Le Cameroun et l’Afrique : une opportunité inexploitée

Malgré son rôle moteur au sein de la plus haute instance décisionnelle de l'UA, la position du Cameroun sur les questions africaines reste opaque.

En avril, le Cameroun a renouvelé un accord de coopération militaire avec la Russie alors même que Moscou intensifiait son offensive en Ukraine. Cet événement conforte sans doute la Russie dans sa conviction que son isolement international est relatif. Mais il soulève également des questions sur la politique étrangère du Cameroun, à un moment où les votes des pays africains à l’Assemblée générale des Nations unies sont scrutés de part et d’autre.

Cet accord illustre une tendance de fond de la politique étrangère et commerciale du Cameroun qui consiste à maintenir les grandes puissances à équidistance. Alors que ce pays d’Afrique centrale compte parmi les principaux bénéficiaires de la coopération française au développement en Afrique subsaharienne, son principal créancier est la Chine. Le Cameroun entretient également des relations étroites avec le Royaume-Uni, les États-Unis et l’Allemagne.

Cet exercice d’équilibriste perd toutefois de son attrait lorsqu’il s’agit de l’Afrique et de l’Union africaine (UA). En mai, le Cameroun a présidé le Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l'UA après y avoir été réélu pour un mandat de trois ans. La relative indifférence des décideurs, des leaders d'opinion et de la société camerounaise à l'égard de cette présidence tournante contraste avec les efforts diplomatiques considérables déployés pour assurer la réélection du pays.

La présidence tournante du CPS sert généralement à affirmer les priorités régionales et thématiques, et à démontrer la capacité diplomatique d’un pays à aborder les questions continentales. Or, les objectifs du Cameroun au sein de l’UA sont difficiles à cerner, si ce n’est d’empêcher l’inclusion de la crise anglophone dans le programme du CPS. L’examen par le Conseil de cette crise pourrait entrainer le déploiement d’une opération de soutien à la paix dans le pays, ce que le Cameroun jugerait intrusif.

Le manque de clarté de la politique étrangère et commerciale camerounaise est criant en Afrique centrale

Les autres priorités de Yaoundé sont de garantir un soutien permanent de l’UA à la base logistique de la Force africaine en attente à Douala et à la Force multinationale mixte contre Boko Haram dans le bassin du lac Tchad.

Malgré les nombreux problèmes transnationaux auxquels l’Afrique est confrontée (menace terroriste croissante, activation de la zone de libre-échange continentale africaine, résurgence des coups d’État), la politique du Cameroun envers l’UA et de l’Afrique reste flou. Elle se caractérise également par un engagement limité au niveau des chefs d'État, où les décisions de l'UA sont prises en dernier ressort.

Le président Paul Biya est bien connu pour son absence aux sommets de l’UA. Malgré cela, le Cameroun a réussi à faire élire ses ressortissants à la Commission de l’UA sous les présidences de Konaré et de Ping (2003-2011) et lors du premier mandat de Faki (2017-2021). Mais ces nominations politiques compensent difficilement le faible nombre de Camerounais au sein des hautes instances de la Commission, ou l’absence d’orientations partagées sur l’action du pays au sein de l’UA.

Le Cameroun est certes capable de mobiliser son capital politique pour obtenir des postes à l’UA, comme ce fut le cas pour le chef actuel de l’Unité de mise en œuvre des réformes institutionnelles. Dans le même temps, il ne tire pas profit de sa position stratégique unique de carrefour entre la Francophonie et le Commonwealth, le Sahel et la forêt équatoriale, l’Afrique occidentale et l’Afrique centrale.

La prépondérance de la présidence constitue un obstacle à l’affirmation du ministère des affaires étrangères comme organe d’animation

Le manque de clarté de la politique étrangère et commerciale camerounaise est également visible en Afrique centrale. Compte tenu de la taille de son économie, de sa démographie et de ses infrastructures de transport, le pays joue un rôle d’ancrage au sein de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC), qui réunit six pays utilisant le franc CFA.

Pourtant, le gouvernement utilise rarement cette position de force pour promouvoir ses intérêts régionaux du Cameroun. Bien qu’il soit la porte d’accès à la mer pour le Tchad et la République centrafricaine, le Cameroun le Cameroun manque de vision et de stratégie pour exploiter les positions avantageuses de ses entreprises privées dans ces pays.

Au sein de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC), l’importance du Cameroun est relativisée par le poids de l’Angola, riche en pétrole, et de la République démocratique du Congo (RDC), déchirée par la guerre mais dotée d’importantes ressources minérales. Dans un contexte d’évolution des rapports de force, la très active diplomatie sécuritaire et commerciale du Rwanda dans la région sera intéressante à observer.

Alors que la CEMAC regroupe uniquement des pays engagés en Afrique centrale, les membres de la CEEAC ont également des allégeances régionales en Afrique australe et orientale. La RDC, l’Angola, le Burundi et le Rwanda en sont des exemples. La fusion prévue des deux organisations régionales déplacerait probablement le centre de gravité vers l’est et le sud, diluant ainsi l’influence du Cameroun dans le bloc.

La politique étrangère du Cameroun est d’autant plus illisible que les documents officiels et objectifs stratégiques sont rarement rendus publics

La politique étrangère du Cameroun est d’autant plus illisible que les documents officiels exposant ses intérêts et ses objectifs stratégiques sont rarement rendus publics. Même les diplomates camerounais ont du mal à donner une vision unifiée des actions du pays en Afrique et dans le monde. Il n'existe pas de forum unique convoqué pour les diplomates et leur hiérarchie, et la dernière conférence des ambassadeurs remonte à 1985.

La prépondérance de la présidence et des préférences personnelles du Chef de l’État constituent un obstacle à l’émergence d’une diplomatie fondée sur des principes ainsi qu’à l’affirmation du ministère des affaires étrangères comme organe d’animation.

Pourtant, l’instabilité croissante en Afrique centrale rend nécessaire l’identification de lignes directrices claires pour la politique régionale et continentale du Cameroun. En conséquence, la diplomatie camerounaise devrait commencer par élaborer une politique de voisinage, au regard de l’intérêt direct du pays dans la stabilité d’une région dont il est la principale puissance commerciale.

La situation actuelle est que d’autres États moins concernés s’occupent de plus en plus souvent de régler les crises en Afrique centrale. Une vision claire basée sur les intérêts à moyen et long terme du Cameroun dans la CEMAC, la CEEAC et l'UA pourrait guider les diplomates et autres acteurs de la politique étrangère. En assumant davantage de responsabilités dans le règlement des conflits violents en Afrique centrale, le Cameroun renforcerait sa stature dans la région et développerait les compétences de ses cadres civils et militaires.

Le gouvernement s'est efforcé d'empêcher que le conflit anglophone soit examiné par l'UA et l'ONU. Il pourrait s'inspirer du Rwanda et du Tchad, dont la diplomatie militaire régionale les a protégés avec succès des critiques internationales ces dernières années.

Pour repositionner l'Afrique centrale et l'Afrique dans la politique étrangère du Cameroun, le pays doit également rectifier le préjugé répandu selon lequel seuls les postes diplomatiques dans les capitales du Nord sont prestigieux. Continuer de négliger la diplomatie africaine, sur laquelle il peut facilement peser, pourrait nuire à ses intérêts sur le long terme.

Paul-Simon Handy, directeur régional de l’ISS pour l’Afrique de l’Est et représentant auprès de l’UA, et Félicité Djilo, analyste indépendante

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Image : © Lintao Zhang

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