Le dialogue et la négociation, des solutions au conflit avec Boko Haram ?
Les opérations militaires, nécessaires, n’ont pas stoppé Boko Haram. Des efforts non cinétiques complémentaires doivent être envisagés.
Publié le 29 mai 2024 dans
ISS Today
Par
Francesca Batault
chercheuse associée à l'Institut des Nations unies pour la recherche sur le désarmement
Malik Samuel
chercheur, Bureau régional de l’ISS pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel
Le conflit avec Boko Haram dans le bassin du lac Tchad, qui a débuté il y a quinze ans, n'a toujours pas trouvé de solutions, notamment sur le plan militaire et sécuritaire. Les deux factions du groupe, Jama'atu Ahlis Sunna Lidda'awati wal-Jihad (JAS) et la Province d'Afrique de l'Ouest de l'État islamique (PAOEI), ont fait preuve de résistance face à ces opérations.
Leur résilience et l'impact massif de l'extrémisme violent sur les civils — plus de 11 millions de personnes dans la région ont besoin d'une aide humanitaire — montrent qu’il est nécessaire d’adopter des solutions alternatives.
Au niveau mondial, les opérations militaires n'ont permis de venir à bout que de 7 % de l'ensemble des groupes terroristes qui ont opéré entre 1968 et 2006. Alors qu’au cours de cette même période, 43 % des campagnes terroristes ont pris fin grâce à des négociations.
Dans une étude récente de l'Institut d'études de sécurité (ISS) et du projet de gestion des sorties de conflit armé (MEAC) de l'Institut des Nations unies pour la recherche sur le désarmement, il apparaît que les membres des communautés sont favorables à un dialogue entre les États et Boko Haram. Les communautés sont également prêtes à accepter d'anciens membres associés à Boko Haram dans le cadre des processus de réintégration.
Entre 1968 et 2006, les opérations militaires n'ont permis de vaincre que 7 % des groupes terroristes
Les pays de la région ont recouru à des stratégies non cinétiques pour résoudre le conflit, notamment en encourageant et en gérant les départs des deux factions afin de les affaiblir, et en restaurant les moyens de subsistance des victimes. Ces efforts non militaires, qui visent également à s'attaquer aux facteurs socio-économiques du conflit, font partie de la stratégie du bassin du lac Tchad pour la stabilisation de la région.
Le projet ISS-MEAC a examiné la capacité des États à compléter ces stratégies par le dialogue et la négociation. La recherche — effectuée au Cameroun, au Tchad, au Niger et au Nigeria — a été achevée dans le contexte de la mort du chef du JAS, Abubakar Shekau, en 2021. Sa disparition a provoqué le départ de 160 000 personnes associées au groupe ou vivant dans des zones sous son contrôle.
Ces départs représentaient une réelle opportunité de mettre fin au conflit. Étant donné qu'il est délicat de s'adresser à des groupes désignés terroristes comme Boko Haram, les chercheurs ont évalué la réceptivité des principales parties prenantes de la région à l'égard du sujet. Ils ont mené 295 entretiens et 35 discussions de groupe ciblées avec des représentants du gouvernement, des membres des forces armées, d'anciens associés de Boko Haram, des chefs et des membres de communautés, des organisations non gouvernementales et des acteurs de la sécurité communautaire.
L'étude a cherché à comprendre les perceptions des deux factions de Boko Haram et leur impact sur le dialogue. Elle a ensuite interrogé diverses parties prenantes sur les facteurs clés de toute négociation, comme la personne qui avait l'autorité au sein de chaque groupe pour engager des négociations et quel serait l'ordre du jour potentiel.
La participation des acteurs de la sécurité communautaire faciliterait les négociations
La recherche visait à donner aux officiels une compréhension plus nuancée des divers outils de résolution des conflits disponibles, afin de mieux anticiper les réactions à leur utilisation. Elle a permis de mieux comprendre la viabilité du dialogue avec Boko Haram.
Des recherches antérieures de l'ISS et du MEAC montrent que les communautés ont accepté d'anciens associés de Boko Haram dans le passé. Dans cette étude, le dialogue a été considéré comme une méthode importante pour traiter les préjudices subis et faciliter la réintégration des anciens membres. D'autres personnes interrogées ont souligné l’importance d’avoir une approche globale dans les négociations pour traiter le conflit dans son ensemble. Elles ont insisté sur la nécessité de discuter avec les forces publiques et les milices pour réparer les violences qu'elles ont commises à l'encontre des membres de la communauté.
Dans l’ensemble, les personnes interrogées ont estimé qu'il serait plus facile de négocier avec le JAS qu'avec la PAOEI. La mort de Shekau et les départs massifs qui en ont résulté, combinés à une perte de territoire, à des combats entre factions et à une pression continue de la part de l'armée, rendent le JAS plus enclin à négocier.
La principale question est de savoir qui, au sein de la faction, est habilité à négocier en son nom. Le chef actuel du JAS, Bakura Doro, a très souvent été cité. Toutefois, compte tenu de la structure imprécise du groupe, les personnes interrogées ont également déclaré que certains sous-commandants influents pouvaient jouer un rôle crucial dans les négociations. Leurs partisans sont susceptibles de les écouter, même si cela implique le retrait de leurs unités.
Les commandants influents de Boko Haram pourraient être des points d'entrée pour le dialogue
Les négociations avec la PAOEI sont généralement considérées comme moins plausibles compte tenu de ses liens internationaux avec l'État islamique, de son système de commandement bien structuré et de sa puissance financière et militaire.
Un manque de confiance notable a été constaté entre les factions et le gouvernement compte tenu des expériences de négociations antérieures. La crédibilité de l’intermédiaire est donc importante. La plupart des personnes interrogées se sont montrées favorables à l'inclusion des chefs traditionnels et religieux qui jouent déjà le rôle de médiateurs et d'artisans de la paix au sein de leurs communautés. Leur implication remporterait l'adhésion de la communauté.
L’implication des militaires et des acteurs de la sécurité communautaire dans les négociations constituait un point de désaccord. Les personnes interrogées au Nigeria, au Cameroun et au Tchad étaient majoritairement pour l'implication de l'armée. Ce n’était pas le cas au Niger où les militaires sont même considérés comme des fauteurs de troubles potentiels dans les négociations.
En ce qui concerne les acteurs de la sécurité communautaire, tels que la Civilian Joint Task Force au Nigeria ou les Comités de Vigilance au Tchad, au Cameroun et au Niger, les participants ont majoritairement estimé que leur implication favoriserait les négociations. Nombre d'entre eux ont déjà facilité le retour au pays d'anciens associés et les personnes interrogées pensent qu'ils peuvent inspirer confiance dans le processus.
Les pays ne doivent pas considérer le dialogue comme un signe de faiblesse. Au contraire, les négociations font partie d'une série d'outils qui peuvent compléter d'autres efforts pour mettre fin à la crise de Boko Haram. Elles peuvent être utilisées parallèlement aux efforts cinétiques pour affaiblir le groupe extrémiste violent et le forcer à s'asseoir à la table des négociations.
Il est important d'identifier des points d'entrée pour le dialogue par l'intermédiaire de commandants influents de Boko Haram, plutôt que de s'appuyer sur ses dirigeants, compte tenu du fonctionnement décentralisé des factions, en particulier du JAS. Si personne ne prédomine dans le groupe, la multiplicité des points d'entrée offre plus d'options aux États.
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