS devrait être convoquée pour, au minimum, entendre les recommandations d’initiatives africaines telles que le Code de conduite de Djibouti (DCoC) et l’Addendum au Mémorandum de New York du Forum mondial de lutte contre le terrorisme (GCTF) sur les bonnes pratiques en matière d’interdiction des déplacements des terroristes.

Bien que les États membres du DCoC aient été lents à mettre en œuvre le Code et que ses amendements ne soient pas juridiquement contraignants, le DCoC dispose d’une plateforme d’information et de coordination bien établie. Les actions du DCoC, pilotées cette année par l’Afrique du Sud, et les mesures du GCTF deviendront probablement de plus en plus nécessaires au fur et à mesure que se prolongeront les attaques des Houthis. Ces mesures pourraient contribuer à coordonner les initiatives de lutte contre la piraterie et à dissuader d’autres groupes, à l’instar des Houthis, de commettre des actes de terrorisme, de faire de la contrebande ou du trafic.

Il est essentiel d’empêcher la propagation de ces pratiques, notamment par des groupes tels qu’Al-Chabab en Somalie et au Mozambique. La prolifération des armes iraniennes destinées au Yémen et qui aboutissent dans la Corne de l’Afrique menace déjà la sécurité régionale.

Le CPS sera probablement paralysé par des problèmes concomitants dans la Corne, tels que le différend entre la Somalie et l’Éthiopie et la guerre civile au Soudan. Néanmoins, une réponse africaine commune par le biais d’appels et d’actions soutenus des A3 et du CPS est nécessaire pour promouvoir des solutions diplomatiques à la crise de la mer Rouge.

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