Les sommets de haut niveau ne régleront pas l’insécurité au Sahel
Bien que la lutte contre le terrorisme puisse bénéficier d’un soutien extérieur, au vu de son caractère transnational, seules les communautés affectées peuvent y apporter des solutions durables.
Les attaques terroristes dans le Sahel ont quintuplé depuis 2016. Outre les nombreuses victimes civiles, le personnel militaire et les forces internationales présentes dans la région sont également de plus en plus ciblés.
Le Global Terrorism Index (indice mondial du terrorisme) classe le Mali et le Niger parmi les 10 États les plus touchés par le terrorisme en Afrique en 2019. Au cours du dernier trimestre de cette année, près de 200 soldats, dont 100 Nigériens et plus de 90 Maliens, ont été tués lors d’attaques revendiquées par, ou attribuées à, des groupes extrémistes violents. Le 26 novembre 2019, la France a perdu 13 soldats au Mali pendant une opération antiterroriste.
C’est dans ce contexte d’insécurité croissante que les chefs d’États du G5 Sahel (composé du Burkina, du Mali, de la Mauritanie, du Niger et du Tchad) se sont réunis avec la France (forte de 4 500 soldats dans l’espace du G5 Sahel), lors d’un sommet de haut niveau à Pau, en France. Officiellement, l’objectif principal de ce sommet était de renforcer les opérations de lutte contre le terrorisme sous les auspices du G5 Sahel. Vu sous un angle différent, il était aussi centré sur les objectifs de politique étrangère de la France.
Les États du G5 Sahel sont dans l’impasse et ne peuvent pas prétendre à une victoire militaire totale
Le président français Emmanuel Macron souhaitait désamorcer les critiques nées après la mort de soldats français dans un accident d’hélicoptères au Mali, et montrer que son pays intervient à la demande des gouvernements des pays sahéliens concernés (voir carte). Le sommet est également apparu comme une occasion pour la France d’obtenir des éclaircissements de la part des chefs d’États présents quant aux récentes manifestations contre la présence militaire française dans des pays comme le Mali.
La déclaration finale du sommet du G5 Sahel marque une continuité dans la doctrine axée sur la sécurité, au détriment d’enjeux tels que le développement et une gouvernance responsable. L’échec de la stratégie actuelle du G5 Sahel est en partie dû au déséquilibre entre ces différents piliers, au mauvais enchaînement des actions et à une prise en compte insuffisante de la question de la gouvernance.
Le Mali et le Burkina ont connu des attaques successives dans la région du Liptako-Gourma, une zone rurale transfrontalière aux confins du Burkina, du Mali et du Niger, qui présente des conditions favorables aux activités terroristes (voir carte).
Le G5 Sahel et la région du Liptako-Gourma (cliquez sur la carte pour agrandir l'image)
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L’incapacité des États à intégrer ces régions frontalières dans leurs politiques nationales et à promouvoir leur développement a conduit au désintérêt, voire au rejet, de l’autorité étatique. Ce rejet est lié aux actions, mais aussi à l’inaction, des gouvernements, et a fortement facilité le travail des entrepreneurs de la violence.
Les manifestations publiques qui ont eu lieu dans plusieurs pays sahéliens, notamment au Mali, témoignent d’un déficit de légitimité de la France aux yeux des communautés locales, et ce, après avoir été accueillie quasiment comme « libératrice » en 2013.
Celles du 10 janvier – trois jours avant le sommet de Pau – visaient à faire parvenir un message fort, à la fois à la France et à la délégation du Mali. Des centaines de Maliennes et de Maliens se sont rassemblés autour du Monument de l’Indépendance dans la capitale Bamako, où le drapeau français a été brûlé et des banderoles arborant des slogans tels que « À bas la France » ont été brandies.
