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Dissolution des partis politiques au Mali: une manœuvre risquée

Contrairement au Burkina Faso et au Niger, l'interdiction des partis politiques au Mali a déclenché un mouvement de résistance inédit.

Le 13 mai 2025, la transition militaire au pouvoir au Mali a décrété la dissolution des partis politiques. Alors que le pays comptait près de 300 partis, la majorité étant inactive, cette décision marque un recul de la démocratie pluraliste malienne et un tournant majeur de la transition en cours depuis cinq ans.

En verrouillant ainsi l’espace démocratique par cette décision, les autorités militaires, arrivées au pouvoir suite à un double coup d’État ( août 2020 et mai 2021), prennent des risques importants alors que le pays fait déjà face à un front jihadiste persistant et à une rébellion récurrente dans le nord.

Les partis politiques résistent, mais leur impact reste modeste dans une région dominée par des régimes militaires.

La décision des autorités concrétise les recommandations de la phase nationale des « consultations des forces vives » des 28 et 29 avril 2025 dont l’objectif était de relire la Charte des partis. Ces consultations boycottées par la majorité de la classe politique, ont souhaité, en plus de la dissolution des formations politiques, la révision de la charte de la transition et l’installation d’Assimi Goita comme président de la République pour un mandat de 5 ans renouvelable à partir de 2025.

Cette dernière recommandation ne faisait pourtant pas partie de l’objet des consultations. Les participants l’ont justifiée par la nécessité d’harmoniser la gouvernance du Mali avec celle de ses alliés du Niger et du Burkina Faso, formant ensemble la Confédération AES (Alliance des États du Sahel). Ces trois régimes militaires du Sahel central ont consolidé leurs liens au sein de cette confédération à la suite de leur retrait de la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).

Cette défiance publique est une première depuis l’arrivée au pouvoir des militaires au Mali

Au Niger, le général Abdourahamane Tiani a été investi président de la République pour un mandat de cinq ans renouvelable, le 26 mars 2025, conformément aux recommandations des assises nationales tenues en février 2025. Les autorités du pays ont dissous les formations politiques également  sur recommandation des assises. Au Burkina Faso, des consultations similaires ont consacré le statut de président du Faso au capitaine Ibrahim Traoré pour cinq ans. Depuis le coup d'État de septembre 2022, les activités des partis politiques sont suspendues.

Dans un environnement international où le système multilatéral est en crise et où les leviers de pression démocratique sont affaiblis, l'interdiction des partis politiques n'a rencontré que peu de résistance au Burkina Faso et au Niger. Au Mali, en revanche, la classe politique a tenu tête aux autorités.

Le 30 avril, lorsque les autorités maliennes ont adopté un projet de loi abrogeant les lois régissant les partis politiques et l'opposition, ceux-ci ont organisé des manifestations à Bamako les 3 et 4 mai, rassemblant des centaines de partisans pour réclamer le retour à l'ordre constitutionnel avant le 31 décembre. Ces rassemblements ont été entravés par des groupes favorables au gouvernement et par la police qui a invoqué le risque d'affrontements. Malgré un nouvel appel à manifester le 9 mai, les autorités ont suspendu toutes leurs activités, ainsi que celles des associations, « jusqu’à nouvel ordre » dès le 7 mai, entraînant le report des manifestations.

Cette défiance est la première du genre depuis que la transition militaire s’est installée en août 2020. Elle est certes un réflexe de survie des partis, mais traduit surtout la volonté farouche de défendre une démocratie conquise dans le sang, en 1991, contre les vingt-trois ans de dictature du régime autoritaire de Moussa Traoré. Cette démocratie demeure un symbole fort de la mémoire politique collective malienne.

En touchant à ce symbole mémoriel transgénérationnel, qui rassemble à la fois les anciens ayant combattu la dictature de Moussa Traoré et les générations plus jeunes nées sous la démocratie, les autorités risquent de se mettre à dos une opposition bien au-delà de la seule classe politique.

La dissolution pourrait plutôt renforcer au lieu de neutraliser les partis politiques

Ceci est d’autant plus probable qu’après cinq ans de gouvernance, l’opinion publique est divisée quant aux performances des autorités militaires, alors qu’elles doivent faire face à de multiples défis économiques et sociaux.

La suspension de plusieurs financements étrangers a fortement affecté de nombreux projets de développements au bénéfice des populations. Les coupures d'électricité récurrentes depuis 2023 ont fragilisé la production industrielle et paralysent les activités informelles qui constituent la principale source de revenus pour de nombreuses familles.

L’économie du pays est également exsangue, drainée par des dépenses importantes liées à l’acquisition d’équipements militaires et les coûts dictés par les besoins sécuritaires. Pour faire face aux difficultés budgétaires, le gouvernement a notamment, appliqué de nouvelles taxes sur les communications téléphoniques et les transferts d'argent sur mobile, mesures désapprouvées par les populations.

Ces réalités de fond risquent de polariser les contestations sociales autour de figures hétéroclites allant au-delà des partis politiques. Dans un tel contexte, la posture radicale des autorités pourrait bien renforcer la dynamique d’opposition qu’elles cherchent pourtant à neutraliser.

Pour éviter une instabilité politique qui aggraverait leurs défis, les autorités devraient redéfinir leur stratégie et engager le dialogue avec toutes les forces politiques. Elles ont justifié leur démarche dès le départ par la nécessité de redéfinir un nouveau cadre législatif pour mieux organiser et réguler la vie politique du pays.

La Charte africaine sur la démocratie engage l’UA à aider tout pays à rétablir l’ordre constitutionnel

Tout en poursuivant cet objectif, les autorités devraient privilégier une approche consensuelle de manière à inclure toutes les tendances politiques dans l’élaboration d’une nouvelle Charte des partis. Le dialogue pourrait également permettre de définir ensemble un calendrier électoral de sortie de la transition.

Avec la suspension du Mali de l’Union africaine (UA) suite aux coups d’État, le rôle de l’UA dans la résolution des tensions n’est pas simple. Néanmoins, il est indispensable de trouver des solutions diplomatiques.

Par exemple, l’article 25, alinéa 3 de la Charte africaine de la démocratie et de la gouvernance qui lui donne les prérogatives de mener des initiatives pour accompagner tout pays en transition vers le rétablissement de la démocratie, l’UA pourrait offrir son appui aux acteurs nationaux maliens pour faciliter le dialogue ou désigner un médiateur consensuel.

L’UA pourrait mobiliser sa Facilité africaine de soutien aux transitions inclusives (AFSIT), une plateforme établie en partenariat avec le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), afin de promouvoir un dialogue inclusif entre les acteurs clés et d’apporter une assistance technique et financière.

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