Leçons pour l’Afrique de la marée noire dévastatrice à Maurice

L’accident du MV Wakashio est un signal d’alarme pour les États africains qui doivent améliorer leurs capacités d'intervention en cas de catastrophe.

Le naufrage du MV Wakashio a provoqué l’une des pires catastrophes environnementales de l’histoire de Maurice, ses effets dévastateurs devraient se faire sentir durant plusieurs dizaines d’années. Plus de 1 000 tonnes de mazout se sont déversées dans les eaux cristallines de Maurice, recouvrant le rivage proche de boues toxiques et plongeant l’écosystème dans une lutte désespérée pour sa survie.

Cette crise environnementale n’aurait pas pu survenir à un pire moment pour Maurice. Cette marée noire va sérieusement entraver la reprise d’une économie mauricienne fortement dépendante du tourisme côtier et déjà affectée par les restrictions de voyage liées à la COVID-19.

Maurice et les autres États africains doivent rapidement revoir leurs stratégies d’urgence et leurs capacités de réaction afin que nous puissions commencer à en tirer des leçons immédiates.

Les réponses nationales et internationales à la crise du MV Wakashio ont été louables. La France, l’Inde, le Japon et l’Organisation maritime internationale ont coopéré afin de soutenir les efforts locaux de Maurice dans une course contre la montre pour pomper le carburant du navire, qui s’est finalement brisé le 15 août. Pendant ce temps, des volontaires locaux ont afflué sur le rivage, mettant en place des barrages et des barrières improvisés.

Maurice et d’autres États africains doivent revoir au plus vite leurs stratégies d’urgence

S’il faut de toute urgence procéder à une enquête et établir un rapport complet, il est d’ores et déjà possible de commencer à reconstituer l’enchaînement des faits qui ont mené à cette catastrophe et comprendre comment les choses ont tourné si mal si rapidement.

Le MV Wakashio a quitté la Chine le 14 juillet en mettant le cap sur le Brésil. Le 25 juillet, il s’est échoué sur les récifs situés à environ un mille nautique au large de Pointe d’Esny et du parc marin de Blue Bay, le long de la côte sud-est de Maurice. Aucune fuite de pétrole n’a été signalée à ce moment-là, et les garde-côtes mauriciens ont rapidement déployé des barrages flottants et pris d’autres mesures préventives. Le gouvernement a activé son plan national d’urgence en cas de marée noire le jour suivant.

Le 5 août, une petite nappe de pétrole a été observée autour du navire. On supposait encore que le plan d’urgence du pays était suffisant et que « le risque de marée noire était encore faible ». Cependant, le MV Wakashio a alors pris l’eau et ainsi commencé à couler. Le pétrole s’est par la suite progressivement déversé dans la mer.

Le 7 août, le Premier ministre Pravind Jugnauth a déclaré l’état d’urgence environnementale nationale. Le ministre de la Pêche, Sudheer Maudhoo, a affirmé : « C’est la première fois que nous sommes confrontés à une catastrophe de ce type et nous ne sommes pas suffisamment équipés pour faire face à ce problème. » Maurice a fait appel à l’aide internationale après avoir constaté l’ampleur de l’urgence, qui a rapidement dépassé les ressources et les capacités du plan d’urgence national du pays.

Cette catastrophe montre à quel point les fuites et déversements de pétrole, même apparemment minimes, peuvent être dévastateurs

Certaines de ces ressources ont été acquises dans le cadre du Projet de développement des voies maritimes et de prévention de la pollution côtière et marine dans l’ouest de l’océan Indien, de 2007 à 2012. Ce projet prévoyait également la création d’un centre régional de coordination de la pollution marine (RCC), dont le mandat consistera à assurer la préparation et la lutte contre la pollution marine dans la partie occidentale de l’océan Indien.

C’est l’Afrique du Sud qui accueillera le RCC, dont la mise en place doit désormais être accélérée. Cette catastrophe illustre à quel point des fuites et déversements de pétrole, même apparemment minimes, peuvent avoir des effets désastreux, en particulier lorsqu’ils se produisent dans des zones environnementales sensibles et d’une importance capitale.

D’autres pays africains et organisations régionales vont-ils développer une capacité suffisante pour répondre à des crises de l’ampleur de celle du MV Wakashio sans dépendre de l’aide internationale ? De grands risques de marées noires et de fuites de pétrole planent sur le domaine maritime africain, particulièrement les déversements qui se produisent lors de l’avitaillement.

La route passant au large du Cap de Bonne Espérance est une autoroute maritime très fréquentée. Certains pays, dont l’Afrique du Sud, sont capables de réagir rapidement par leurs propres moyens, comme l’a démontré en mai dernier le cas du Yuan Hua Hu, qui transportait également 4 000 tonnes de mazout, dont le naufrage a été évité de justesse.

Il y a un grand risque de marée noire ailleurs en Afrique, notamment lors de l’avitaillement

Il manque à de nombreux pays, tel que Maurice, au moins une partie des ressources ou des capacités nécessaires pour faire face à une telle catastrophe. Les gouvernements ont besoin d’évaluations actualisées pour planifier les réponses futures. Au niveau régional ou continental, il faut de meilleures ressources et compétences collectives, et en plus grand nombre.

Il convient également d’améliorer les mécanismes de responsabilisation. Les propriétaires japonais du MV Wakashio ont offert, en vertu d’obligations internationales, de verser une indemnisation pour les dommages causés par la marée noire. Cependant, dans d’autres cas, il pourrait ne pas être aussi facile de retrouver les propriétaires et déterminer les responsabilités (comme le démontre l’enquête sur la tragique explosion du 4 août au port de Beyrouth).

Il est temps pour les institutions maritimes africaines de revoir leurs approches et de développer des compétences et des mécanismes de réponse appropriés. Cela permettrait de garantir une action régionale ou continentale rapide et efficace en cas de marée noire.

Les résultats doivent être communiqués aux principales organisations multilatérales, idéalement à l’Union africaine (UA), dans le cadre de la mise en œuvre de la Stratégie africaine intégrée pour les mers et les océans à l'horizon 2050. L’UA pourrait notamment organiser un forum consultatif pour le partage d’expériences et de compétences, auquel contribueraient toutes les communautés économiques régionales, à l’instar du Forum organisé en 2018 par la Communauté pour le développement de l’Afrique australe (SADC).

Les secours en cas de catastrophe sont coûteux, mais sont loin d’être aussi controversés que d’autres questions maritimes telles que la création de cadres de sécurité et la détermination de frontières. Les secours peuvent également favoriser une collaboration ancrée dans les institutions régionales de l’UA qui s’appuient sur l’expertise et sur les capacités locales.

Timothy Walker, chercheur principal et chef du Projet maritime, ISS Pretoria et Christian Bueger, professeur de relations internationales à l’Université de Copenhague et co-directeur du réseau SafeSeas

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