Dans ce contexte, le sommet du G5 Sahel vient rappeler que, depuis 2012, début de l’escalade de la crise au Mali, puis plus généralement au Sahel, les cinq États n’ont pas réussi à reprendre en main la sécurité de leurs territoires. Il semble évident que la crise dans le Sahel se trouve dans l’impasse, les États n’étant pas en mesure de remporter une victoire militaire totale.
Le sommet du G5 Sahel s’est concentré sur la sécurité, au détriment du développement et d’une gouvernance responsable
Les dirigeants du G5 Sahel doivent reconnaître que les réponses militaires musclées ne font souvent qu’aggraver la situation sécuritaire. La lutte contre le terrorisme doit comprendre des réponses plus diversifiées, en intégrant des approches non militaires.
Des États tels que le Mali pourraient examiner la possibilité d’engager des pourparlers avec des insurgés, dans le but d’éventuellement obtenir des cessez-le-feu locaux, avant d’élargir le champ du dialogue. Ou, à tout le moins, il pourrait s’agir de faciliter les discussions entre communautés locales, afin de mieux comprendre les causes profondes de l’extrémisme violent.
Le Mali a déjà fait un pas dans ce sens avec la récente initiative du Haut représentant du Président malien pour le Centre, Dioncounda Traoré, visant à établir un dialogue avec deux dirigeants du Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans. Tant que ces nouvelles approches ne seront pas mises à l’épreuve, les dirigeants continueront à opter pour des stratégies coercitives de court terme qui peuvent apporter des gains politiques rapides.
La recrudescence de la violence dans le Sahel est principalement le fait de dizaines d’années de mauvaise gouvernance
Bien que la lutte contre le terrorisme puisse bénéficier d’un soutien extérieur, au vu de son caractère transnational, seules les communautés affectées peuvent y apporter des solutions durables. La décision de convoquer le sommet du G5 Sahel en France, loin des réalités des personnes touchées par la violence terroriste, renforce l’idée d’une ancienne puissance coloniale paternaliste agissant dans les États du Sahel. Cela ne contribue guère à instaurer la confiance entre les gouvernements des pays touchés et leurs populations, élément essentiel à leur stabilisation.
Par exemple, l’établissement ou le renforcement de réseaux d’échange inclusifs qui mettent en évidence les besoins d’une communauté et les obligations de ses représentants au niveau de l’État pourrait permettre de créer les conditions favorables à un dialogue fructueux. Il ne s’agit pas uniquement pour ces réseaux de prévenir et d’atténuer les tensions, mais également de permettre aux communautés de s’impliquer davantage dans les discussions concernant leur sécurité.
L’instauration de la confiance repose également sur une meilleure gouvernance, notamment en ce qui concerne l’accès aux services sociaux et à la justice. Ainsi, l’on constate que certaines communautés ont recours à la protection offerte par les groupes extrémistes violents dans les régions où l’État n’arrive pas à garantir la sécurité des populations.
L’intensification de la violence dans le Sahel, due au terrorisme mais aussi à la résurgence de conflits locaux, est avant tout le fait de décennies de mauvaise gouvernance dans les pays touchés. La négligence de longue date des communautés dans les zones rurales éloignées et l’incapacité à engager de manière constructive la population croissante des jeunes ont également permis aux groupes terroristes d’exploiter ces lacunes.
L’action militaire ne peut avoir qu’un impact limité en l’absence de réponses politiques cohérentes aux niveaux local, national et régional. Les gouvernements doivent faire participer les communautés touchées à l'élaboration des solutions aux défis structurels auxquels elles sont confrontées. C’est par l’introspection et en prenant des mesures fondées sur les préoccupations des communautés locales que l’on pourra réduire la propension à constamment solliciter des solutions de l'extérieur.
Akinola Olojo, ISS Pretoria, Baba Dakono et Ibrahim Maïga, Bureau régional de l’ISS pour l’Afrique de l’Ouest, le Sahel et le bassin du lac Tchad
Cet article a été réalisé grâce au soutien des gouvernements des Pays Bas et du Danemark, ainsi que du Fonds de résolution des conflits du Royaume-Uni.
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