Le long chemin vers la réconciliation au Tchad

Le dialogue à venir devrait avoir pour objectif de poser les bases d’un processus de réconciliation.

Depuis la mort du président Idriss Déby Itno le 20 avril 2021, le Tchad est dirigé par un Conseil militaire de transition (CMT) chargé d’organiser un dialogue pour la réconciliation nationale et des élections en vue d’un retour à l’ordre constitutionnel. À 10 mois du terme fixé pour cette transition, dirigée par le fils du président décédé, Mahamat Idriss Déby, des inquiétudes demeurent quant au caractère inclusif de ce dialogue et au respect du calendrier de transition.

Censé se tenir le 15 février 2022, le dialogue a été repoussé au 10 mai, officiellement pour permettre l’organisation d’un pré-dialogue avec les mouvements politico-militaires à Doha, au Qatar. Prévu pour commencer le 27 février, ce pré-dialogue a été une deuxième fois reporté sine die.

Toutefois, pour certains partis d’opposition et activistes, ce report reflète plutôt les difficultés que rencontrerait le Comité d’organisation du dialogue national inclusif dans l’accomplissement de sa mission. Ils soupçonnent aussi des manœuvres politiques visant à faire glisser le calendrier pour prolonger de facto la transition.

L’inclusion des mouvements politico-militaires est devenue un élément fondamental de la discussion, la violence armée faisant partie des facteurs majeurs de déstabilisation du Tchad depuis l’indépendance. Ces mouvements doivent s’engager à renoncer aux armes comme principal mode de contestation et de conquête du pouvoir. Il reste cependant à savoir quels groupes participeront à ce dialogue, au prix de quel accord et avec quelle garantie de non-agression.

Des inquiétudes demeurent quant à l’inclusivité du dialogue pour la réconciliation nationale et au respect du calendrier de transition

La loi d’amnistie générale, conçue pour rassurer les mouvements politico-militaires, semble a priori en exclure certains, comme le Front pour l’alternance et la concorde au Tchad (FACT) de Mahamat Mahadi qui a pris part aux combats ayant causé la mort du président Déby, en avril 2021. Les leaders de certains autres mouvements armés, supposés participer aux discussions de Doha, risqueraient également de ne pas être impliqués en raison de comportements jugés séditieux par les autorités en place. C’est le cas de Timan Erdimi de l’Union des forces de la résistance (UFR), qui aurait indiqué dans un enregistrement audio son intention de recourir aux services du groupe paramilitaire russe Wagner pour renverser le CMT.

Certains partis et mouvements politiques contestant la légitimité du CMT, notamment le parti Les Transformateurs, se plaignent eux aussi de ne pas avoir été associés au pré-dialogue. Il en est de même de plateformes de la société civile telles que Wakit Tama. En prélude à ce grand dialogue, la participation de ces acteurs doit pourtant être à l’ordre du jour pour respecter le caractère inclusif du processus.

Le retour au pays d’opposants ou d’activistes hostiles au précédent régime est à porter au crédit du CMT. Pour les détracteurs, toutefois, cette démarche serait en réalité guidée par l’opportunisme et une volonté du CMT d’engranger des résultats dans le dossier de la réconciliation. Ces retours, au lieu d’obéir à une stratégie d’ensemble reposant sur une méthode unique de négociation, semblent plutôt fondés sur des transactions au cas par cas dont le seul but reste le ralliement.

Cependant, la question de la réconciliation ne doit pas être abordée avec superficialité et une vision centrée sur les mouvements politico-militaires et les opposants en exil. Après 8 mois de transition, les actions du ministère en charge du dialogue et de la réconciliation nationale restent extrêmement timides. Les questions essentielles comme la justice, la redevabilité et la cohésion sociale ont été très peu traitées. Une bonne dizaine de conflits intercommunautaires ont eu lieu depuis le mois de mai 2021, occasionnant au moins 80 morts. Les derniers en date sont ceux d’Abéché et de Sandana dans le Moyen-Chari (plus de 10 morts chaque fois). Ces conflits ont le plus souvent pour cause des rivalités autour du pouvoir local et des territoires, des vendettas communautaires ou encore les ressources naturelles.

L’inclusion des mouvements politico-militaires est devenue un élément fondamental de la discussion

L’agenda de la réconciliation revêt donc un caractère plus urgent que jamais et un engagement plus fort et plus efficace du ministère en charge de cette question est attendu. Tout en favorisant la reddition de certains mouvements politico-militaires et le retour des opposants, la transition doit s’imposer le devoir de réconcilier les Tchadiens dans leur ensemble et poser les jalons d’une réconciliation sincère.

Cette réconciliation ne peut se faire sans questionner les pratiques politiques passées et en tirer des enseignements pour tracer un chemin nouveau. Or, depuis le début de la transition, aucune démarche n’a été entamée dans ce sens.

Aussi le CMT semble-t-il avoir des difficultés à rompre avec l’ancienne classe politique accusée, par certains Tchadiens, d’être en partie responsable des problèmes qui minent le pays. La prépondérance de cette vieille garde, notamment les membres de l’ancien parti au pouvoir, le Mouvement patriotique du salut (MPS), au sein du Conseil national de transition et d’autres instances, le montre bien.

Le MPS use de toutes les manœuvres pour garder la main sur le CMT et donc sur le débat national et le jeu politique actuel. Trente années de ce procédé n’ont pourtant pas contribué à la paix et à la cohésion sociale. Le CMT gagnerait à se démarquer de ces manœuvres politiciennes pour se placer au-dessus de la mêlée et conserver ainsi un rôle de garant et de médiateur dans un débat qui se veut franc, ouvert et équitable.

Il est urgent de centrer le débat sur les questions essentielles afin de permettre un dialogue utile et une réconciliation réelle

À 3 mois de la nouvelle date du dialogue, il est plus important que jamais de centrer le débat sur ces questions essentielles pour permettre un dialogue utile et une réconciliation réelle des Tchadiens.

Les partenaires accompagnant les processus de transition, de dialogue et de réconciliation au Tchad devraient s’engager davantage sur la question de l’inclusivité afin qu’aucun acteur ne reste sur la touche. L’enlisement de ces processus serait source d’instabilité politique. Par conséquent, ceux-ci devraient être mieux encadrés par un engagement plus efficace des partenaires.

Remadji Hoinathy, chercheur principal, Bureau régional de l’ISS pour l’Afrique de l’Ouest, le Sahel et le bassin du lac Tchad

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Image : © Ludovic MARIN / AFP

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