Éviter que la menace terroriste ne gagne la côte ouest-africaine
Mieux vaut prévenir la propagation de la menace extrémiste que devoir la contrer.
La région de l’Est du Burkina Faso fait face à une prolifération d’incidents sécuritaires non revendiqués, mais qui semblent être liés à l’action de groupes extrémistes violents présents au Sahel.
Au cours des dernières années, ces groupes ont multiplié leurs attaques contre des cibles de plus en plus ambitieuses, notamment lors du 2 mars dernier contre le quartier général de l'armée et l'ambassade de France situés à Ouagadougou.
Ils ont étendu leur présence géographique du nord du Mali vers le centre et le sud du pays, avant de toucher l’ouest du Niger, le nord du Burkina Faso, et, plus récemment, la région de l’Est, couvrant à présent de larges pans de l’espace du Liptako-Gourma.
La présence de ces groupes dans la région de l’Est du Burkina Faso, à la frontière du Bénin, du Togo et du Ghana, suscite des inquiétudes quant à une possible propagation de la menace extrémiste vers les pays côtiers de l'Afrique de l'Ouest.
Les pays doivent opter pour des approches qui contribuent à la lutte contre l’extrémisme dans les pays voisins et à la prévention sur leurs territoires
La première attaque contre les forces de défense et de sécurité dans la région de l’Est s’est déroulée le 13 février 2018 à Natiaboani, une localité située entre Fada N’Gourma et Pama. Réputée zone de grand banditisme depuis des années, elle partage avec le Niger et le Bénin le complexe W-Arly-Pendjari. Les visites dans cette vaste réserve forestière autrefois fréquentée par les touristes sont aujourd’hui fortement déconseillées.
Une trentaine d’attaques y ont depuis été dénombrées. En l’absence de revendications, ce sont l’utilisation d'engins explosifs improvisés et les attaques ciblant notamment les écoles, les autorités locales, les forces de défense et de sécurité qui indiquent l’implication probable des groupes actifs au Sahel. Il pourrait, en effet, s’agir d’éléments de l’État islamique dans le grand Sahara (EIGS) et d’Ansarul Islam.
Cette extension de la menace vers cet espace frontalier peut s’expliquer diversement. La recherche de nouvelles bases opérationnelles pourrait résulter de la pression militaire, exercée en particulier par les opérations de la force Barkhane et l’annonce de la montée en puissance de la force conjointe du G5 Sahel. Les groupes tirent profit de la vaste réserve forestière, de la porosité des frontières, de l’insécurité et de la faible présence de l’État.
Au-delà de sa propagation, la menace prend aussi racine sur des problématiques locales préexistantes. Des conflits entre agriculteurs et éleveurs liés à l’accès à la terre et à la contestation de zones de pâture, délimitées par les collectivités locales, avaient déjà distendu la relation entre les populations et l’État. Les groupes extrémistes ont pu instrumentaliser ces tensions pour s’implanter dans la région.
Les pays côtiers de l’Afrique de l’Ouest ont pris des mesures pour éviter de potentielles attaques sur leurs territoires
Certaines localités qui font l’objet d’attaques au Burkina Faso sont situées près de la frontière avec le Bénin, notamment les villes de Doga et Tantéga. Cette proximité fait craindre un possible glissement vers le Bénin, d'autant que ce pays contribue à la Force multinationale mixte (FMM) qui lutte contre Boko Haram.
Bien que des attaques se poursuivent dans la région administrative du Sahel au nord du Burkina Faso, la situation à l’est du pays semble s’être apaisée depuis les frappes aériennes menées par l’opération Barkhane à Inata, le 4 octobre, dans la province de Soum (région du Sahel) et une opération terrestre, le 6 octobre, dans la province de Kompienga (région de l’Est).
Toutefois, une attaque, visant apparemment à voler des armes, a été rapportée le 16 octobre à Sideradougou, dans la région des Cascades, près de la zone frontalière du Burkina Faso, de la Côte d’Ivoire et du Mali.
Les pays côtiers ont pris des mesures pour se prémunir contre d’éventuelles attaques sur leurs territoires. En mai 2018, le Bénin, le Burkina Faso, le Togo et le Ghana ont conjointement conduit l’opération « Koudalgou ». Elle a permis l’arrestation de près de 200 personnes dont certaines sont soupçonnées d’appartenir à des groupes extrémistes violents.
Cette année, les groupes ont multiplié les attaques qui ont mis à mal la région de l’Est du Burkina Faso
Lors d’une réunion, le 25 octobre 2018, à Cotonou, les chefs des forces armées du Bénin, du Burkina Faso, du Niger et du Togo ont discuté de la mutualisation de leurs moyens afin de contrer le terrorisme dans les pays ayant en partage le parc W et la frontière togolaise.
Le Togo, le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire et le Ghana orientent également leurs actions vers la mise en œuvre de l’initiative d’Accra, dont l’objectif est d’apporter des réponses aux défis de sécurité communs aux cinq pays.
En juillet, le Togo a abrité le sommet conjoint des chefs d’État et de gouvernement de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest et de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale. Dans la déclaration qui en a résulté, les pays se sont engagés à investir dans le renseignement pour la prévention de l’extrémisme violent, à renforcer les capacités des forces de défense et de sécurité et à mettre en œuvre des politiques publiques et des programmes de développement dans les régions affectées.
Les pays côtiers ne devraient en effet pas seulement opter pour des approches qui contribuent aux efforts de lutte contre le phénomène dans les pays voisins concernés. Ils doivent également renforcer leurs actions de prévention sur leur propre territoire notamment en raffermissant le lien entre l’État et les citoyens et en renforçant l’autorité et l’utilité de l’État dans les zones périphériques.
L’élaboration de ces réponses doit prendre en compte les vulnérabilités que les groupes extrémistes violents exploitent pour s’implanter au sein des communautés locales. De telles réponses contextualisées contribueront à prévenir l’extension de l’extrémisme violent vers les pays côtiers de l’Afrique de l’Ouest.
Des synergies pourraient ainsi utilement être créées entre les mesures préventives et les actions de lutte contre le phénomène. Seuls de tels efforts permettront aux pays côtiers d’éviter la propagation de l'extrémisme violent.
Michaël Matongbada, Chercheur boursier, ISS Dakar
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