Le navire bloqué dans le canal de Suez confronte le monde au problème des longs trajets
Le blocage prolongé du canal de Suez a menacé d'étouffer l'économie mondiale, avec des conséquences importantes pour l'Afrique.
Le canal de Suez est l'une des principales routes maritimes du monde, ou du moins il l'était jusqu'à ce que le navire Ever Given ne s'y échoue le 23 mars. La tempête qui l'a fait dévier de sa route et enfoncer son bulbe d'étrave dans les berges du canal a soulevé un tollé mondial de consternation et de stupéfaction. Près d'une semaine plus tard, il aurait été délogé des berges du canal et remis à flot. Les coûts de ce retard n’ont pas encore été établis, mais ils devraient s'élever à des dizaines de milliards de dollars américains.
Les images du navire bloqué latéralement sur l'une des voies navigables les plus importantes du monde ont été retransmises dans le monde entier et les autorités du canal de Suez n'avaient pas les moyens de résoudre rapidement ce problème.
L'échouement de l'Ever Given a démontré pourquoi le bon fonctionnement du transport maritime et des ports est essentiel à celui de l'économie, ainsi qu'aux aspirations de croissance et de développement. Pourtant, le transport maritime et les ports sont vulnérables à des perturbations, apparemment mineures, qui peuvent entraîner une hausse des tarifs de transport, des prix du pétrole et des surtaxes, créant ainsi des répercussions économiques mondiales susceptibles de frapper particulièrement durement les fragiles économies africaines.
Le bon fonctionnement du canal de Suez conditionne une grande partie de l'économie mondiale, qui dépend de plus en plus de très grands navires tels que l'Ever Given. Ce porte-conteneurs appartient à une société japonaise, mais il bat pavillon panaméen. Ces navires résultent d’une nouvelle tendance qui consiste à construire des porte-conteneurs de plus en plus grands pour réaliser des économies d'échelle et maximiser les bénéfices sur un marché maritime délicat.
Des perturbations apparemment mineures du transport maritime frappent durement les économies africaines fragiles
L'Égypte a procédé à une expansion du canal en 2014 et 2015 précisément pour accueillir des navires comme l'Ever Given, qui est l'un des plus grands au monde, déclarant que d'ici 2023, le canal rapporterait environ 13,2 milliards de dollars américains par an au pays. L'autorité du canal de Suez indique que, bien qu'il ait été rouvert deux ans avant la date initialement prévue, les recettes de 2020 sont tombées à moins de 6 milliards de dollars américains.
Cet incident ne pouvait donc pas survenir à un pire moment pour toutes les parties concernées. Le coût de ce blocage pour l'économie égyptienne se fera sentir à court et moyen terme. Les problématiques de capacité des navires et de disponibilité des équipements pèsent sur les chaînes d'approvisionnement mondiales qui doivent encore composer avec les réglementations imposées par la pandémie de COVID-19.
En 2020, près de 19 000 navires ont emprunté le canal de Suez, soit une moyenne de 51 par jour, pour un tonnage net de plus d'un milliard de tonnes de marchandises. Habituellement, les navires forment des convois pour traverser le canal de Suez et la durée moyenne du transit est de 14 heures.
Canal de Suez (cliquez sur le carte pour agrandir l'image)
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L’Ever Given était le cinquième d'un convoi en direction du nord lorsqu'il a viré de bord, et son bulbe d'étrave a heurté la rive est avec suffisamment de force pour le soulever légèrement au-dessus de la ligne de flottaison. En raison de sa position, le trafic vers le sud avait également été bloqué.
Des incidents passés très médiatisés impliquant d'autres porte-conteneurs poussaient à croire que le renflouement du navire prendrait plusieurs jours. Les plus optimistes espéraient une résolution rapide étant donné que le Jupiter n'a bloqué le port d'Anvers, le deuxième plus grand port d'Europe, que pendant 12 heures en août 2017. Les plus pessimistes, et, en fin de compte, les plus prévoyants, se sont plutôt rappelés comment, en 2016, le porte-conteneurs Indian Ocean était resté bloqué pendant six jours aux abords du port de Hambourg avant d'être remis à flot.
Quatre points saillants ayant des répercussions pour l’Afrique se détachent, en particulier si le blocage d'une artère maritime ou d'un port majeur devait se reproduire.
