Le banditisme aux frontières du Nigeria et du Niger nécessite des efforts conjoints

Les deux pays doivent régler leurs divergences politiques pour mettre fin à la violence qui dévaste les communautés frontalières.

Des bandits terrorisent les habitants du nord-ouest du Nigeria depuis une dizaine d'années et les attaques se multiplient. Les viols et autres violences sexuelles, les enlèvements et les meurtres ne sont que quelques exemples des atrocités auxquelles les citoyens sont confrontés au quotidien. Les communautés fuient vers d'autres États, certaines se réfugiant au Niger voisin. Cependant elles restent victimes des attaques des bandits et de leurs recrutements.

Pour comprendre la nature et l'origine de ce banditisme, leurs auteurs et l'impact sur les populations, l’Institut d’études de sécurité (ISS) a concentré ses recherches dans la région de Maradi au Niger et dans les États du nord-ouest et du centre-nord du Nigeria, à savoir Sokoto, Zamfara, Katsina, Kebbi et Niger.

Les communautés frontalières du Niger et du Nigeria victimes du banditisme

Les communautés frontalières du Niger et du Nigeria victimes du banditisme

Source : ISS
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D'après les informations recueillies par l’ISS, presque tous les bandits sont issus des trois communautés ethniques (peule, haoussa et touareg) que l'on trouve dans les deux pays. Les victimes, les responsables de la sécurité, les fonctionnaires et les chefs des communautés ont confirmé à l’ISS que la plupart d'entre eux appartenaient à la communauté peule du Nigeria.

Les bandits sont donc principalement des Nigérians, y compris ceux qui opèrent au Niger. De même, leurs repaires se situent surtout au Nigeria, notamment dans les forêts des États touchés (Sokoto, Zamfara, Katsina, Kebbi, Niger et Kaduna).

Les violences sexuelles qu’ils exercent, en particulier à l'encontre des femmes et des jeunes filles, sont monnaie courante, mais elles sont souvent moins signalées que les meurtres ou les enlèvements. L’ISS a répertorié des dizaines de cas où des victimes d'enlèvement ont été violées par des bandits, soit dans leurs repaires, soit dans les communautés qu'ils attaquent.

Les violences sexuelles sont souvent moins signalées que les meurtres ou les enlèvements

Les hommes ont expliqué comment les bandits les ont forcés à leur livrer les femmes et les filles de leur famille. En cas de refus, ils étaient tués sur le champ et les femmes étaient emmenées malgré tout. Les femmes ont décrit comment elles et leurs filles étaient soumises à des viols quotidiens, y compris des viols collectifs, en captivité ou dans leurs maisons.

L'insécurité alimentaire est une autre conséquence majeure de ces agressions et laisse des dizaines de milliers d'enfants dans un état de malnutrition aiguë. Dans les trois États nigérians où l’ISS s'est rendu jusqu'à présent (Sokoto, Zamfara et Katsina) les habitants se voient refuser l'accès à leurs terres agricoles. Lors des attaques, les bandits s'emparent de la nourriture de leurs victimes et volent leur bétail. La famine oblige celles-ci à manger la paille destinée aux animaux.

Outre ces horreurs, les communautés sont confrontées à la séparation des familles, à un manque de confiance entre elles et à un accès limité aux services de santé et à l'éducation. À Sokoto et à Zamfara, en particulier, les soupçons et les accusations entre les groupes ethniques dominants, notamment les Haoussa et les Peuls, sont si graves que les membres d'un groupe sont tués si on les retrouve dans la communauté ou au marché de l'autre groupe.

Cette peur et ce manque de confiance entre les citoyens se sont développés au fil des ans en raison des attaques. Certains enlèvements ciblés suggèrent que les agresseurs travaillent avec des informateurs qui connaissent bien les victimes ou les communautés.

