Le dialogue avec les groupes extrémistes violents peut-il aider à stabiliser le Mali ?

Au Mali, le dialogue avec les groupes extrémistes violents pourrait constituer une opportunité de renouvellement du contrat social entre l’État et les communautés.

En un revirement stratégique dans la lutte contre le terrorisme, le Président malien Ibrahim Boubacar Keïta a annoncé, le 10 février, que le Mali explore désormais l'option du dialogue avec les groupes extrémistes violents. Le 8 mars 2020, Iyad Ag Ghaly, leader du Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (GSIM), a déclaré que son groupe acceptait « de dialoguer avec Bamako sans conditions préalables, en application de la volonté populaire, notamment celle de la fin de l’occupation française ».

Depuis 2012, le Mali est confronté à une crise sécuritaire aux ressorts et aux sources multiples. Si la campagne militaire franco-africaine de 2013 a permis de récupérer les villes du nord qui étaient occupées par les groupes extrémistes violents, le pays n’a pas, pour autant, retrouvé la stabilité.

Depuis lors, la sphère « djihadiste » est fragmentée et les groupes extrémistes sont affaiblis, même s'ils demeurent les premiers acteurs de l’insécurité. En s’imposant comme des protagonistes de la gouvernance locale, ils offrent la sécurité aux communautés locales et arbitrent les anciennes querelles pour polariser le soutien de ces communautés.

Face à la dégradation continue de la situation sécuritaire, certains acteurs de la société civile et de la classe politique malienne ont appelé à inclure le dialogue dans les réponses à la lutte contre le terrorisme, en plus des efforts militaires déployés par le Mali et ses partenaires.

La question du dialogue avait d’abord été soulevée en 2012. Des représentants d'Ansar Dine et du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) avaient rencontré Blaise Compaoré – alors médiateur de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) dans la crise malienne – à Ouagadougou, et s'étaient dit prêts à « un dialogue politique » avec Bamako.

Depuis 2012, le Mali est confronté à une crise sécuritaire aux ressorts et aux sources multiples

Cette option a finalement été écartée en janvier 2013, lorsque que des hommes d'Iyad Ag Ghaly et d’autres groupes extrémistes violents s'étaient avancés vers le centre du pays, dans le but, semblait-t-il, d’étendre leur contrôle. C’est cette action qui a déclenché l’intervention militaire franco-africaine.

Le 18 juin 2013, le gouvernement malien par intérim et deux groupes armés rebelles (le MNLA et le Haut conseil pour l’unicité de l’Azawad) ont conclu un accord préliminaire à l’élection présidentielle et aux pourparlers inclusifs d’Alger. La poursuite des négociations à Alger a donné lieu à l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali, signé en 2015.

Durant ces négociations, des membres de la classe politique, comme le député Oumar Mariko, avaient déclaré que « le soi-disant accord de paix ne peut exclure Iyad et ses hommes, les vrais acteurs du nord ».

En 2017, une enquête menée à Bamako et dans d’autres capitales régionales par la fondation Friedrich-Ebert a révélé que 55,8 % des Maliens étaient favorables au dialogue avec les groupes extrémistes « djihadistes ». La même année, en mars et en avril, la Conférence d’entente recommandait quant à elle d’ouvrir le dialogue avec les groupes extrémistes violents.

Toujours en 2017, une mission de bons offices menée par l'imam Mahmoud Dicko (alors président du Haut conseil islamique du Mali) auprès de la Katiba Macina s’est retrouvée au centre des divergences entre les autorités maliennes quant au dialogue. Quelques mois plus tard, le Président malien a déclaré qu’il était « bien loin d’avoir approuvé » la mission mandatée par son Premier ministre d’alors, Abdoulaye Idrissa Maïga.

