Le Sahel a-t-il vraiment besoin de plus de troupes de l'UA ?

L'UA pourrait faire mieux que d'ajouter à la multitude de forces militaires déployées dans la région.

L’année 2019 a été marquée par une nette recrudescence des attentats et de la violence dans le Sahel, notamment au Burkina, au Mali et au Niger. Les Nations unies y ont recensé plus de 4 000 morts. Malgré l’émergence de la COVID-19, les attaques terroristes n’ont pas faibli.

Le président de la Commission de l’Union africaine (UA), Moussa Faki Mahamat, a déclaré aux chefs d’État et de gouvernement africains, lors du 33e sommet de l’UA tenu en février 2020, que « le continent n’a pas fait preuve de solidarité envers ses frères et sœurs du Sahel ». Les dirigeants africains ont ainsi demandé à la Commission de l’UA de concevoir une feuille de route pour le déploiement éventuel d’une « force composée d'éléments de la Force multinationale mixte et de 3 000 soldats pour une période de six (6) mois afin d'éradiquer les groupes terroristes qui opèrent dans le Sahel ».

Depuis février 2020, plusieurs réunions se sont tenues avec des représentants de la Commission de l’UA et de son département Paix et Sécurité, des responsables de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) ainsi que des membres du secrétariat du G5 Sahel, en vue de finaliser les détails du déploiement initialement prévu pour la mi-juin 2020.

Le Conseil de paix et de sécurité de l’UA, statuant sur l’objectif du déploiement, a émis une directive afin que la Commission de l'UA consulte le G5 Sahel quant à un nouveau concept d'opérations portant sur la composition des forces. Cependant, selon certains diplomates et analystes de la région qui se sont entretenus avec ISS Today de manière officieuse, la présence de troupes étrangères (en particulier les troupes françaises) dans le Sahel n'arrange pas la situation. Ils estiment qu’il est donc nécessaire de déployer une force de l'UA.

Mettre de l'ordre dans les nombreuses initiatives menées dans le Sahel relève d'une tâche colossale, mais cela aiderait énormément

Cependant, est-ce la meilleure manière pour l’UA de contribuer au retour de la paix dans le Sahel ? Des questions se posent également quant à l’utilité de la Force africaine en attente (FAA) et au fait que celle-ci n’a jamais été déployée, alors qu’elle serait pleinement opérationnelle depuis 2016. Dans le même temps, l’Afrique continue à mettre en place des missions militaires ad hoc pour faire face aux situations mêmes pour lesquelles la FAA a été créée.

À ce jour, toutes ces questions, en plus de celle très importante du financement de telles initiatives, restent sans réponse claire. La nouvelle force de l’UA est censée n’être déployée que pour six mois précisément parce qu’il n’y a aucune certitude quant à la durabilité de son financement.

Parallèlement, le Fonds pour la paix de l’UA, actuellement doté d’environ 150 millions de dollars, s'est attiré des éloges pour avoir servi à financer des initiatives de paix moins coûteuses telles que des efforts de médiation et des actions de diplomatie préventive. Bien qu’il ait initialement été prévu que le Fonds finance 25 % des opérations de paix sous conduite africaine, ses niveaux actuels de provision et le caractère imprévisible de ses contributions n’en font pas, à ce stade, une option de financement viable pour une quelconque opération de soutien de la paix. Des questions opérationnelles restent également sans réponse, notamment en ce qui concerne le commandement de la force et son intégration potentielle dans des systèmes existants.

Depuis plusieurs années, le Sahel est le théâtre de diverses initiatives et opérations militaires menées par une pléthore d’acteurs internationaux, régionaux et locaux. La force envisagée par l'UA n'aidera certainement pas à ramener de l'ordre, de la cohérence et une adhésion aux mêmes objectifs dans le bourbier sécuritaire actuel. Des consultations sur le calendrier et la nécessité de déployer une autre force dans la région auraient dû avoir lieu.

