Le trafic d'armes entre la Libye et le Niger reprend de plus belle
Les pays d’Afrique de l’Ouest doivent collaborer pour endiguer le flot d'armes qui pourrait transiter par le Niger.
Publié le 28 juillet 2022 dans
ISS Today
Par
Hassane Koné
chercheur principal, bureau régional pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel
Les saisies d'armes et de munitions par les forces de sécurité dans les régions d'Agadez et de Tahoua au Niger entre janvier 2021 et février 2022 ont contribué à démanteler les réseaux de trafiquants. Ce qui est positif, mais que nous disent les saisies sur l'étendue du problème ? Le trafic d'armes de la Libye vers les pays situés au sud est-il en train de reprendre de l'ampleur ?
Après la chute du président libyen Mouammar Kadhafi en 2011, la circulation des armes en provenance de Libye vers le sud a considérablement augmenté. En 2012, elle a permis aux rebelles touareg du Mali et aux groupes armés opérant au Sahel et dans le bassin du lac Tchad d'acquérir des armes et des munitions dans une période de troubles régionaux généralisés.
Les armes, transportées depuis le sud-ouest libyen par des combattants et des trafiquants touareg, étaient acheminées le long des frontières algériennes et nigériennes. Elles empruntaient les routes qui traversent les régions d'Agadez, Tahoua et Tillabéri, rejoignant le Mali par la zone des trois frontières Niger-Mali-Burkina Faso et le bassin du lac Tchad par la région de Diffa au Niger.
Mais sous l’effet de la présence militaire dans le nord du Niger et du déclenchement de la deuxième guerre civile libyenne en 2014, ces flux d'armes vers le sud ont ralenti. La demande d'armes en Libye ayant augmenté, les groupes djihadistes se sont tournés vers d'autres régions — multipliant les attaques contre les casernes de l'armée au Burkina Faso, au Mali et au Niger pour piller leurs stocks d'armes et de munitions.
Les nouveaux flux d'armes en provenance de Libye ne sont pas aussi importants que ceux qui ont précédé la deuxième guerre civile du pays
Plusieurs facteurs d'insécurité dans le nord du Niger facilitent le trafic d'armes libyennes. Des véhicules de civils et de transporteurs d'or ont été attaqués dans la région de l'Aïr. Le 21 mars 2021, des bandits armés ont tué 137 personnes lors de diverses attaques dans la commune de Tillia. Ces violences ont incité la population des régions d'Agadez, de Tahoua et de Tillabéri à s'armer pour se défendre. Exaspérés par l'incapacité de l'État à assurer leur sécurité, certains civils ont envisagé de créer des milices pour se protéger.
La forte demande d'armes et de munitions a favorisé la poursuite de ce commerce lucratif par les trafiquants. Les stocks rassemblés dans le sud-ouest de la Libye sont vendus à des civils — pour leur autodéfense — et à des groupes armés au Niger, au Mali, au Burkina Faso et au Nigeria. Les armes sont transportées dans des véhicules 4x4, adaptés aux pistes sablonneuses du désert.
Les différents flux pénètrent sur le territoire nigérien par la frontière libyenne, en empruntant des pistes qui contournent ou traversent la passe de Salvador. Ils suivent les anciennes routes commerciales transsahéliennes, évitant les systèmes de surveillance mis en place par les États-Unis et le Niger ces dernières années. Les véhicules qui transportent des armes, cachées la plupart du temps sous d'autres marchandises, empruntent un couloir dans le sens Agadez, Tassara ou Tchin-Tabaradene, pour se rendre au Mali.
Les routes du trafic d'armes vers et traversant le Niger ( cliquez sur la carte pour l'image en taille réelle)
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Le transport d'armes vers le Nigeria suit deux axes. L'un se dirige vers l'est en transitant par la zone de Dirkou vers Diffa ou Tasker (région de Zinder) et l'autre vers le centre par Agadez. Ce dernier se scinde en trois itinéraires : vers Aderbissinat et Zinder, vers Abalak, Tahoua et Birni Nkonni et la route de Madaoua, Guidan Roumji et Maradi.
Les recherches de l'Institut d’études de sécurité (ISS) ont révélé que certains trafiquants stockent des armes et des munitions dans des caches à Agadez et Tahoua avant de les écouler par l'intermédiaire de leurs revendeurs. Ces derniers les livrent dans les régions de Tillabéri, Maradi, Zinder et Diffa auprès de divers acheteurs, dont des groupes terroristes et des bandits transfrontaliers.
D'autres réseaux utilisent des routes secondaires pour acheminer les cargaisons vers la région de Menaka au Mali, où ils commercent avec les acteurs de la violence et du crime organisé dans la région de Liptako-Gourma. Selon les recherches de l’ISS, des armes ont été livrées en mars dans cette zone où des combats se déroulent entre l'État islamique dans le Grand Sahara (EIGS) et la coalition composée du Mouvement pour le salut de l'Azawad et du Groupe d'autodéfense touareg Imghad et alliés.
Une solution à la crise en Libye pourrait accroître le trafic d'armes, la demande locale diminuant
Les nouveaux flux d'armes en provenance de Libye ne sont pas aussi importants que ceux qui ont circulé avant la deuxième guerre civile du pays, qui s'est terminée par un cessez-le-feu en octobre 2020. Toutefois, une solution à la crise actuelle en Libye pourrait accroître le trafic vers les pays voisins, les besoins locaux en armes diminuant.
L'excédent d'armes et de munitions accumulé pendant la guerre civile de 2014-2020 pourrait alimenter les réseaux de trafiquants et être acheminé via le Niger vers les pays du Sahel, du bassin du lac Tchad et des régions d'Afrique de l'Ouest. Il permettrait d'approvisionner divers groupes armés non étatiques et augmenterait l'instabilité régionale.
Face à ce risque, il est nécessaire de renforcer les dispositifs adoptés par le Niger. Il s'agit notamment de la Commission nationale pour la collecte et le contrôle des armes illicites et du renforcement des patrouilles frontalières dans le nord du Niger. Cependant, si le conflit libyen prend fin, une initiative régionale serait mieux adaptée pour prévenir une résurgence des flux d'armes vers le sud. Une telle initiative devrait inclure une meilleure coopération militaire et sécuritaire entre le Niger, l'Algérie et le Tchad, ainsi que des patrouilles frontalières conjointes.
Dans le même temps, la Communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest devrait intensifier ses efforts pour lutter contre la prolifération des armes légères dans son espace. De leur côté, les partenaires internationaux pourraient fournir une assistance mieux adaptée, notamment en matière de renseignement, de soutien aérien et de formation.
Hassane Koné, chercheur principal, Bureau régional de l'ISS pour l'Afrique de l'Ouest, le Sahel et le bassin du lac Tchad.
Image : © Defense News Nigeria/Twitter
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