La situation sécuritaire à laquelle la région du Liptako-Gourma est confrontée appelle à renforcer voire à revisiter les réponses régionales mises en oeuvre jusque-là

D’autres initiatives de dialogue avec des groupes extrémistes avaient déjà été conduites par l’Algérie et la Mauritanie. En Algérie, le dialogue a abouti à l’adoption d’une loi dite « de concorde civile », mettant fin à plus d'une décennie de violence dans le pays. En Mauritanie, après une politique entièrement sécuritaire qui a duré plusieurs années, les autorités ont finalement opté pour le dialogue et la déradicalisation, menés de concert avec des érudits religieux. Malgré leurs limites et leurs imperfections, les méthodologies appliquées dans ces deux pays ont tout au moins permis de démobiliser des membres de ces groupes.

Le refus initial du gouvernement malien de discuter avec les groupes extrémistes violents était considéré comme un alignement sur la position de certains partenaires du Mali, notamment la France et les États-Unis. Mais, lors du sommet de Pau tenu en janvier 2020 auquel ont participé les dirigeants des pays du G5 Sahel et de la France, l’État islamique dans le grand Sahara (EIGS) a été désigné comme l'ennemi principal dans la lutte contre le terrorisme. Cette position vis-à-vis de l’EIGS a évidemment influencé l’attitude des autorités maliennes à l’égard du GSIM, dont le leader Iyad Ag Ghaly est malien.

L’appropriation du dialogue par les autorités maliennes leur permet de déterminer le format adéquat et les résultats attendus du processus.

Depuis 2016, des recherches de l’Institut d’études de sécurité (ISS) suggèrent que les motivations ou circonstances qui ont contribué à l’association de nombreux individus avec les groupes dits « djihadistes » sont multiples et ne résultent pas forcément d’un processus d’endoctrinement religieux. La protection de soi, de sa famille, de sa communauté et de son activité économique est notamment un motif prépondérant.

Cette perspective rappelle que le dialogue ne doit pas uniquement inclure les leaders des groupes extrémistes violents. Les combattants, les leaders de l'échelon intermédiaire et ceux de l'échelon supérieur ont différentes raisons de s’associer aux groupes extrémistes violents. Au niveau inférieur, les objectifs peuvent également différer entre les combattants, les fournisseurs, les cuisiniers, les mécaniciens de motos et les informateurs.

Le dialogue ne doit pas être une fin en soi mais plutôt un effort continu parallèlement à toutes les autres réponses à l’extrémisme violent

Une telle approche inclusive devrait prendre en compte les frustrations, notamment les griefs contre la justice, et les attentes en termes de sécurité et de services sociaux de base. Elle devrait aussi permettre une mise en perspective des écarts entre les décideurs politiques et les bénéficiaires de ces services. Des discussions préliminaires devraient permettre d’identifier les interlocuteurs potentiels et les médiateurs pouvant établir des relations de confiance avec ces derniers pour le bon déroulement du processus.

Par ailleurs, multiplier les échelles de dialogue au sein des groupes extrémistes violents permettra de raccorder les différentes dimensions du conflit, de comprendre les attentes des acteurs de l’instabilité, de sortir de l’approche centrée sur l’État et de démobiliser des membres des groupes en prenant en compte les dynamiques locales.

L’impulsion générée par le dialogue constitue une opportunité de négociation d’un nouveau contrat social entre l’État et les communautés. Il faut tenir davantage compte de la diversité et des spécificités des communautés maliennes. Le dialogue doit être considéré dans sa dimension holistique pour aider à construire une stabilité sur le long-terme.

Enfin, pour que l’initiative porte ses fruits, il ne faut pas occulter le caractère transnational de la menace dans le Sahel. La situation sécuritaire à laquelle la région du Liptako-Gourma est confrontée appelle à renforcer, voire revisiter, les réponses régionales mises en œuvre jusque-là.

Le dialogue ne doit pas être une fin en soi mais plutôt un effort continu parallèle aux options sécuritaires militaires et aux interventions en matière de développement, de justice et de gouvernance dans les réponses à l’extrémisme violent.

Baba Dakono, chercheur, Hassane Koné, chercheur principal associé et Boubacar Sangaré, chargé de recherche, Bureau régional de l’ISS pour l’Afrique de l’Ouest, le Sahel et le Bassin du Lac Tchad

Cet article a été réalisé grâce au soutien des gouvernements des Pays Bas et du Danemark, ainsi que du Fonds de résolution des conflits du Royaume-Uni.

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