© Remko de Waal / ANP / AFP

L’affaire de l’Afrique du Sud devant la CIJ entame déjà sa politique étrangère

Quelle que soit la décision de la Cour internationale de justice, un rééquilibrage des relations bilatérales de l’Afrique du Sud sera nécessaire.

La décision de l’Afrique du Sud d’introduire une instance contre l’État d’Israël devant la Cour internationale de justice (CIJ) pour génocide a suscité des réactions diverses. Ses détracteurs accusent Pretoria de mise en scène, d’opportunisme politique et de partialité, tandis que ses partisans louent sa position de principe et sa lucidité.

Cette décision a catapulté Pretoria au cœur d’un maelström juridique international et aura d’importantes répercussions sur ses relations internationales. Pourquoi l’Afrique du Sud a-t-elle choisi cette ligne de conduite périlleuse sur le plan diplomatique?

En tant que partie à la Convention sur le génocide, l’Afrique du Sud peut saisir la CIJ si elle estime que la convention a été violée. Le soutien de Pretoria à la cause palestinienne est ancré dans la politique étrangère de l’Afrique du Sud démocratique. La cause palestinienne est largement considérée comme analogue à sa propre lutte contre l’apartheid, synonyme d’oppression, d’occupation et de violence.

La ministre des Relations internationales et de la Coopération, Naledi Pandor, s’est récemment fait l’écho de ces propos : « L’Afrique du Sud a la responsabilité morale de se tenir aux côtés des opprimés parce que nous avons une histoire de lutte et de combat pour la liberté, une histoire qui nous enseigne que tout le monde mérite la dignité humaine, la justice et la liberté ; c’est l’unique raison pour laquelle nous avons entrepris cette importante démarche, en tant qu’Afrique du Sud. »

Cette décision a propulsé Pretoria au centre d’un maelström juridique international

En s’appuyant sur des institutions internationales établies, le gouvernement sud-africain demande simultanément à la CIJ de se prononcer sur l’existence ou non d’un génocide en cours à Gaza et de préciser les devoirs des États en matière de prévention du génocide, tout en testant la légitimité et la cohérence de ce système. L’intérêt de cette affaire ne réside pas uniquement dans son issue juridique, mais également dans la mise en lumière des préoccupations relatives à l’équité et à la responsabilité du système judiciaire international.

L’Afrique du Sud est à féliciter pour son soutien à la cause palestinienne. Toutefois, on ne peut ignorer les contradictions et les incohérences flagrantes de la politique étrangère de Pretoria, surtout si le gouvernement pense que cette instance devant la CIJ peut aider le pays à redorer son blason.

Qu’il s’agisse de son incapacité, en 2015, à respecter ses obligations juridiques internationales et nationales d’arrêter l’ancien président soudanais Omar el-Béchir ou de sa réponse pour le moins évasive à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, Pretoria est très souvent restée silencieuse face aux cas de violations du droit international et d’abus de pouvoir.

Cette situation est compliquée en raison des relations difficiles du pays avec la Cour pénale internationale (CPI), dont le Congrès national africain (ANC) au pouvoir a menacé de se retirer – une proposition qui a depuis été retoquée. En outre, les faux pas en matière de politique étrangère, tels que la gestion maladroite de la saga Lady R, risquent d’entraîner une perte de capital moral et financier à l’échelle mondiale.

L’Afrique du Sud se situe hors de la complexité géopolitique et sécuritaire qui empoisonne le Moyen-Orient

En réalité, les relations internationales sont généralement pleines de contradictions, et la politique étrangère est l’art de naviguer entre ces incohérences afin d’atteindre un intérêt national défini. L’Afrique du Sud n’est peut-être pas au bout de ses peines, étant donné les réactions internationales divergentes liées à l’introduction de son instance.

La position de Pretoria est bien perçue au niveau international. Dans un contexte de concurrence géopolitique croissante, l’Afrique du Sud s’est efforcée de se positionner comme l’un des principaux porte-parole du Sud. En accueillant avec succès le sommet des BRICS l’année dernière, elle a franchi une étape importante dans la recherche d’un système politique et économique mondial plus équitable et plus juste.

La décision de recourir au tribunal mondial des Nations unies, la CIJ, pour défendre la cause palestinienne a suscité un large soutien des pays du Sud et a renforcé la pression en faveur d’un cessez-le-feu. À la suite de l’Afrique du Sud, l’Indonésie a porté une instance distincte contre Israël devant la CIJ, tandis que le Chili et le Mexique ont l’intention de déférer Israël devant la CPI pour allégations de crimes de guerre. Ce mois-ci, le sommet du Mouvement des non-alignés a adopté une résolution appelant à un cessez-le-feu immédiat.

Les positions des gouvernements à l’égard de l’Afrique du Sud pourraient se durcir après l’arrêt imminent de la CIJ sur les mesures conservatoires et au cours des prochaines années, lorsque la CIJ se sera prononcée sur le fond de l’affaire de génocide.

Les positions à l’égard de l’Afrique du Sud pourraient s’affermir après que la CIJ aura statué sur les mesures conservatoires

Cela mettra à l’épreuve les relations bilatérales de Pretoria avec de nombreux partenaires occidentaux importants opposés à l’affaire. Les États-Unis ont rejeté cette action en justice en évoquant une distraction « sans fondement », et l’Allemagne entend se joindre à la procédure judiciaire en tant que tierce partie soutenant Israël.

Pour mieux gérer les contradictions de sa politique étrangère et ses relations avec les principaux États, Pretoria doit reconnaître que le pays se situe largement en dehors de la mosaïque complexe de géopolitique et d’intérêts sécuritaires du Moyen-Orient. L’Afrique du Sud n’est pas accablée par les préoccupations immédiates des puissances régionales et majeures qui ont des intérêts directs dans l’issue du conflit.

Si cette distance avec le Moyen-Orient offre à l’Afrique du Sud une occasion unique de poursuivre une approche fondamentalement normative à l’égard de la cause palestinienne, les dirigeants du pays doivent néanmoins s’engager dans la realpolitik en jeu.

L’Afrique du Sud a désormais besoin de positions claires en matière de politique étrangère à l’égard du Hamas, d’Israël, de l’Iran, des États-Unis et de leurs alliés, ainsi que d’actions correspondant à sa rhétorique. Cela nécessite une politique étrangère aussi bien versée dans le discours de la géopolitique, de l’extrémisme violent et du fondamentalisme religieux que dans celui de l’internationalisme progressiste, de l’oppression et de l’occupation.

Alors que le monde attend la décision de la CIJ, les relations internationales de l’Afrique du Sud devront être soigneusement rééquilibrées, quelle que soit l’issue de la procédure. La manière dont Pretoria saisira l’élan actuel constituera un test crucial pour le prochain gouvernement du pays.

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