OTAN, G7 : les fractures de l’ordre mondial qui interpellent l'Afrique
Les changements géopolitiques au sein de l'alliance occidentale pourraient avoir un impact considérable sur le sort de l'Afrique.
Publié le 21 mai 2025 dans
ISS Today
Par
Priyal Singh
chercheur principal, L’Afrique dans le monde, ISS Pretoria
Les sommets du Groupe des Sept (G7) et de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN) en juin pourraient accélérer l'un des réalignements stratégiques majeurs du système international et déterminer la profondeur des fractures politiques actuelles.
Leurs résultats indiqueront si certains acteurs sont prêts à s'éloigner de l'identité collective du bloc occidental. Le pouvoir pourrait ainsi se répartir plus uniformément de part et d'autre de l'Atlantique.
Les implications seront profondes, bien que l'Afrique ne soit pas à la table, elle sera affectée. Il convient de mieux appréhender les changements de pouvoir mondial et leurs effets sur la sécurité et le programme de développement des pays africains.
Le G7 exerce une influence considérable sur la gouvernance mondiale. Ses membres représentent plus de la moitié de la production économique mondiale, 55% des dépenses militaires mondiales et exercent un rôle central dans le commerce avec plus de 90% des réserves de change mondiales détenues dans les monnaies du G7.
Ce groupe de grandes économies de marché et de démocraties libérales a influencé l'ordre mondial pendant près d'un demi-siècle. Tous ses membres, hormis le Japon, font également partie de l'OTAN, pierre angulaire du système international de l'après-Deuxième Guerre mondiale, avec un engagement commun de défense collective.
Un large consensus politique des deux groupements a rendu crédible un ordre international dirigé par les États-Unis et l'identité du bloc occidental, qui a exercé une autorité considérable sur l’agenda mondial.
Les membres du G7 et de l'OTAN exercent une influence considérable sur l'agenda mondial
La cohésion et l'influence de l'Occident se sont accrues ces dernières années, ses membres désirant contrer une Russie revancharde et une Chine montante. Toutefois, cette tendance s'est évaporée après l'investiture en janvier du président des États-Unis, Donald Trump.
Les points de pression de l'OTAN concernent les dépenses militaires. En tête de l'ordre du jour figureront les objectifs élevés de dépenses de défense, que le nouveau secrétaire général Mark Rutte a proposés à hauteur de 3,5% du PIB annuel d'ici 2032. L'administration Trump avait demandé 5%, bien que la plupart des membres de l'alliance n'aient pas atteint les 2% durant la dernière décennie.
L'OTAN discutera également de l'engagement des États-Unis en faveur de la « défense collective » et de la viabilité de l'alliance. La position de Washington sur l'invasion de l'Ukraine par la Russie, ses tarifs douaniers ambitieux, son approche macroéconomique « America First » et son virage à droite sur la politique sociale ont envenimé les relations entre ses alliés du G7 et de l'OTAN.
Les partenaires traditionnels des États-Unis sont confrontés à trois scénarios. Le premier est celui de l'acceptation du maintien des États-Unis à la tête de l'alliance occidentale. Le deuxième est la paralysie liée à la recherche d’un consensus viable avec les États-Unis. Le troisième scénario est celui d'une autonomie stratégique accrue par rapport aux États-Unis ou au sein de coalitions d'États plus petites en Europe, au Japon et chez d'autres acteurs semblables.
Il ne sera pas facile de corriger le tir. Les États-Unis représentent plus de la moitié du PIB combiné du G7, environ 16% du budget de l’OTAN, et ses dépenses militaires annuelles dépassent celles des autres membres de l'alliance . Par conséquent, le rééquilibrage de la politique étrangère nécessaire pour s’exprimer de manière unanime prendra du temps, affaiblissant ainsi le pouvoir du G7 et de l'OTAN à court terme.
L'Afrique ne sera pas une priorité géostratégique pour l'Occident, contrairement au bassin indo-pacifique
Pour les pays africains, c’est un moment d’opportunités et de défis. Les décideurs politiques du continent doivent s’attarder sur quatre questions clés.
Premièrement, l'augmentation des dépenses mondiales pour la défense se poursuivra, notamment au sein de l'OTAN. Cela se produira dans les trois scénarios ci-dessus et réduira les budgets consacrés à l'aide publique au développement et au soutien financier à l'Afrique.
Les membres de l'OTAN consacrent 3,5% de leur PIB aux dépenses militaires soit environ 2 000 milliards de dollars par an, un montant qui permettrait de financer des initiatives de développement social, climatique et économique. Des initiatives telles que le Partenariat pour l'infrastructure et l'investissement mondiaux du G7 et l'Initiative pour les énergies renouvelables en Afrique pourraient être freinées par des coupes budgétaires, ou servir à promouvoir un financement accru du secteur privé.
Deuxièmement, un programme de sécurité plus limité pourrait être adopté, afin d’associer les questions de migrations et de chaînes d'approvisionnement en minerais aux interventions occidentales dans les conflits en Afrique. Si des conflits comme ceux du Soudan, de la République démocratique du Congo (RDC), de la Libye et du Sahel retiennent l'attention, l'Afrique ne constituera probablement pas une priorité géostratégique collective pour l'Occident, contrairement au bassin indo-pacifique.
Troisièmement, l'augmentation des dépenses militaires mondiales, les effets d'entraînement dans l'industrie de l'armement et l'évolution des priorités politiques pourraient engendrer des réponses plus ponctuelles et militarisées aux conflits en Afrique. Le soutien à ces interventions directes et peu coûteuses pourrait s'accroître alors que l'efficacité des opérations multilatérales de maintien de la paix s'affaiblit, tout comme l'appétit politique pour la prévention des conflits et la consolidation de la paix à long terme.
Enfin, une alliance occidentale plus fragmentée permettra à d'autres acteurs internationaux majeurs d’étendre leur influence en Afrique. La Chine, la Turquie, les États du Golfe, l'Inde et la Russie chercheront à combler les lacunes laissées par l’Occident, notamment la coopération en matière de sécurité.
Pour défier ces vents géopolitiques, il faut un leadership audacieux des États pivots régionaux
Pour la Russie, l'Afrique restera au cœur de la consolidation des activités des entreprises militaires et des paramilitaires contrôlés par l'État au Mali, en Libye, au Burkina Faso, au Niger et en République centrafricaine. Pour la Chine, l'Afrique représente un terrain d'essai pour ses capacités de projection de puissance, afin de renforcer son rôle de garant de la sécurité.
Les pays du Golfe et la Turquie ont également renforcé leur influence militaire en Afrique. Ils sont désormais incontournables dans les initiatives de sécurité et dans la facilitation des négociations, de la Corne de l'Afrique à l'Afrique du Nord, en passant par le Sahel et la RDC.
De même, l'Inde se tourne vers l'Afrique pour améliorer son profil de partenaire de sécurité. En effet, l'Inde doit protéger son domaine maritime tout en organisant des exercices conjoints de formation et en accueillant des réunions de coordination avec les ministres africains de la défense.
Les décideurs africains doivent déterminer comment ces quatre questions sont liées et affecteront le programme de sécurité et de développement du continent. Pour contrer ces vents géopolitiques contraires, il faudra un leadership audacieux, notamment des États pivots régionaux, comme l'Afrique du Sud, le Nigeria, l'Égypte et l'Éthiopie.
Les dirigeants doivent renforcer la résilience de l'Union africaine et des communautés économiques régionales et rechercher de nouvelles opportunités avec les puissances émergentes, tout en scrutant la tempête qui se profile plus au nord.
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