La relance économique de Maiduguri pourrait sauver le bassin du lac Tchad
Un contexte relativement pacifique permet de stimuler la production et le commerce, et d'éviter que les communautés ne soient recrutées par Boko Haram.
Maiduguri, la capitale de l'État de Borno au Nigeria, a toujours joué un rôle de premier plan dans l'économie du bassin du lac Tchad. Pendant des années, cette ville a toutefois été un foyer de Boko Haram, mais ce phénomène s'est atténué aujourd'hui.
Une certaine paix donne l'occasion de reconstruire l'économie, ce qui déclenche la croissance dans d'autres régions touchées par l'insurrection. Le redressement économique peut également contribuer à renforcer la résilience des communautés et à les empêcher d'être exploitées par des groupes armés.
Avant le début de l'insurrection de Boko Haram en 2009, la région du nord-est du Nigeria pratiquait davantage le commerce transfrontalier que le commerce intérieur, essentiellement à travers l'État de Borno. Les agriculteurs, les commerçants, les transporteurs et les pêcheurs de la région du bassin du lac Tchad dépendaient du carrefour commercial essentiel qu’était Maiduguri.
La crise de Boko Haram est donc venue perturber les moyens de subsistance de la ville et de la région. Le commerce total entre le Nigeria et le Cameroun, le Tchad et le Niger a chuté de plus de 70 % depuis le début du conflit, amenuisant les revenus des entreprises et des ménages.
Pour remédier à l'insécurité, le Conseil des ministres de la Commission du bassin du lac Tchad a adopté en 2018 la Stratégie régionale de stabilisation, de redressement et de résilience des zones du bassin du lac Tchad affectées par la crise Boko Haram. Approuvée par le Conseil de paix et de sécurité de l'Union africaine, cette stratégie est également soutenue par le Programme des Nations unies pour le développement.
Le commerce entre le Nigeria et le Cameroun, le Tchad et le Niger a chuté de plus de 70 % depuis le début du conflit
L'objectif principal de cette stratégie est de restaurer et de créer des moyens de subsistance durables pour les communautés touchées par Boko Haram. Dans l'État de Borno, les habitants ont toujours vécu de l'agriculture, de l'élevage, de la pêche et du commerce.
Borno State, Nigeria (cliquez sur le carte pour agrandir l'image)
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Les prix des denrées alimentaires au plus grand marché de Maiduguri, le Monday Market, sont montés en flèche après que l'armée et les extrémistes violents ont bloqué les voies de transport et l'accès aux fermes. Les extorsions commises par des membres des forces de sécurité ont aussi contribué à cette hausse. Les prix de la viande de bœuf ont flambé, et les habitants et les commerçants soulignent un déclin du marché du bétail en raison du conflit.
Le poisson n'est plus disponible en abondance, alors qu'il s'agit de l'un des principaux produits de l'État de Borno, commercialisé dans tout le pays et dans la région. Baga, dans la zone de gouvernement local de Kukawa, qui était autrefois la principale source de cette denrée, est désormais un lieu de pêche dangereux à cause de l'extrémisme violent.
L'association des producteurs et négociants de poisson de Borno affirme qu'elle perd 500 millions de nairas (soit 1,2 million de dollars) par semaine du fait de l'insurrection et de la réduction des échanges commerciaux. La crise a poussé de nombreuses entreprises à se déplacer vers l'État de Kano, dans le nord-ouest du Nigeria, entraînant ainsi des suppressions d'emplois et de revenus, pourtant indispensables.
Si certains secteurs d'activité à Maiduguri ont été durement touchés par l'extrémisme violent, d'autres, tels que les activités immobilières et la construction, sont en plein essor. Cela est principalement attribuable à l'afflux d'organisations non gouvernementales (ONG).
Les emplois des ONG sont plus attrayants que ceux de la fonction publique et font l'objet d'un nouveau conflit de ressources
Ces organisations y ont créé un étrange type d'économie touristique, à mesure que les moyens de subsistance se construisent autour d'elles. Les « postes dans les ONG » sont désormais plus attrayants que ceux de la fonction publique, et nombre de personnes se sont enrichies en vendant des produits et des services à ces organisations. Le gouvernement de l'État de Borno a imposé aux ONG de recruter du personnel local, et ces postes font l'objet d'un nouveau conflit de ressources.
