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Le Maroc supplante l’Afrique du Sud au Conseil des droits de l’homme des Nations unies

La lourde défaite de Pretoria à la présidence du CDH suggère que sa politique étrangère lui coûte des soutiens.

La ministre sud-africaine des Relations internationales et de la Coopération, Naledi Pandor, a exprimé sa satisfaction suite à la victoire de l’équipe nationale de football, les Bafana Bafana, par un score de deux buts à zéro, contre le Maroc en quarts de finale de la Coupe d’Afrique.

L’ironie de Pandor fait écho à la victoire inattendue de l’ambassadeur marocain Omar Zniber face à l’ambassadeur sud-africain Mxolisi Nkosi, par 30 voix contre 17, lors des élections du 10 janvier pour la présidence du Conseil des droits de l’homme des Nations unies (CDH) de 2024. Le Maroc avait alors clairement évincé l’Afrique du Sud en contournant les procédures habituelles.

L’Afrique devait désigner un pays pour la présidence tournante qui est assurée par les cinq continents. Le groupe des ambassadeurs africains à Genève sélectionne généralement le candidat, faisant du vote du Conseil une formalité. L’Afrique du Sud a été désignée.

Le Maroc s’est présenté en tant que deuxième candidat africain, brisant le consensus et obligeant les 47 membres du Conseil à voter, selon des sources diplomatiques à Addis-Abeba. Clayson Monyela, porte-parole du ministère sud-africain des Relations internationales et de la Coopération, confirme ces faits à ISS Today.

Le Maroc a ciblé l’Afrique du Sud, en raison du contentieux de longue date entre les deux nations, principalement lié à la question de la République arabe sahraouie démocratique (RASD), que Pretoria soutient en tant que dernière lutte de décolonisation en Afrique, tandis que Rabat la revendique comme sa province. Avant le vote, Mxolisi Nkosi a souligné que l’élection de son homologue marocain, Omar Zniber, « anéantirait le moindre soupçon de légitimité qu’avait ce Conseil ».

Les ambassadeurs africains à Genève avaient désigné l’Afrique du Sud comme candidat du continent

La défaite de l’Afrique du Sud peut être attribuée à divers facteurs, selon Africa Confidential notamment la position ferme de Pretoria en faveur de la RASD, sa posture de « non alignée » (pro-Moscou pour certains) sur la guerre Russie-Ukraine, ses politiques pro-LGBTQ, et l’accusation de génocide contre Israël devant la Cour internationale de justice (CIJ).

Les positions de l’Afrique du Sud sur le Sahara occidental, l’Ukraine et son activisme contre Israël lui aurait coûté les voix de certains membres africains, voire même de tous les membres occidentaux. Sa position sur la crise russo-ukrainienne lui aurait fait perdre les voix des pays d’Europe de l’Est tels que la Bulgarie et la Roumanie.

Le Maroc a eu l’intelligence de déplacer le vote du groupe africain vers le conseil dans son ensemble, s’offrant une arène plus favorable. L’affaire contre Israël à la CIJ aurait joué un rôle crucial dans la défaite de l’Afrique du Sud.

L'audience de la CIJ à La Haye était prévue le lendemain du vote de Genève, et la demande détaillée de Pretoria était publique depuis le 29 décembre. Aucun pays occidental n’a soutenu cette démarche, et les États-Unis, membre du CDH, l’ont qualifiée de « sans fondement, contre-productive et totalement dénuée de base factuelle ».

Bien que le rôle précis de chaque facteur demeure incertain en raison du vote secret, la possible influence de l’affaire devant la CIJ suggère que la défaite sud-africaine à la présidence du CDH serait la première conséquence internationale des accusations de génocide contre Israël. D’autres pourraient suivre, notamment des menaces sur ses préférences commerciales aux États-Unis.

Le Maroc a eu l’intelligence de déplacer le vote vers le Conseil élargi, une arène plus propice

La victoire du Maroc est largement symbolique, ont déclaré des observateurs de l’Union africaine (UA) à ISS Today. Le CDH, un organe fragile en quête de légitimité et de crédibilité, vote essentiellement en fonction de positions nationales plutôt que de considérations morales.

La direction d’un organe de l’ONU confère un prestige considérable, et le Maroc pourrait s’en servir pour atténuer les critiques liées à l’occupation du Sahara occidental et aux allégations de violations des droits de l’homme. Cette victoire représente une double réussite pour Rabat, qui a non seulement obtenu le poste, mais a aussi supplanté son principal rival.

Selon Africa Confidential, le Maroc aurait collaboré avec Israël pour cette victoire, bénéficiant de leur alliance de facto établie par l’accord d’Abraham. Rabat a reconnu Israël en 2021, dans un accord tripartite où les États-Unis ont reconnu la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental.

S’unir contre l’Afrique du Sud serait logique pour le Maroc et Israël, d’un point de vue tactique. L’Afrique du Sud a mis Israël et le Maroc dans le même panier, lorsque Pandor a décrit l’année passée sa campagne pour empêcher Israël d’être reconnu comme observateur de l’UA. Elle a déclaré qu’Israël et le Maroc étaient des « oppresseurs » et des « occupants coloniaux… jouant un rôle très négatif en Afrique » en utilisant leur « puissance financière » pour gagner le soutien des pays africains.

Un expert de l’UA ayant requis l’anonymat, doute de la collaboration entre Israël et le Maroc, arguant qu’aucun État musulman ne soutiendrait Israël en raison de ses actions à Gaza, bien que tout accord entre les deux pays resterait confidentiel.

S’unir contre l’Afrique du Sud semble logique pour le Maroc et Israël d’un point de vue tactique

Le retour controversé du Maroc au sein de l’UA en 2017, âprement combattu par Pretoria, continue de perturber l’Afrique, principalement en raison de tensions avec l’Algérie, allié de l’Afrique du Sud, notamment sur la question du Sahara occidental. Le Maroc est en train de « paralyser le continent », a déclaré un observateur de l’UA.

Moins de trois semaines avant le Sommet ordinaire de l’UA de 2024, l’Afrique du Nord n’a toujours pas désigné de candidat pour présider l’organe continental cette année, affirmant être en phase de « consultation » selon les responsables d’Addis-Abeba.

D’après un expert de l’UA, l’Égypte aspire à la présidence pour influencer la crise soudanaise et d’autres questions, mais sa dernière présidence remonte à 2019, rendant une reprise prématurée peu souhaitable. La Mauritanie est une autre option, bien que considérée comme un « État très faible », a déclaré l’expert.

L’Algérie et ses partisans, dont l’Afrique du Sud, redoutent que l’élection du Maroc à la présidence de l’UA serve à renforcer sa revendication sur le Sahara occidental, notamment en évinçant la RASD dirigée par le Polisario, qui prétend représenter le territoire en tant qu’État indépendant.

Malgré les éloges internationaux pour sa requête à la CIJ, la défaite retentissante de l’Afrique du Sud au CDH soulève des interrogations sur l’impact de ses positions étrangères vis-à-vis de l’Occident.

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