Comment les groupes terroristes qui opèrent dans le Sahel s'arment-ils ?
Au vu de la baisse du flux d'armes en provenance de Libye, les groupes extrémistes visent désormais casernes militaires et divers stocks nationaux.
Publié le 12 février 2020 dans
ISS Today
Par
Hassane Koné
chercheur principal, bureau régional pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel
Les attaques contre les casernes militaires se multiplient et se font de plus en plus complexes et ambitieuses dans le Liptako-Gourma, zone frontalière aux confins du Burkina, du Mali et du Niger. L’ampleur des dégâts subis par les forces de défense et de sécurité inquiète et soulève la question de la provenance des armes lourdes qu’utilisent les groupes terroristes.
Une étude récente menée par l’ISS portant sur les liens entre l’extrémisme violent, la criminalité organisée et les conflits locaux dans le Liptako-Gourma révèle que les groupes terroristes actifs dans le Sahel utilisent de plus en plus des armes volées lors de pillages de casernes militaires.
Région du Liptako-Gourma (cliquez sur la carte pour agrandir l'image)
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Depuis l’éclatement de la crise au Mali en 2012, l’origine des nombreuses armes qui circulent dans la zone alimente en effet les conjectures. La Libye a été, à un moment, la principale source de ravitaillement en armes. La prolifération d’armes a en effet été liée à la chute du régime de Kadhafi en 2011, suite à l’intervention militaire dirigée par l'OTAN qui a soustrait à tout contrôle une grande partie des importants stocks amassés pendant plus de 40 ans par la Libye.
Le transfert d’armes à partir de la Libye a renforcé les mouvements armés rebelles au Mali en 2012, et facilité l’acquisition d’armes par les groupes terroristes – notamment Al-Qaïda au Maghreb Islamique et le Mouvement pour l’Unicité et la Justice en Afrique de l’Ouest – ou non étatiques qui opèrent dans la région du Sahel.
Cependant, depuis 2013, le flux d’armes provenant de Libye aurait connu une baisse, sous l’effet de divers facteurs. Tout d’abord, l’augmentation des dispositifs militaires au Mali et le renforcement des forces aux frontières avec le Niger et l’Algérie ont permis d’intercepter des cargaisons d’armes destinées aux groupes armés.
L’intensification de la guerre civile en Libye a accru la demande interne en armes
Aussi, l’intensification de la guerre civile en Libye a accru la demande interne en armes, ayant pour corollaire de réduire les transferts vers l’extérieur. Pour autant, les réseaux de trafiquants d’armes continuent de s’approvisionner par le biais de cette filière.
Si ces réseaux de trafic d’armes sont importants, ils sont loin d’être les seuls canaux d’approvisionnement des groupes armés non étatiques. Une partie de leur armement proviendrait de matériel détourné de stocks nationaux mal contrôlés, ainsi que du trafic d’armes ayant servi dans différentes crises qui ont secoué l’Afrique de l’Ouest (notamment au Liberia, en Sierra Leone, en Côte d’Ivoire et au Niger). Certains ports d’Afrique de l’Ouest, indexés par Small Arms Survey comme points de transit de trafics illicites, auraient également servi pour l’acheminement d’armes.
Mais, les récentes attaques contre des casernes militaires isolées, durant lesquelles des assaillants ont subtilisé du matériel, révèlent une nouvelle source de ravitaillement. Les groupes terroristes actifs dans le Sahel procèdent à des attaques d’envergure, qui ciblent garnisons et positions militaires en exploitant leurs vulnérabilités. En s’appuyant sur l’effet de surprise, les assaillants arrivent en grand nombre, sur des motos ou à bord de voitures pick-ups, encerclent les casernes et les pilonnent avec des obus de mortiers ou des roquettes pour déstabiliser leurs défenses.
Ces groupes utilisent en général des véhicules kamikazes pour ouvrir la voie à l’assaut en divers endroits. Les soldats submergés, les assaillants prennent alors contrôle de la caserne et s’emparent d’armes, de munitions et d’autres matériels.
La sécurisation des armureries et des stocks d'armes est devenue un véritable défi pour les États du Liptako-Gourma
En témoignent les nombreuses images de prises de guerre publiées par le Groupe de soutien à l'Islam et aux musulmans (GSIM) et par l’État islamique dans le Grand Sahara (EIGS). De manière théâtrale, les combattants de ces groupes exhibent des quantités d’armes et de munitions volées lors des attaques des camps militaires d’Inates au Niger, d’Indelimane au Mali et de Koutougou au Burkina en 2019 (voir carte ci-dessus).
Ce mode de fonctionnement, qui a permis aux groupes terroristes d’accumuler des stocks importants de munitions et d’armes, tend à devenir la principale source d’approvisionnement, palliant la diminution des flux provenant de Libye et autres anciennes zones de conflit.
Ainsi, la sécurisation des magasins et des armes en dotation devient un véritable enjeu pour les forces nationales de défense et de sécurité dans la région du Liptako-Gourma. Une gestion rigoureuse et efficace des stocks dans les casernes doit être mise en place pour contrôler la sortie des armes et des munitions et pour renforcer leur traçabilité. Afin de prévenir le vol d’armes, des mesures dissuasives sont également nécessaires pour accroître la responsabilité des soldats à l'égard des armes qu'ils détiennent.
Les pays concernés doivent consacrer des efforts supplémentaires pour le renforcement des aptitudes opérationnelles et du moral de leurs soldats face aux attaques et au vol de leurs matériels. Les pays du Sahel doivent se fixer l’objectif prioritaire de juguler la prolifération des armes dans leur espace, en conformité avec la feuille de route de l’Union africaine visant à « faire taire les armes en Afrique d'ici 2020 ».
Hassane Koné, chercheur principal associé, Bureau de l’ISS pour l’Afrique de l’Ouest, le Sahel et le bassin du Lac Tchad
Cet article a été réalisé grâce au soutien du gouvernement des Pays-Bas et du Fonds de résolution des conflits du Royaume-Uni.
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