Le Burkina Faso a l’ambition de dépolitiser son administration publique

Le clientélisme et le favoritisme politique qui sévissent dans les services publics sont les cibles d’une nouvelle législation.

La mauvaise gouvernance des affaires publiques fait partie des facteurs à l’origine des deux coups d'État survenus au Burkina Faso l'année dernière et de la grave insécurité qui sévit depuis 2015.

Le soulèvement populaire de 2014, qui a mis fin aux 27 ans de règne de Blaise Compaoré, avait révélé la volonté des citoyens burkinabè de reconstruire leur pays sur les principes de la bonne gouvernance et d'une administration publique libre de toute influence politique. Le président de l'époque, Michel Kafando, la reprise à son compte en 2015 en jetant les bases d'une nouvelle loi pour dépolitiser l’administration publique. 

Huit ans plus tard, le 16 mars 2023, le projet de loi – qui renforce la neutralité politique et la méritocratie dans l'administration publique – a finalement été adopté par l'Assemblée législative de transition. La loi interdit les pratiques préjudiciables au bon fonctionnement et à la stabilité de l'État.

La nouvelle loi pourrait servir d'exemple à d'autres pays de la région dont les administrations publiques rencontrent les mêmes problèmes. Les réformes touchant la gouvernance sont vitales dans la plupart des pays d'Afrique de l'Ouest. L'insécurité et la multiplication des coups d'État sont alimentées par l’exclusion, l'injustice et les inégalités socio-économiques et résultent d’une mauvaise gouvernance. Les putschistes au Mali, en Guinée, au Burkina Faso et récemment au Niger ont tous justifié leurs actions en invoquant le déficit de gouvernance. 

La nouvelle loi sur l’administration publique renforce sa neutralité politique et l’usage de la méritocratie

Une étude du gouvernement de transition du Burkina Faso en 2015 a révélé les dommages causés par la politisation de l'administration publique. Des partis politiques, aux tendances régionalistes, étaient présents au sein des administrations, et le port d'uniformes à leurs couleurs était une pratique courante. Des fonctionnaires pouvaient être promus ou recevoir des faveurs sur la base de leur affiliation politique, ou être sanctionnés, voire persécutés, pour leur appartenance à l'opposition.

La politisation des institutions tenues à la neutralité, telles que l'armée, l’administration et la justice est l’une des raisons qui ont conduit à l'assassinat en 1998 du journaliste Norbert Zongo, qui enquêtait sur des affaires impliquant des proches de Compaoré. Elle a également fait le lit du clientélisme, du favoritisme, de l'injustice et de la corruption au sein de l’administration publique, a aggravé les inégalités sociales et empêché la redistribution équitable des ressources nationales. Les manifestations de rue qui ont suivi l'assassinat de Zongo ont été le signe avant-coureur du soulèvement populaire de 2014.

Elle a également créé un terrain fertile pour les groupes extrémistes violents dans les zones rurales du pays et favorisé un soutien populaire aux deux coups d'État militaires de 2022.

La rédaction de la nouvelle loi a toutefois été un processus ardu. La première version de l'avant-projet s'est heurtée à la résistance des acteurs politiques dès 2015, en particulier des membres du parti de l'ancien président Roch Kaboré, le Mouvement populaire pour le progrès (MPP). Selon des sources de l'Institut d'études de sécurité, le MPP craignait de ne plus pouvoir récompenser ses militants et ses partisans par des nominations gouvernementales.

Les putschistes en Afrique de l’Ouest ont justifié leurs actions en invoquant le déficit de gouvernance

Deux autres tentatives pour relancer le processus de finalisation du projet de loi ont échoué pour les mêmes raisons, d'abord sous Kaboré en 2017, puis en avril 2022, sous la transition conduite par le lieutenant-colonel Paul-Henri Damiba.

Après le coup d'État de septembre 2022 dirigé par le capitaine Ibrahim Traoré, les nouvelles autorités ont pris l'engagement de réduire l'influence de la politique sur le fonctionnement de l'administration publique. L'avant-projet de loi a été mis à jour, adopté par le Conseil des ministres le 30 novembre 2022 et renvoyé à l'Assemblée législative de transition pour approbation.

La société civile burkinabè considère certaines dispositions de la nouvelle loi comme un pas en avant. L'article 19 en particulier donne à plusieurs postes clés le statut de postes techniques afin de leur ôter tout caractère politique. Il s'agit notamment des postes de secrétaires généraux des ministères, de directeurs généraux des entreprises publiques et semi-publiques, de directeurs généraux des établissements publics, de coordonnateurs nationaux de projets ou de programmes, d’inspecteurs généraux et d’inspecteurs techniques des services ainsi que ceux occupés par le personnel des ambassades.

D'autres dispositions ont toutefois suscité la controverse. Les militants des partis politiques ont exprimé leur inquiétude d’être exclus de la fonction publique. Les chefs religieux craignaient des restrictions sur les pratiques confessionnelles dans les bureaux, telles que le port du foulard ou de signes religieux. Lors d'une conférence de presse le 21 mars, le ministère de la Fonction publique a clarifié les objectifs de la loi et rassuré sur son caractère inclusif.

Le défi consiste à ancrer l’esprit de la nouvelle loi dans la culture politique du Burkina Faso

L'attention se porte désormais sur le décret d’application de la loi, qui devrait fixer les conditions et les procédures de nomination aux postes techniques et, surtout, sur l'exécution effective de la loi. Le défi pour les autorités de transition sera d'assurer le respect des règles dans un pays où la politisation des institutions et le clientélisme sont enracinés depuis des décennies.

Le gouvernement de Traoré sera confronté à la tâche difficile, non seulement de faire appliquer la loi, mais aussi de l'ancrer dans la culture politique du Burkina Faso. Pour y parvenir et en assurer le respect dans le futur, les principes de neutralité politique et de méritocratie dans l'administration publique devraient être consacrés par la constitution.

La transition politique du Burkina Faso a été l'occasion d'introduire cette loi importante, novatrice par rapport aux réformes habituellement menées par les pays en transition. Sa réelle application améliorerait l'efficacité de l'administration au service des citoyens sans discrimination. Elle contribuerait également à stabiliser la situation politique et sécuritaire. Son utilité dépendra donc de sa mise en œuvre.

Hassane Koné, chercheur principal et Fahiraman Rodrigue Koné, chef du projet Sahel, bureau régional de l'ISS pour l'Afrique de l'Ouest, le Sahel et le bassin du lac Tchad

Image : © AFP Photo

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Ce texte fait partie d'une série d’articles sur la prévention des coups d'État en Afrique de l'Ouest et au Sahel. Il a été rédigé grâce aux soutiens financiers de Irish Aid et de la Fondation Bosch. L’ISS tient à remercier les membres du Forum de partenariat de l’Institut, notamment la Fondation Hanns Seidel, l’Open Society Foundations, l’Union européenne, ainsi que les gouvernements du Danemark, de l’Irlande, de la Norvège, des Pays-Bas et de la Suède.
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