Michele Cattani / AFP

Mauritanie : comment éviter le piège des dialogues sans lendemain ?

Le gouvernement doit garantir la transparence et la concrétisation des résultats du dialogue politique annoncé pour restaurer la confiance entre les Mauritaniens.

Le 27 novembre 2024, le Président Mohamed Cheikh El Ghazouani a convié à un dialogue politique national dont le but est de renforcer la cohésion sociale et de consolider le système démocratique en Mauritanie. Ghazouani respecte ainsi une promesse électorale et un engagement important de son programme.

Les avis divergent toutefois sur l’issue de ces assises. La majorité présidentielle qui soutient l’initiative estime qu’il s’agit d’une opportunité pour renforcer la concertation entre les acteurs politiques. Du côté de l’opposition, la prudence prévaut. Elle ne veut pas que ce dialogue soit une répétition des exercices qui ont été organisés par les pouvoirs qui se sont succédé à la tête du pays depuis l'avènement de la démocratie en 1992.

Au cours des vingt dernières années, la Mauritanie a organisé cinq dialogues politiques (en 2004, 2005, 2007, 2017 et 2018), sans parvenir à résoudre les problèmes de fond : la fracture sociale qui compromet l'unité nationale, la mauvaise gouvernance et la corruption, les dysfonctionnements électoraux, la persistance de l'esclavage et ses séquelles, ainsi que le passif humanitaire laissé par les exactions commises par les pouvoirs publics contre les fonctionnaires et militaires négro-mauritaniens entre 1986 et 1991. Ces processus ont jusqu'ici échoué à produire des résultats tangibles.

L'organisation de ce nouveau dialogue répond donc à une demande maintes fois réitérée par les partis de l'opposition. Ils espèrent qu’elle sera l’occasion d’un débat franc qui aboutira à des compromis sur ces défis majeurs.

Cinq dialogues n’ont pas produit des résultats tangibles sur la fracture sociale et le passif humanitaire

La Mauritanie est mobilisée dans cette perspective. Depuis février 2025, des tractations sont en cours pour convaincre le maximum d'acteurs politiques et de la société civile à participer à ce nouveau dialogue. Le président Ghazouani a mené une série d’entretiens avec les chefs des formations politiques pour les y convier. Puis, Moussa Fall, nommé coordinateur du dialogue, a entamé des concertations avec les différentes parties prenantes pour discuter des contours de ces assises et s’assurer de leur participation. Des demandes de contributions à la feuille de route du dialogue ont été adressées aux acteurs politiques dont plusieurs ont déjà transmis leurs avis.

Toutefois, certains dirigeants de l’opposition considèrent qu’il y a des préalables pour garantir le succès de l’exercice. Le président de l’Union des forces de progrès demande que Ghazouani garantisse la mise en œuvre des conclusions et la création d’un mécanisme consensuel de suivi. Le parti Alliance pour la justice et la démocratie réclame l’officialisation des langues nationales, le retrait de la loi d’orientation sur l’éducation nationale et l’abrogation de la loi sur les partis politiques.

Le seul qui rejette le dialogue jusque-là est Biram Dah Abeid, dirigeant de l’Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste (IRA), qui lutte contre l’esclavage. Il était arrivé deuxième aux présidentielles de 2014, 2019 et 2024. Il a comme condition que son parti soit reconnu et exige des garanties pour le règlement définitif du dossier des jeunes tués lors des manifestations à Kaédi à la suite de la proclamation des résultats de la présidentielle de 2024. Il demande également que le dialogue soit transparent, que ses conclusions se concrétisent, et la désignation d’un organe neutre chargé de sa supervision, autre que le ministère de l’Intérieur.

Il faut des garanties sur la mise en œuvre des conclusions et un mécanisme consensuel de suivi du dialogue

Le dialogue en préparation est déjà confronté aux positions antagonistes de certains acteurs sur des sujets comme la place des langues nationales, la discrimination raciale, le passif humanitaire et l’esclavage.

Les nationalistes arabes considèrent qu'il n'est pas opportun d'aborder ces questions qui touchent à l'identité du pays et à la cohésion nationale. Leur déchaînement, ces jours-ci, sur les réseaux sociaux et dans la presse, exprime leur détermination à s'opposer coûte que coûte à des discussions là-dessus.

De leur côté, les militants négro-mauritaniens et l’IRA sont a priori convaincus que ce dialogue ne sera pas différent des précédents, lesquels n'ont servi, selon eux, qu'à faire gagner du temps aux gouvernements successifs. Ils exigent des garanties sur des débats qui porteront sur tous les sujets sans restriction, notamment sur la coexistence entre les communautés et l'esclavage, mais aussi sur l'engagement personnel du président à appliquer les recommandations des assises.

Malgré les appréhensions des opposants, les efforts pour les persuader à participer se poursuivent.

Mal mené, ce dialogue pourrait creuser davantage le fossé politique menaçant la stabilité du.

De façon générale, l’opinion et les forces démocratiques mettent en avant la nécessité de trouver une entente nationale sur les questions évoquées, en particulier celles qui divisent les mauritaniens et constituent une menace pour la paix, la cohésion et la justice sociales. La solution pourrait venir du conclave qui se profile. 

Si les autorités veulent rompre avec la tradition des dialogues sans lendemain, elles devront aller au-delà des annonces. Le président Ghazouani s’est voulu rassurant à ce sujet, le 11 mars 2025, face aux chefs des partis de la majorité et de l’opposition, en exprimant son engagement à organiser un dialogue qui permettra de résoudre définitivement les questions fondamentales de l'unité nationale et de la bonne gouvernance du pays.

La réussite de ce dialogue dépendra de sa capacité à traiter des questions sensibles sans tabou, dans un cadre transparent, inclusif et accompagné d'actes concrets à travers un mécanisme consensuel et indépendant chargé du suivi de la mise en œuvre des recommandations. Ce dialogue devra être un moteur de changement. À défaut, il pourrait creuser davantage le fossé politique qui menace la stabilité de la Mauritanie.

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