La famine contraint les populations à manger la paille destinée aux animaux

Une victime a expliqué à l’ISS qu'elle avait dit à ses ravisseurs qu'elle n'avait pas d'argent. Cependant après s’être informés par téléphone, ils se sont mis en colère et l'ont battue jusqu'à ce qu'elle perde connaissance. Leur interlocuteur leur avait dit que la victime mentait et qu'elle détenait deux voitures. Une femme a raconté comment des bandits sont entrés dans sa chambre et ont exigé de son mari deux millions de nairas (2 600 dollars US), ce qui représentait la somme exacte qu'il avait reçue lors de la vente récente de son bétail. Les bandits l'ont ensuite tué.

Le Niger et le Nigeria se sont appuyés sur des opérations militaires pour lutter contre la violence. Toutefois, le Niger a également fait des efforts de consolidation de la paix par l'intermédiaire de la Haute autorité pour la consolidation de la paix, qui dispose de représentations dans toutes les régions en proie à l'insécurité. Le bureau de Maradi se concentre sur les jeunes, les sensibilisant au banditisme et à la manière de collaborer avec les forces de l’ordre pour améliorer les relations entre civils et militaires.

En revanche, on peut constater un manque de coordination entre les États et le gouvernement fédéral dans la réponse du gouvernement nigérian au banditisme (au-delà des opérations militaires). Les gouverneurs des États touchés ne s’accordent eux-mêmes pas sur la façon de s'attaquer au problème. Certains refusent de négocier avec les bandits, d'autres ont déjà entamé un dialogue, tandis que d'autres encore semblent indifférents.

Cinq mois après son entrée en fonction, le gouvernement du président Bola Tinubu n'a toujours pas présenté de stratégie de lutte contre le banditisme. Ce qui est peut-être à l'origine de l'approche dispersée des gouverneurs des États. À moins que Tinubu ne fasse preuve d'un leadership remarquable, son gouvernement risque de suivre le même chemin que celui qui l’a précédé et qui a eu du mal à faire face à l'insécurité.

Le gouvernement du président Bola Tinubu n'a toujours pas présenté de stratégie de lutte contre le banditisme

Le président semble se concentrer davantage sur l'économie, mais sans sécurité la croissance stagnera. Les solutions au banditisme doivent aller au-delà du conflit entre éleveurs et agriculteurs, qu’on accuse facilement d’être responsable de tous les maux. Les attaques actuelles des bandits dans le nord-ouest ne concernent pas seulement l'accès à la terre, mais aussi le crime organisé et les liens entre le crime et le terrorisme.

En outre, toute stratégie du Nigeria pour lutter contre le banditisme doit inclure une collaboration avec le Niger et au-delà, étant donné la nature transfrontalière du problème. Le Niger est au cœur de la sécurité du Nigeria, car il partage des frontières avec sept États nigérians et constitue un passage majeur pour le transit des armes en provenance du Sahel à destination du Nigeria.

Cependant, Tinubu a du mal à travailler avec le Niger en raison des sanctions qui lui ont été imposées depuis le coup d'État de juillet 2023. L'impact des sanctions se manifeste déjà dans la lutte contre Boko Haram dans le bassin du lac Tchad. Le manque de partage d'informations entre le Niger et la Force multinationale mixte (FMM) a rendu difficile la coordination sur les lieux d’affrontement. De plus, ne pouvant plus faire transiter ses approvisionnements par le Niger, la FMM a besoin d’utiliser d'autres itinéraires, plus longs.

Malgré ces tensions, la communication et la coordination entre les décideurs des deux pays, en particulier au niveau stratégique et technique, doivent rester ouvertes pour faire face au problème tout aussi urgent du banditisme dans la région frontalière du Nigeria et du Niger.

Malik Samuel, chercheur, et Hassane Koné, chercheur principal, bureau régional de l'ISS pour l'Afrique de l'Ouest, le Sahel et le bassin du lac Tchad

Image : © IOM / Amanda Nero 2016

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