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Le partenariat de sécurité maritime entre la Somalie et la Turquie connaît des turbulences

La Somalie tire parti des ressources maritimes inexploitées pour nouer des alliances dans une région instable.

La Somalie et la Turquie ont conclu un nouveau partenariat économique et de défense. Cet accord s'inscrit dans un réseau complexe de pactes maritimes impliquant les droits souverains de la Somalie et témoigne du rôle croissant de la gouvernance maritime dans la paix et la sécurité de la région.

À première vue, l'accord étend le soutien offert par la Turquie à la Somalie en matière d'aide humanitaire, de lutte contre la famine et de développement des infrastructures. Il accorde 30 % des revenus maritimes provenant des activités dans la zone économique exclusive de la Somalie à la Turquie en échange du renforcement des capacités de sécurité maritime de la Somalie par la formation, les opérations conjointes, le partage d'informations et les acquisitions navales.

Le renforcement des institutions et de la sécurité maritime est primordial pour la Somalie, car le pays est situé à cheval sur des voies de navigation stratégiques mondiales, bordant le golfe d'Aden et l'océan Indien. La mission de transition de l'Union africaine en Somalie a pu maintenir le pays dans une certaine stabilité, mais a failli quant à la sécurité maritime. Les initiatives de renforcement des capacités de l'Union européenne et des agences des Nations unies, ont tenté de combler cette lacune.

Corne de l'Afrique, péninsule arabique et Turquie

Corne de l'Afrique, péninsule arabique et Turquie
Source : ISS
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Les ressources maritimes sont importantes. L’immense littoral de la Somalie - le deuxième plus long d’Afrique - lui confère une vaste zone économique exclusive qui abrite une vie marine importante et qui pourrait contenir des ressources considérables en hydrocarbures. Cette zone est donc très convoitée par plusieurs pays et entreprises désireux de signer des accords lucratifs pour l'exploration et la prospection.

La transparence de l'accord entre la Somalie et la Turquie est essentielle, notamment quant au calcul des revenus et aux mécanismes de partage des coûts.

Selon les modalités convenues pour le partage des revenus, les sociétés turques d’exploration pétrolière et gazière pourraient bénéficier d'un accès à moindre coût par rapport aux entités non turques sous accords de licence types. Cela réduirait certains des risques et charges financiers initiaux du pays liés à l'acquisition de droits d'exploration et d'extraction au large des côtes étrangères. De fait, les activités de la Turquie en vertu de l'accord sont partiellement compensées par les revenus générés par les activités maritimes.

Une économie de 30% n'est pas à négliger, surtout dans les zones touchées par la piraterie, les détournements et les enlèvements contre rançon. Si la Somalie devait percevoir 30% de recettes fiscales en moins au titre des droits de licence en échange d'un renforcement de sa sécurité maritime, l'accord pourrait être rentable.

La transparence est essentielle pour le calcul des recettes et les mécanismes de partage des coûts

L'accord signifie-t-il que la Turquie bénéficie non seulement de ses propres activités d'exploration et d'extraction dans la zone économique exclusive de la Somalie, mais aussi des activités des tiers titulaires d'une licence ? La Somalie a récemment adopté une législation pour régir ses zones maritimes offshore et a conclu plusieurs accords.

Enfin, l'accord avec la Turquie devrait s'aligner avec les objectifs plus larges de développement communautaire et national de la Somalie. Le gouvernement somalien doit veiller à l’inclusion des communautés locales et au partage des bénéfices maritimes. Historiquement, le mécontentement des communautés côtières face à la pêche illégale pratiquée par des navires étrangers et à la dégradation de l'environnement est à l’origine de la piraterie.

Outre ses aspects financiers et juridiques, l'accord pourrait également perturber l'équilibre des forces dans la Corne de l'Afrique. La Somalie a des raisons pragmatiques et politiques de s'associer à la Turquie et elle entend prouver qu'elle peut s'engager avec des partenaires internationaux, sans doute pour faire contrepoids à l'Éthiopie.

La souveraineté est au cœur des controverses concernant le récent accord, entre l'Éthiopie et le Somaliland qui accorderait à l'Éthiopie l'accès au port de Berbera et au Somaliland pour des opérations maritimes commerciales. La reconnaissance potentielle par l'Éthiopie de la région indépendante autoproclamée du Somaliland dans le cadre de l'accord portuaire pourrait avoir un impact significatif sur la stabilité de la région.

L'accord contribue à préserver la souveraineté de la Somalie contre un empiètement

Alors que l'accord entre l'Éthiopie et le Somaliland vise à renforcer l'accès stratégique et économique de l'Éthiopie à la mer et à garantir d'autres voies d'accès au port de Djibouti, l'accord entre la Somalie et la Turquie contribue à préserver la souveraineté de la Somalie contre un empiètement.

La Somalie prend sa souveraineté au sérieux et pourrait intensifier les différends concernant ses droits souverains sur le territoire maritime. La souveraineté était au cœur du différend sur les frontières maritimes entre la Somalie et le Kenya, sur lequel la Cour internationale de justice (CIJ) s'est prononcée en 2021. Ce désaccord découlait du désir de posséder des zones océaniques où des blocs pétroliers lucratifs pourraient être mis aux enchères à des fins d'exploration.

Le fait que les deux pays considéraient ces zones en termes de territoire et de souveraineté a compliqué la résolution du conflit, car ils se percevaient mutuellement comme des concurrents. La décision de la CIJ a établi une nouvelle frontière qui maintient une partie de la zone contestée sous le contrôle du Kenya, tout en accordant une partie importante à la Somalie.

L'accord entre la Somalie et la Turquie pourrait également influencer le fonctionnement et la dynamique des pouvoirs au sein de l'Union africaine, de la Communauté de l'Afrique de l'Est (que la Somalie a rejointe en décembre 2023) et de l'Autorité intergouvernementale pour le développement. Alors que ces organismes régionaux s'efforcent de renforcer la coopération et de résoudre les différends, les accords bilatéraux de sécurité maritime pourraient compliquer leur travail.

La Somalie doit veiller à l’inclusion des communautés locales et au partage des bénéfices

Toute décision relative à la sécurité maritime et à l'utilisation des ports a des implications qui dépassent le cadre d'un seul État. Les puissances mondiales et régionales se disputent l'influence dans la Corne de l'Afrique depuis des siècles, et plus particulièrement depuis que le passage entre la mer Rouge et le canal de Suez est devenu un goulet d'étranglement pour l'économie mondiale. L'interdépendance créée par la géographie politique de la Corne de l'Afrique rend la coopération régionale et les politiques coordonnées vitales.

Le partenariat avec la Turquie représente une stratégie visant à renforcer la souveraineté et le développement de la Somalie, à naviguer dans la dynamique de pouvoir complexe de la Corne de l’Afrique et à renforcer la sécurité maritime. Toutefois, ces gains découleront d’un accord de partage des revenus susceptible d’aggraver les tensions avec les communautés côtières.

Les intérêts nationaux et extérieurs en matière de sécurité maritime entraînent des changements majeurs dans la dynamique de la force de la Corne de l’Afrique, avec des retombées bénéfiques à toute l'Afrique.

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Partenaires de développement
L’ISS tient à remercier les membres du Forum de partenariat de l’Institut, notamment la Fondation Hanns Seidel, l’Open Society Foundations, l’Union européenne, ainsi que les gouvernements du Danemark, de l’Irlande, de la Norvège, des Pays-Bas et de la Suède.
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