Les déplacés internes, cibles fragiles des conflits armés en Afrique
Au Soudan, en RDC ou au Mozambique, les groupes armés visent les réfugiés et les déplacés pour s’imposer par la terreur.
Pour marquer la deuxième année de guerre civile au Soudan, à la mi-avril, les Forces de soutien rapide (FSR) ont attaqué le plus grand camp de déplacés internes, Zamzam, au nord du Darfour. Environ 400 000 déplacés internes ont été contraints de fuir, certains dans le camp voisin de Tawila, à 60 km, et d'autres, déboussolés, sont retournés chez eux.
Selon les rapports de l'époque, plus de 100 personnes avaient été tuées pendant les quatre jours d’attaque. Cependant, une enquête menée par The Guardian a révélé que ce massacre ethnique avait fait plus de 1 500 morts et qu'au moins 2 000 personnes restaient portées disparues.
Le rapport détaillait également les enlèvements de femmes potentiellement victimes de traite dans les villes voisines. Les miliciens ont commis des violences sexuelles, incendié des propriétés et tiré à l’aveugle. C’était le deuxième plus grand massacre depuis le début de la guerre en 2023, à l’origine de la plus grande crise humanitaire et de déplacement au monde.
Avant l'attaque, Zamzam comptait plus de 700 000 habitants, en majorité des femmes et des enfants. La ville est assiégée par les FSR, qui bloquent l'aide humanitaire. La famine a été déclarée en août 2024 et les habitants souffrent de famine aiguë.
Les FSR et les Forces armées soudanaises (FAS) ont été accusées d’entraver l'aide humanitaire dans les zones contrôlées par leurs rivaux. Les Forces armées soudanaises coupent l'aide à Zamzam et au-delà afin d’affamer les zones contrôlées par les rebelles et d’utiliser la faim comme arme. Les FAS ont également restreint l'acheminement de l'aide vers le Darfour et tenté d’empêcher l'organisme mondial de surveillance de la faim de déclarer une famine.
Les Forces de soutien rapide ont contraint les organisations humanitaires de la région à s'enregistrer auprès de leur institution afin de renforcer sa légitimité. Elles exigent des pots-de-vin pour accorder l'accès, s’ingèrent dans les procédures d’achats, et kidnappent des travailleurs humanitaires.
En vertu des droits de l'homme et du droit humanitaire internationaux, en tant que civils, les déplacés internes sont des « personnes jouissant d'une protection internationale » lorsque leur déplacement résulte d'un conflit armé. Les attaquer ou bloquer l'aide humanitaire constitue un crime de guerre. Cependant, l'application de la loi et la responsabilité restent des défis majeurs.
Le principal instrument international contre ces crimes est la Convention de Kampala de l'Union africaine sur les déplacés internes, que le Soudan n'a pas signée. Il s'agit du premier instrument juridiquement contraignant en Afrique sur cette question, qui contient les mesures de prévention et de préparation aux déplacements internes, ainsi que des directives pour l'interprétation et la mise en œuvre des obligations juridiques.
Attaquer des déplacés internes ou bloquer l'aide humanitaire constitue un crime de guerre
Malgré ces protections, les personnes déplacées sont une cible facile des groupes armés qui cherchent à affirmer leur pouvoir – et ce défi n'est pas propre au Soudan.
Dans l'est de la République démocratique du Congo (RDC), le M23, les Forces démocratiques alliées et la milice wazalendo utilisent des tactiques similaires. En janvier et février, les rebelles du M23 ont pris Goma aux forces armées congolaises. Les combattants ont détruit et pillé la plupart des 28 camps de déplacés, donnant aux personnes déplacées 72 heures pour retourner dans leurs villages.
Environ 350 000 déplacés internes ont fui les camps visés par des tirs d'artillerie lourde et des pillages qui ont détruit plus de 70 000 refuges d'urgence. Des personnes déplacées, à leur retour dans les camps, ont trouvé leurs maisons occupées.
Les violences sexuelles contre les femmes ont atteint des niveaux alarmants dans le Nord-Kivu en 2024, alors que les camps de réfugiés étaient bombardés. La destruction des infrastructures d’eau et d’assainissement à Goma telles que des canalisations, des latrines et des réservoirs d’une valeur de plus de 700 000 dollars américains a provoqué une épidémie de choléra car les populations consomment l'eau contaminée des ruisseaux.
Comme au Soudan, les belligérants ont érigé des barrages routiers et attaqué les travailleurs humanitaires. Ces derniers ont dû emprunter des itinéraires détournés par le Rwanda, payer des frais exorbitants et retarder la distribution d'une aide vitale.
La Convention de Kampala prévoit des mesures pour prévenir et préparer les déplacements internes
Les coupes budgétaires ont limité la capacité des organisations humanitaires. En RDC, l'ONU a gelé une enquête sur des crimes de guerre en raison d'un manque de fonds, empêchant ainsi la justice de faire son travail. La paix dans la région est peu probable dans un proche avenir, malgré les accords négociés par les États-Unis et le Qatar, qui ne prévoient pas non plus de mécanismes de responsabilité.
À Cabo Delgado, au nord du Mozambique, des insurgés ont assailli des infrastructures civiles et lancé des engins explosifs improvisés près des sites des déplacés internes, faisant des victimes parmi les civils. Des miliciens ont tendu des embuscades et pillé l'aide humanitaire, retardant ainsi l'assistance aux communautés.
En mai 2024, des insurgés ont attaqué des sites civils et humanitaires à Macomia, qui accueille le troisième plus grand nombre de déplacés internes à Cabo Delgado. Ils ont kidnappé le personnel humanitaire et pillé des réserves alimentaires, ce qui a conduit le Programme alimentaire mondial à suspendre ses opérations. La situation des déplacés internes reste précaire malgré les progrès en matière de sécurité et le retour de réfugiés chez eux.
Depuis le début de l'année 2025, plus de 95 000 personnes ont fui Cabo Delgado et l'accès humanitaire est difficile. En mai, la plus forte recrudescence de violence depuis mi-2022 a été enregistrée. Les combats se sont intensifiés et, en juin, le Groupe de la protection à l'échelle mondiale a lancé une alerte indiquant que l'extrémisme violent et les cyclones détérioraient la situation.
Contrairement au Soudan, la RDC et le Mozambique sont parties à la Convention de Kampala et figurent parmi les 19 pays africains qui ont élaboré des lois pour refréner les déplacements internes. Cette première étape est utile, mais il faut surtout appliquer ces lois afin de dissuader les insurgés ou de garantir leur responsabilité.
Le Mozambique a instauré une stratégie qui protège les déplacés internes contre de nouveaux préjudices
Le Mozambique a pris certaines mesures dans ce sens en adoptant une politique et une stratégie quinquennales pour la gestion des déplacements internes, fruit d'une collaboration entre le gouvernement, l'agence des Nations unies pour les réfugiés, l'Institut national pour la gestion et la réduction des risques de catastrophe et les autorités locales.
Le nouveau plan vise à protéger les personnes déplacées contre de nouveaux préjudices en soutenant les structures communautaires, en élargissant les possibilités de subsistance et en garantissant des soins appropriés aux groupes vulnérables. Il permet également à certains déplacés internes de retourner chez eux en toute sécurité.
Dans les trois pays, l'absence de responsabilité pour les attaques contre les déplacés internes signifie que les auteurs sont libres de récidiver. Le vide laissé par l'impunité des gouvernements doit être comblé aux niveaux régional et continental. L'adoption d'instruments tels que la Convention de Kampala n'est que la partie visible de l’iceberg. Le plus grand défi réside dans leur mise en œuvre complète.
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