Les opérations militaires se succèdent depuis des années, mais les attaques terroristes et les pertes en vies humaines ne cessent d'augmenter

La menace terroriste dans le Sahel est très complexe. Les groupes terroristes sont implantés dans de nombreuses communautés locales et, dans certains cas, ils comblent le vide laissé par l'État. Cette situation est aggravée par une augmentation de la violence intercommunautaire, des conflits pour les ressources et de la criminalité transnationale organisée qui alimente les réseaux terroristes. Au vu de cette complexité, le déploiement de l’UA pourrait certainement être utile à certains égards. Mais est-ce là la meilleure solution ?

À l’heure actuelle, l’on distingue principalement deux types de forces présentes dans le Sahel : celles qui résultent d’initiatives multilatérales et celles qui sont déployées par un seul pays, bien que certains États jouent sur les deux tableaux. Parmi les initiatives multilatérales, il convient de citer la Mission Multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA), la Force Multinationale Mixte et la force du G5 Sahel.

Ensuite, l’on trouve l’opération Barkhane (qui compte environ 5 100 soldats déployés par la France), ainsi que des soldats américains, allemands, belges, britanniques et italiens, tant au sein de la MINUSMA que dans le cadre d’accords bilatéraux passés avec des pays du Sahel (où certains de ces pays ont également des bases militaires). Les bases militaires américaines en Afrique seraient au nombre d'une trentaine, des soldats américains sont présents au Tchad, au Mali et au Niger.

En janvier 2020, le président français Emmanuel Macron a convoqué les chefs d’État des pays du G5 Sahel pour discuter de la situation dans le Sahel et du déploiement des forces françaises. Cette réunion a été provoquée par une vague de critiques concernant l’inefficacité de l’opération française à l’aune de l’augmentation des attaques dans la région. La réunion a abouti à la réaffirmation de leur coopération, à l’annonce d’un soutien renouvelé de la France et à l’envoi de 500 soldats français supplémentaires dans le Sahel. Une autre mission, baptisée « Takouba », regroupe sept pays qui se sont engagés à soutenir l’opération Barkhane et d’autres initiatives militaires en cours.

Pour être réellement utile, l'UA doit mettre de l'ordre dans la myriade d'initiatives déjà en place

Si l’UA veut s’impliquer pleinement et être réellement utile dans le Sahel, elle doit œuvrer à mettre de l’ordre dans cette myriade d’initiatives. Dans le cas contraire, le déploiement prévu pourrait ne contribuer, au mieux, que marginalement à l’amélioration de la situation.

Selon des sources proches des cercles décisionnels, un tel effort devrait faire l’objet d’une réflexion approfondie et d’un plan d’action clair qui nécessiterait, notamment, le soutien des pays du Sahel, des principaux acteurs extra-régionaux et des organisations régionales concernés.

En outre, le déploiement éventuel de 3 000 soldats de l’UA renforce la logique de la pertinence et la primauté de la solution militaire, une approche remise en question par plusieurs analystes. Les opérations militaires visant à lutter contre l'extrémisme violent dans le Sahel et le bassin du lac Tchad se succèdent depuis des années, mais les attaques terroristes et les pertes en vies humaines se multiplient. Des études montrent qu'une approche holistique incluant la résolution des problèmes structurels pourrait aboutir à de meilleurs résultats. Certains préconisent également d'envisager le dialogue avec les terroristes.

Mettre de l'ordre dans les nombreuses initiatives existantes dans le Sahel est une tâche colossale, mais cela contribuerait de façon considérable à l’obtention de solutions. Enfin, l’UA doit également mettre à profit l’architecture de paix et de sécurité qu’elle s’est efforcée de mettre en place, notamment la FAA, pour mobiliser des contingents et mener des activités non militaires. La multiplication des interventions ad hoc nuit aux efforts visant à établir des mécanismes à long terme et entraîne un gaspillage de ressources que le continent ne peut se permettre.

Mohamed M Diatta, chercheur, Rapport CPS, ISS Addis-Abeba

Cet article a initialement été publié dans le Rapport sur le Conseil de paix et de sécurité de l'ISS.

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