En finir avec les demi-mesures dans la crise anglophone au Cameroun

Les victoires militaires récentes ne devraient pas inciter à l'auto-complaisance en l'absence d'un accord politique global inclusif.

Du 16 janvier au 7 février 2021, le Cameroun a organisé le Championnat d’Afrique des Nations (CHAN). Certains des matchs ont été joués dans la ville de Limbé, dans la région du Sud-Ouest, en proie à un conflit armé opposant les forces gouvernementales à des milices sécessionnistes.

L’absence de toute action violente par les sécessionnistes durant le championnat a pu laisser croire que la crise est résolue. En réalité, la crise anglophone s’installe dans la durée.

Cameroun

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Après quatre ans de conflits, les chiffres sont éclairants : le nombre de réfugiés est passé de 20 485 en janvier 2018 à 63 235 en janvier 2021. En novembre 2020, le nombre de déplacés internes s’élevait à 705 000 contre 679 000 une année auparavant. Ceci est d’autant plus paradoxal que sur le plan militaire, il apparaît clairement que les groupes armés sécessionnistes ne sont pas en mesure d’exercer un contrôle militaire sur les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, même si leur emprise sociale est réelle.

Les forces de défense et sécurité ont réussi à contenir l’empreinte territoriale des groupes sécessionnistes, notamment dans les centres urbains. Elles instrumentalisent l’effroi causé par la criminalité croissante des groupes séparatistes pour réfuter la popularité de leur cause (perdue) auprès des populations.

Toute solution politique doit traiter en priorité les minorités actives qui empêchent le retour à la stabilité

Or, en dépit de cette configuration favorable, le nombre croissant de réfugiés et de déplacés démontrent que l’insécurité demeure dans ces régions. Par ailleurs, la pression des partenaires du Cameroun s'accroît sur le gouvernement afin qu’il privilégie la quête d’une solution politique. Des acteurs politiques locaux et des activistes cherchant à embarrasser le gouvernement ont relayé ces appels. Il convient de souligner que le clivage entre une solution politique et la solution militaire est un faux débat, car l’un n’est jamais vraiment allé sans l’autre au Cameroun, contrairement à une opinion bien répandue.

À l’origine des débats, la qualité de l’offre politique et l’impact durable des solutions privilégiées par le gouvernement camerounais à ce jour. Si la force militaire a clairement eu un impact, elle a cependant entaché la respectabilité du Cameroun sur la scène internationale du fait des bavures plus ou moins avérées des forces de défense et de sécurité. En cela, il est permis de considérer que la priorité donnée à la réponse militaire a sans doute gonflé les rangs de sécessionnistes, au détriment des tenants d’une option fédérale.

Jusqu'en 2016, la majorité des citoyens anglophones du Cameroun déclarait préférer une nation unique, quelle que soit la nature du régime politique. Il serait difficile de dire que c’est encore le cas aujourd’hui. En cela, il faut reconnaître que le recours à l’action militaire comme réponse prédominante ne pourra ressusciter le sentiment d’appartenance vacillant de nombreux Camerounais anglophones. Il est certain que la réponse militaire a contribué à cristalliser le sentiment d’une « communauté anglophone imaginaire », ce qui risque de compromettre tous les acquis récents.

D’un point de vue politique, il faut noter que les efforts du Cameroun ont porté peu de fruits en dépit de leur pertinence. La création de la Commission nationale sur le bilinguisme et d’une commission pour le désarmement, la démobilisation et la réintégration, ainsi que l’instauration d’un statut spécial pour les régions anglophones et l’embastillement des leaders séparatistes n’ont pas contribué à baisser la fièvre sécessionniste.

Peu de sécessions découlent de victoires militaires mais plutôt d'un changement dans les dynamiques politiques externes

Les causes de cet échec portent autant sur la méthode que sur la portée de ces mesures. Les mesures citées ci-dessus émanaient de décisions unilatérales du gouvernement et non pas d’un dialogue avec les insurgés. Le dialogue national organisé en septembre 2019 a aussi souffert de cette absence de concertation préalable. Une solution politique, aussi pertinente soit elle, ne peut être pérenne sur le terrain si une majorité des parties en présence ne se l’approprient pas sincèrement.

Le règlement durable de la crise anglophone requiert de changer la pratique politique camerounaise qui repose sur le mythe de l’infaillibilité du gouvernement et de la fonction publique au-dessus des populations éternellement conçues comme des « administrés » et non des citoyens.

En termes de portée, le traitement politique de la crise anglophone a été excessivement « administratif », reflétant ainsi la culture politique à Yaoundé. En effet, la portée symbolique et les dispositions du statut spécial accordé aux régions anglophones sont faibles et ne parlent qu’aux élites politico-administratives concernées.

Or, le conflit dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest n’est pas mené par ces élites-là. Il est le fait de jeunes hommes pauvres et relativement instruits qui sont cependant enclins à se battre avec des armes rudimentaires, en dépit de capacités limitées, contre des forces de défense adéquatement armées et entraînées. Ces jeunes se battent aussi contre ces élites qu’elles accusent de ne se soucier que très peu de leur sort. La définition de toute solution politique viable doit en priorité viser ces minorités agissantes qui empêchent le retour de la stabilité dans l’ancien Cameroun du Sud.

Il est probable que les récentes victoires militaires soient annulées par la pression extérieure en faveur de négociations politiques

Dans cette perspective, il est souhaitable que les succès militaires ne poussent pas les autorités et les populations camerounaises à une forme d’auto-complaisance. Peu de sécessions sur le continent, comme cela a été le cas au Soudan du Sud, ont été le fruit de victoires militaires, mais davantage d’un renversement des dynamiques politiques extérieures.

À ce jour, le combat que mène le Cameroun contre les forces séparatistes a bénéficié de la coopération, voire de la mansuétude, de l’exécutif nigérian. Rien ne dit que ce soutien perdurera, d'autant plus que la nouvelle administration américaine pourrait adopter une position plus stricte en matière de droits de l'homme.

Si le Cameroun veut renouer avec une forme de cohésion nationale, le gouvernement devrait innover et inventer une solution politique qui incite les minorités agissantes à déposer les armes et assécher véritablement le marécage sécessionniste. Pour cela, il faut en finir avec les demi-mesures administratives ainsi que le confort intellectuel entourant la gestion de cette crise.

Plus que jamais, le dialogue avec toutes les composantes de la minorité anglophone et l’option du fédéralisme doivent être sur la table. Le Cameroun doit éviter de se retrouver dans une situation où il sacrifie sa cohésion nationale au nom de l’intégrité territoriale formelle. La sauvegarde de l’intégrité territoriale se fera au prix d’une ingénierie sociale qui prend en compte la diversité culturelle du Cameroun. Cette nouvelle forme du vivre-ensemble doit être réinventée par les Camerounais de manière proactive.

Paul-Simon Handy, conseiller régional principal auprès des bureaux de l’ISS à Dakar et à Addis-Abeba et Félicité Djilo, chercheur independent

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