L’Afrique de l’Ouest doit faire face au problème des combattants étrangers
Des efforts sur le contrôle aux frontières et une meilleure coopération sont nécessaires pour répondre à ce phénomène.
Il y a un an, treize Sénégalais ont été condamnés pour acte de terrorisme par association de malfaiteurs. Douze d’entre eux avaient rejoint le groupe extrémiste violent Boko Haram basé au Nigeria. Le treizième condamné avait rejoint la Katiba Al-Furqan, une branche d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) au Mali.
Pourquoi les ressortissants des États d’Afrique de l'Ouest quittent leur pays et se rendent dans des foyers de combat, parfois lointains, pour devenir des combattants étrangers ? Afin d’obtenir des réponses, les États doivent examiner les voies par lesquelles les groupes extrémistes violents accèdent à ces individus, ainsi que les moyens logistiques et financiers qu’ils mettent à leur disposition.
La porosité des frontières et le traité de libre circulation des personnes et des biens en vigueur dans l’espace ouest-africain poussent à repenser les réponses qui doivent être apportées pour remédier au phénomène.
Le cas des Sénégalais inculpés en est un exemple probant. Ils ont traversé plusieurs pays, quittant Kaolack au centre du Sénégal, en passant par le Mali, le Burkina Faso et le Niger, pour se rendre à Abadam, au nord-est du Nigeria (voir carte).
Itinéraire des Sénégalais ayant rejoint Boko Haram (cliquez sur la carte pour agrandir l'image)
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Au retour, ils avaient prévu de retourner au Sénégal par voie terrestre, divisés en trois groupes. Si le premier est arrivé sans encombre au Sénégal, le second a été arrêté pour détention de faux billets au Niger. Le troisième est resté en liberté une fois arrivé au Sénégal, après une courte détention au Nigeria et un rapatriement par voie aérienne. L’objectif des inculpés aurait été d’installer une province de l'État islamique au sud du Sénégal, qui s'étendrait à la Gambie, la Guinée-Bissau et la Guinée.
Certains d’entre eux ont été formés au maniement d’armes, ont séjourné dans la forêt de Sambissa et ont combattu, notamment lors des batailles de Gwoza et Bita. Par la suite, ils ont rencontré Abubakar Shekau, leader de longue date de Boko Haram qui dirige maintenant une des deux factions du groupe. Le seul extrémiste inculpé qui a quitté Dakar pour combattre dans AQMI a été arrêté au Burkina Faso pour faits de terrorisme.
En Afrique de l’Ouest, le déplacement de citoyens vers les groupes extrémistes violents n’est pas nouveau. Plusieurs groupes comptent des Africains de diverses nationalités dans leurs rangs et au sein de leur leadership intermédiaire.
Habituellement, les ouest-africains combattaient dans des pays géographiquement proches et dans les groupes tels qu’AQMI, le Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest (MUJAO) au Mali et Boko Haram au Nigeria. Avec la proclamation du califat de l’État islamique en Libye, en 2014, plusieurs combattants ouest-africains ont rejoint les groupes extrémistes violents en Libye. Cette décision a sans doute été influencée par les difficultés rencontrées pour atteindre la Syrie, notamment le refus de visa et la fermeture des points de passage frontaliers par la Turquie.
Avec la défaite territoriale de l’État islamique en Syrie, la situation sécuritaire en Afrique de l'Ouest pourrait empirer
D’autres auraient probablement été encouragés par une déclaration, en 2015, de l'ancien porte-parole de l'État islamique, Muhammad al-Adnani, invitant les personnes ne pouvant se rendre en Irak ou en Syrie à combattre en Afrique de l'Ouest.
Avec la défaite territoriale de l’État islamique en Syrie en mars 2019, la situation sécuritaire en Afrique de l’Ouest, notamment dans le Sahel et dans la région du bassin du lac Tchad, pourrait empirer.
En effet, l’incapacité pour les combattants étrangers de rester en Syrie les pousserait à retourner dans leur pays d’origine, émigrer vers des pays tiers, ou aller vers d’autres zones de combat telles que l’Afghanistan, le Sinaï égyptien, les Philippines, et la Libye, devenue une zone de repli et de transit.
En conséquence, l'Afrique de l'Ouest pourrait compter une augmentation du nombre d'extrémistes retournant dans leur pays d'origine. Il pourrait également y avoir une relocalisation d’africains d'autres régions et de combattants non-africains, pour se replier temporairement, rejoindre ou implanter d’autres cellules sur le continent.
L'Afrique de l'Ouest souffre d'un manque d'échange d'informations sur les détenus associés à des groupes extrémistes violents
En 2017, l’Union africaine (UA) a exprimé son inquiétude quant à l’éventuelle menace que constitueraient ces combattants qui, même emprisonnés, pourraient en enrôler d’autres ou planifier des attaques. L’UA annonçait que 6 000 Africains pourraient revenir de Syrie, mais, les États ouest-africains ont peu de données sur ce phénomène. Seul un faible nombre de gouvernements de la région communiquent sur la quantité de leurs ressortissants ayant rejoint l’État islamique en Syrie et en Irak, en Libye, au Nigeria ou au Mali.
Cela devrait changer. La recrudescence d’attaques des groupes ayant prêté allégeance à Al-Qaida et à l’État islamique, dans le Sahel et le bassin du lac Tchad, ainsi que l’expansion de la menace de l’extrémisme violent vers les pays côtiers ouest-africains, nécessitent des politiques adaptées pour parer au phénomène des combattants étrangers.
Le caractère transnational de l'extrémisme violent est facilité par la corruption et l’inefficacité des contrôles aux frontières des États ouest-africains, particulièrement dans certaines zones sur l'axe migratoire Libye-Niger-Nigeria.
Deux résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies datant de 2014 et 2017 ont enjoint les États à prendre des mesures de contrôle de leurs frontières et à échanger les informations pour lutter contre les flux de combattants étrangers.
En Afrique de l'Ouest, le manque de moyens techniques et financiers est l'une des raisons de la faible mise en œuvre de ces résolutions. Il existe également un défaut d'échange d'informations sur les détenus liés à des groupes extrémistes violents et une faible coopération en matière de poursuites, de réadaptation et de réinsertion des combattants étrangers rapatriés ou réinstallés.
La stratégie actuelle de propagande de l’État islamique en Afrique, ses campagnes de recrutement ainsi que l’opportunisme des groupes caractérisé par leur capacité à profiter des dissensions locales pour s’implanter dans les communautés, déjouent les réponses traditionnelles des États, essentiellement militaires.
Alors que les appels se multiplient en faveur de nouvelles approches, y compris le dialogue avec les groupes, une meilleure connaissance des réseaux et des aspects ethnolinguistiques et religieux de recrutement à distance des groupes est nécessaire. Afin de renforcer les dispositifs nationaux et régionaux de coopération existants, une compréhension des stratégies utilisées par les groupes pour recruter hors de leurs zones d’action et d’implantation est cruciale.
Adja Khadidiatou Faye, Chercheure Junior, Bureau régional pour l’Afrique de l’Ouest, le Sahel et le bassin du lac Tchad
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