Adapté – M Haileselassie/DW et Minasse Wondimu Hailu/Agence Anadolu/Getty Images

Le Tigré en proie à un regain de violences

Alors que les tensions montent entre deux factions du FPLT, il faut de toute urgence éviter une nouvelle crise dans la région.

Après deux ans de guerre dans la région éthiopienne du Tigré, l'Accord de cessation des hostilités (CoHA) de 2022 a mis fin aux affrontements entre le gouvernement fédéral de l'Éthiopie et le Front populaire de libération du Tigré (FPLT). Les parties ont convenu de trouver des solutions durables et globales, dont le rétablissement de l'ordre constitutionnel dans la région du Tigré.

Le FPLT a été au pouvoir au Tigré pendant plus de 30 ans. Dans le cadre de l’Accord de cessation des hostilités, le FPLT ne représente plus que 51 % de la nouvelle administration intérimaire du Tigré (TIA), ce qui réduit la tradition de contrôle absolu du parti.

Le FPLT est désormais scindé en deux factions, laissant craindre la menace d’un conflit violent. Les divisions opposent principalement les cadres du parti au sein de la TIA, sous la direction de Getachew Reda (vice-président du FPLT et membre du comité exécutif), et ceux menés par le président du parti, Debretsion Gebremichael.

Les premiers affirment que les seconds tentent de saper et de fragmenter l'administration, réduisant ainsi le contrôle de la TIA sur la gouvernance locale. La faction de Debretsion accuse la TIA de compromettre les intérêts des Tigréens et a récemment affirmé son désaccord avec certaines dispositions de l’Accord, bien qu'elle se soit publiquement engagée à l’appliquer.

Les luttes internes du FPLT pourraient instaurer une nouvelle culture politique dans le Tigré

L'Accord de cessation des hostilités a contribué à la mise en place d'une TIA « inclusive ». Après l’investiture de son parti, Getachew a été nommé président de l'administration intérimaire par Abiy. Bien que le FPLT ait une influence significative sur la TIA, celle-ci comprend des représentants des partis politiques de l'opposition, de la société civile, des forces de sécurité du Tigré et des intellectuels.

De nombreux Tigréens reconnaissent à la TIA le mérite d'avoir amélioré les relations avec le gouvernement fédéral, contribué au retour de déplacés internes, tenté d’établir une séparation entre les instances des partis et l'État, favorisé la liberté des médias et encouragé les rassemblements et la liberté d'expression. En même temps, des critiques se sont parfois élevées pour reprocher à la TIA de ne pas s’attaquer à la criminalité, ni ramener tous les déplacés dans leur lieu d’origine ou de ne pas rétablir complètement l'autorité tigréenne dans son statut d'avant-guerre. Certains territoires sont toujours occupés par les forces érythréennes et amhara.

La TIA a reconnu ses faiblesses à plusieurs reprises, mais affirme que le factionnalisme du FPLT a compliqué sa tâche déjà difficile. Les tensions ont conduit la faction de Getachew à boycotter le 14e congrès du FPLT convoqué en août par la faction de Debretsion. À la suite du congrès, 16 personnalités politiques importantes, dont Getachew, ont été exclues du parti. Le groupe dirigé par ce dernier a toutefois qualifié le congrès d'illégal et sa décision de « nulle et non avenue ».

Les luttes internes du FPLT pourraient toutefois donner naissance à une nouvelle culture politique, à un discours civique et à des débats dans le Tigré. Les deux factions organisent librement des réunions publiques pour gagner des soutiens et ne recourent pas au pouvoir coercitif de l'État pour résoudre leurs différends, comme après la guerre sanglante entre l'Éthiopie et l'Érythrée de 1998 à 2000.

Jusqu'à présent, les forces de sécurité sont en majorité restées neutres

En même temps, diverses composantes de la société tigréenne se sont affirmées et organisées, défiant publiquement les deux factions et les exhortant à éviter la violence. Cela a ouvert l'espace politique aux organes de presse, aux intellectuels, aux organisations de la société civile, aux jeunes et à la diaspora qui ont pu exprimer des points de vue différents sur la politique dans le Tigré.

Des débats sains entre le gouvernement, les partis politiques et les forces sociales émergent, ce qui pourrait encourager une société plus ouverte et une politique apaisée. L'existence même des deux factions peut conduire à un environnement politique plus équilibré et équitable si elles deviennent des partis politiques distincts.

Cependant, la situation reste instable. Les deux factions cherchent à obtenir le soutien des forces de sécurité du Tigré, ce qui pourrait fragiliser la paix. Le groupe de Getachew affirme que la TIA commande les forces de sécurité, ce que réfute la faction de Debretsion. Jusqu'à présent, les forces de sécurité sont en majorité restées neutres, leurs responsables s'engageant à maintenir la paix et à empêcher l'anarchie qui menace le Tigré.

À ce stade, toute action des forces de sécurité du Tigré en faveur de l'une ou l'autre faction plongerait la région dans une recrudescence de la violence. Les deux camps bénéficient d'un soutien populaire, les jeunes exigeant de réels changements du paysage politique. Les forces de sécurité du Tigré étant composées d’une majorité de jeunes, tout faux pas de leur hiérarchie pourrait les entraîner dans une violence difficile à maîtriser.

Le conflit avec le FPLT pourrait entraîner une intervention légitime du gouvernement fédéral

D’autre part, le conflit entre le FPLT et le gouvernement fédéral pourrait donner lieu à une intervention légitime de ce dernier, ce que les Tigréens n'approuveraient pas. Toute tentative de la faction de Debretsion ou d'autres acteurs contre la TIA affectera les intérêts du gouvernement fédéral et pourrait entraîner des interventions militaires et un enlisement de la crise. La région a lutté âprement pour l'auto-administration et l'autodétermination, de sorte que les Tigréens auraient du mal à accepter de telles interventions.

Les retards dans la pleine application de l’Accord de cessation des hostilités pourraient également être à l'origine d’un conflit. Le gouvernement fédéral s'est engagé à faciliter le retour et la réintégration des personnes déplacées et des réfugiés, mais des centaines de milliers d'entre eux restent bloqués. Il y a plus d'un million de déplacés dans le Tigré et plus de 70 000 refugiés au Soudan, confronté lui-même à une guerre civile. Le prolongement de leurs souffrances et frustrations pourraient entraîner une recrudescence de la violence.

Le gouvernement fédéral s'est également engagé à protéger les civils et le Tigré contre les incursions étrangères, mais plusieurs rapports montrent que les forces érythréennes sont toujours présentes dans le Tigré et continuent de commettre des atrocités contre des civils. Récemment, l'envoyé spécial des États-Unis pour la Corne de l'Afrique, l'ambassadeur Mike Hammer a averti que la présence des forces érythréennes pourrait « exacerber une situation déjà tragique ».

Pour éviter une nouvelle guerre dans le Tigré, les factions du FPLT doivent appliquer à la lettre l’Accord de cessation des hostilités et résoudre les tensions politiques. La communauté internationale, en particulier l'Union africaine, les Nations unies et les États-Unis qui ont négocié l’Accord de cessation des hostilités, ainsi que l'Union européenne, doivent persuader les factions du FPLT de résoudre leurs différends de manière pacifique. Toutes les parties à l’Accord doivent également être encouragées à respecter leurs engagements.

Les responsables des forces de sécurité du Tigré doivent rester neutres et éviter d'intervenir en faveur de l'une ou l'autre des factions du FPLT, sous peine de voir la région sombrer dans le chaos.

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