L’approche africaine de la lutte contre le terrorisme reste inadaptée

Après vingt ans d’extrémisme violent, les stratégies de l’UA n’intègrent toujours pas les éléments clés d’une prévention efficace.

Fin octobre 2022, un nouvel attentat-suicide à la bombe a touché Mogadiscio, la capitale de la Somalie, faisant 121 morts et plus de 300 blessés. Selon des sources des Nations unies, rien qu’en 2022, 613 civils ont été tués et 948 ont été blessés dans des attaques du groupe terroriste islamiste des Chabab. Avec un bilan en vies humaines dépassant de plus de 30 % celui de 2021, 2022 a été l’année la plus meurtrière pour le pays depuis 2017.

La Somalie n’est pas un cas isolé. En effet, on observe une recrudescence des activités terroristes sur le continent, marquée par des escalades au Sahel, dans le bassin du lac Tchad, au nord du Mozambique et dans certaines parties de l’Afrique du Nord.

Les efforts déployés ces vingt dernières années par les gouvernements et les organisations régionales et internationales, notamment l’Union africaine (UA), pour réprimer et affaiblir les groupes extrémistes violents n’ont pas réussi à contenir cette intensification. La lutte incessante de l’Afrique contre le terrorisme semble indiquer que les réponses de l’UA et de ses États membres ne sont pas en adéquation avec la nature d’une menace qui n’est pourtant guère nouvelle.

Face aux préoccupations soulevées à la fin des années 1990, soit bien avant les attentats du 11 septembre, l’Organisation de l’unité africaine (OUA) a adopté en 1999 la Convention d’Alger sur la prévention et la lutte contre le terrorisme. Ce texte, qui a maintenant 23 ans, constatait « l’ampleur et la gravité du phénomène » et « les dangers qu’il représente pour la stabilité et la sécurité des États ». Les dirigeants ont alors fait part de leur détermination à éliminer le terrorisme sous « toutes ses formes et manifestations ».

Malgré l’engagement de l’UA et le déploiement de moyens considérables, le terrorisme s’étend en Afrique

Prenant le relais de l’OUA, l’UA a élaboré en 2002 un plan d’action sur la prévention et la lutte contre le terrorisme. Ce plan visait à mettre en œuvre la Convention d’Alger en améliorant la collaboration transfrontalière en matière de maintien de l’ordre et de surveillance. En 2011, une loi-modèle africaine contre le terrorisme établissait la définition des infractions terroristes, notamment le blanchiment d’argent et le financement des groupes terroristes, la prise d’otages et les attentats à la bombe. La lutte contre le terrorisme est également une composante clé du plan de l’UA pour faire taire les armes d’ici 2030.

L’UA a mis sur pied diverses opérations de soutien de la paix, dont la mission de transition de l’UA en Somalie et l’initiative de coopération régionale pour l’élimination de l’Armée de résistance du Seigneur. Le Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’UA a également coordonné des déploiements antiterroristes avec les communautés économiques régionales, notamment la Force multinationale mixte contre Boko Haram, la Force conjointe du G5 Sahel et, plus récemment, la mission de la Communauté de développement de l’Afrique australe au Mozambique.

Ces efforts ont permis, dans certains cas, de libérer des territoires aux mains des extrémistes violents, d’affaiblir des groupes et de contenir la situation. Pourtant, malgré l’engagement de l’UA et le déploiement de moyens matériels, financiers et humains considérables, le terrorisme s’aggrave et s’étend en Afrique, avec des conséquences dévastatrices.

Outre les Chabab en Afrique de l’Est, Boko Haram a élargi son champ d’action en Afrique de l’Ouest depuis son ascension dans les années 2000. Aujourd’hui scindé en plusieurs factions, le groupe adapte rapidement ses tactiques aux ripostes des gouvernements. La propagation et l’intensification de la menace mettent au jour deux grandes lacunes dans les mesures prises en Afrique.

Alors que de nouvelles menaces terroristes apparaissent, les approches existantes ne traitent pas les causes profondes du problème

D’une part, la persistance du phénomène peut être attribuée à un cocktail complexe reposant sur un ingrédient principal : des problèmes de gouvernance profondément ancrés, auxquels personne ne s’attaque réellement. Cela a permis à des groupes terroristes internationaux tels que l’État islamique et Al-Qaïda de s’implanter en Afrique et de jouir de la latitude nécessaire pour se développer, malgré les efforts déployés pour réduire leur pouvoir de nuisance.

Selon le Centre d’études stratégiques de l’Afrique, la montée en puissance des activités de ces groupes s’appuie sur la « croissance constante de [leur] capacité », qui se traduit notamment par leur « volonté de combattre les forces de sécurité étatiques ».

D’autre part, les réponses régionales et continentales restent en grande partie réactives et militaristes, et ne mettent pas suffisamment l’accent sur des mesures durables et préventives qui s’attaquent aux racines du problème. Cela peut notamment s’expliquer par le fait que ces stratégies à long terme dépendent de structures de gouvernance solides, qui tendent à faire défaut dans les zones les plus touchées par le terrorisme. Alors que de nouvelles menaces d’ordre terroriste continuent d’apparaître, les approches existantes ne cherchent pas à remédier aux causes profondes du problème.

Ces défis, auxquels s’ajoutent le manque d’audace politique, la faiblesse des structures institutionnelles et l’insuffisance des ressources, créent un déséquilibre entre la menace et la réaction qui favorise la montée de l’insécurité.

Les dernières décisions en matière de lutte contre le terrorisme prises par l’UA lors de son sommet extraordinaire de mai 2022 ont consisté à assurer la pleine opérationnalisation de la Force africaine en attente (FAA) et à créer une unité antiterroriste en son sein. Les États membres ont également appelé à renforcer la coordination entre l’UA et les communautés économiques régionales sur l’utilisation de la FAA afin d’améliorer les opérations de soutien de la paix. De plus, ils ont décidé de créer un comité ministériel de l’UA sur la lutte contre le terrorisme qui sera chargé de coordonner, suivre et évaluer la mise en œuvre des décisions.

La bonne gouvernance doit être au centre des efforts, associée à des mesures pour réduire la pauvreté et la marginalisation

Lors de ce sommet, les États membres ont été encouragés à accélérer la signature, la ratification et la mise en œuvre des instruments de lutte contre le terrorisme. Et l’UA a réitéré son engagement en faveur d’un plan d’action stratégique global pour le continent.

Bien que louables, ces efforts sont inadaptés. Afin de réduire l’insécurité engendrée par l’extrémisme violent, l’UA doit donner la priorité à des réponses non militaires à l’échelle nationale, régionale et continentale qui s’attaquent aux causes profondes et qui empêchent l’émergence de nouvelles menaces.

Pour y parvenir, la bonne gouvernance doit figurer au centre des efforts déployés et des mesures doivent être prises pour lutter contre la pauvreté et la marginalisation, qui sont les ferments de l’extrémisme violent. Ces initiatives peuvent être complétées par une action ferme des forces de sécurité visant à atténuer les menaces existantes.

Néanmoins, il n’est pas certain que les dirigeants africains aient une volonté politique soutenue de prendre des décisions audacieuses, de mettre en œuvre les cadres définis et de rechercher des solutions à long terme.

Équipe de l’ISS chargée du rapport sur le CPS

Image : Mohamed Abdiwahab/AFP

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