Les fonds injectés dans l'économie de Maiduguri par ces acteurs externes par le biais de la consommation et des achats sont certes bénéfiques. Cela reste toutefois une solution à court terme au problème à long terme de la relance. Le revers de la médaille de l'essor du secteur de la construction est la hausse du prix des loyers.
Pour que la relance économique de Maiduguri soit stable et durable, il faut la dissocier du conflit. Il convient notamment de rétablir des niveaux de production plus élevés, en particulier dans le secteur agricole, ainsi que le commerce national et transfrontalier.
La paix relative qui règne dans la ville offre la possibilité de développer des industries susceptibles d'augmenter la production de biens. Les entreprises agro-industrielles pourraient faire progresser la ville dans la chaîne de valeur, notamment grâce à la création d'usines de transformation alimentaire. Cette démarche s'inscrit en outre dans le plan de développement sur 25 ans du gouvernement de l'État.
L'amélioration des compétences et la formation dans « l'économie des ONG » pourraient rehausser le profil de la main-d'œuvre de la ville. Et le gouvernement doit soutenir l'économie des services émergente et en pleine croissance. Un intérêt considérable de la part des gouvernements étrangers et des organisations de développement permettrait de stimuler les investissements dans les infrastructures et de favoriser le développement industriel. La stratégie de stabilisation régionale doit mobiliser ces ressources.
Pour une reprise stable et durable, la relance économique de Maiduguri ne doit pas être liée au conflit
Dans le cadre de ses efforts pour développer le capital humain, le gouvernement de l'État peut attirer les investissements du secteur privé. Les investisseurs locaux ou de la diaspora pourraient être sollicités, les personnes qui ont des liens avec la région étant plus à même d'investir dans la ville que des étrangers.
Certains problèmes doivent néanmoins être résolus. Le premier concerne l'insuffisance de l'approvisionnement en électricité. Les habitants de Maiduguri vivent sans électricité depuis des mois, et ce, après que Boko Haram a détruit les infrastructures électriques, à plusieurs reprises. Deuxièmement, les tentatives d'attaques à la périphérie de la ville constituent un rappel brutal de la fragilité de la paix.
Troisièmement, les dommages causés aux réseaux de transport par la violence actuelle constituent l'un des principaux obstacles à l'accès aux marchés national et régional. Les marchés sont souvent la cible d'attaques. En 2017, plus de 80 % des agriculteurs ont signalé que la crise avait entraîné la fermeture des marchés qu'ils fréquentaient le plus. Boko Haram aurait aussi établi des marchés parallèles dans des endroits comme la zone de gouvernement local d'Abadam pour contrôler les économies locales et soutirer des fonds, principalement par le biais de taxes.
Les tentatives du gouvernement local pour réinstaller les personnes déplacées dans les régions productrices de cultures se heurtent également à des problèmes, notamment le manque de gouvernance et de soutien en matière de sécurité. Toutefois, les processus de stabilisation dans le bassin du lac Tchad doivent être lancés, malgré le conflit en cours. La mort de dirigeants de Boko Haram et la récente vague de redditions de combattants insufflent un certain optimisme dans la région.
Pour financer la stabilisation, il faut coordonner les ressources des programmes de développement régional. En outre, les marchés et les transports doivent faire l'objet d'une attention particulière. Les services agricoles basés sur la technologie, tels que les marchés en ligne, doivent permettre de relier l'offre et la demande. Cela permettrait de lutter contre le chômage, qui s'est aggravé avec l'augmentation du nombre de personnes déplacées dans la ville. La création d'emplois contribuerait également à réduire des problèmes tels que la commercialisation de renseignements à Boko Haram par des membres de la communauté.
L'économie de Maiduguri ne doit pas seulement être rétablie, elle doit être rebâtie de manière plus efficace. Cette tâche ne sera pas facile, mais il s'agit d'une étape cruciale pour la relance et la stabilité du bassin du lac Tchad.
Teniola Tayo, chercheuse, Programme Bassin du lac Tchad, ISS Dakar
Cet article a été publié grâce au soutien du Programme des Nations Unies pour le développement et du Gouvernement des Pays-Bas.
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