Tout d'abord, les exploitants de navires se sont retrouvés face à un dilemme que la plupart d'entre eux auraient préféré ne pas avoir à confronter : s'engager ou non dans le détour de plus de 10 000 km de long qui contourne le cap de Bonne-Espérance. La réalisation du canal de Suez en 1869 a fait plus que raccourcir les routes maritimes, elle a transformé l'Afrique en une des plus grandes îles du monde. Désormais, l'immense continent africain n'était plus un obstacle au commerce maritime mais un pilier de l'activité économique mondiale.
Le bon fonctionnement de la navigation et des ports est essentiel à la croissance et au développement économiques
Certains ont opté pour la route du cap, qui rallonge le voyage d'une semaine environ, consomme plus de carburant et exige une vigilance accrue lors de la traversée de la zone à haut risque au large de la Somalie. Bien que cette zone soit dotée de mesures de lutte contre la piraterie solides et efficaces, une augmentation du nombre de navires entraîne un risque accru de victimes potentielles. La vigilance et le respect des meilleures pratiques de gestion y sont donc fondamentaux.
Si la route passant par le cap de Bonne-Espérance a été privilégiée par certains, la distance, le temps, le coût et les conditions maritimes en font un choix rédhibitoire et de nombreux opérateurs ont préféré attendre. La question de savoir dans quelle mesure les infrastructures africaines le long de la route du cap peuvent gérer ce volume de trafic accru, notamment en cas d'accidents et d'urgences, n'est toujours pas résolue.
Deuxièmement, il est particulièrement difficile et complexe de déterminer les responsabilités en cas d'accident maritime, comme en témoigne la controverse qui entoure l'échouement du navire Wakashio en 2020 et la marée noire désastreuse qui s'en est suivi.
L'article 4 des règles de navigation de l'Autorité du canal de Suez stipule que les propriétaires de navires empruntant le canal sont « responsables de tout dommage et de toute perte consécutive provoqués directement ou indirectement par un navire […] ou pour entraver la navigation dans le canal ».
Les infrastructures africaines le long de la route du cap ont-elles les moyens de gérer une augmentation du trafic maritime ?
Les opérateurs de l’Ever Given ont réagi rapidement pour dissiper les hypothèses selon lesquelles l'échouement était dû à une erreur ou à un acte de négligence. Ils ont hâtivement déclaré que les enquêtes initiales excluaient toute défaillance mécanique ou panne de moteur comme cause, attribuant plutôt l'accident à un vent fort et soudain.
Troisièmement, tant que la route du canal de Suez demeurera un axe dominant pour le commerce international de conteneurs entre l'Asie et l'Europe, la région de la mer Rouge sera le théâtre d'une intensification de la concurrence géopolitique, avec de multiples zones de tension potentielles. Les États concernés continueront à construire des bases et à effectuer des patrouilles à longue distance, dans l'optique, semble-t-il, de se préparer à un engagement militaire permanent. Les stratégies indo-pacifiques de la plupart des pays européens reposent plus ou moins sur un accès permanent à l'océan Indien via Suez plutôt que sur le détour du cap.
Alors que le problème du canal de Suez est en train d'être résolu, un autre problème se pose au sud de la mer Rouge et menace de provoquer une catastrophe économique et écologique : le pétrolier abandonné et décrépit FSO Safer, qui se trouve au large du Yémen.
Enfin, le blocage prolongé d'un port ou d'une voie maritime importante pourrait avoir de graves répercussions sur le commerce, notamment pour les États africains enclavés.
Il existe en outre un risque de congestion dans certains ports, car les marchandises ayant accusé un retard arrivent désormais en même temps que les marchandises ayant suivi un trajet régulier. Ce défi est aggravé à la fois par la pandémie de COVID-19 et par la prédominance de l'expédition juste à temps, selon laquelle les marchandises sont généralement programmées pour arriver ou être réapprovisionnées précisément au moment, ou peu avant, où elles sont nécessaires à la production.
Les plans d'urgence nationaux concernant les blocages dus à des accidents maritimes doivent être examinés et affinés afin de veiller à ce qu'ils soient en mesure de faire face à de tels incidents. Aucune perturbation majeure du trafic maritime n'a été observée jusqu'à présent, mais nous ne pouvons pas nous permettre de considérer la sécurité du transport maritime comme un acquis.
Timothy Walker, chef du Projet Maritime et chercheur principal, ISS Pretoria
Cet article a été publié grâce au soutien financier du gouvernement de la Norvège.
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