ISS

La réforme de la CUA doit s’aligner sur les ambitions de l’Afrique

Vu l’ampleur et la complexité des défis continentaux, l’Union africaine devrait plutôt augmenter le nombre de ses commissaires.

Lorsque la réforme de la Commission de l’Union africaine (CUA) a été lancée il y a près de dix ans. Elle avait été présentée comme une occasion historique de moderniser l’institution, d’affiner ses objectifs et d’améliorer son efficacité.

Dirigée par le président rwandais Paul Kagame, la réforme visait à transformer la CUA afin d’en faire un organe plus léger, plus cohérent, pouvant mener à bien le programme continental. Elle avait pour principal objectif de réduire le nombre de commissaires de huit à six, en fusionnant les départements Affaires politiques avec Paix et sécurité, et Commerce et industrie avec Affaires économiques, entre autres.

L’objectif principal était de créer une CUA souple et rationalisée, efficace dans ses relations avec les différentes Communautés économiques régionales (CER) du continent. La priorité était donnée à des mandats plus clairs, à une meilleure coordination et à des institutions adaptées à leur mission.

Cependant, six ans plus tard, les résultats sont mitigés et, dans plusieurs domaines, problématiques.

La création du département Affaires politiques, paix et sécurité (PAPS) en tant que méga-commission unique était emblématique de la réforme. Pourtant, la justification de cette décision reste floue. Dans la pratique, la fusion a donné naissance à un département où la gestion des conflits l’emporte sur leur prévention. Les réponses à court terme aux crises éclipsent les interventions à long terme qui favorisent une gouvernance responsable et une politique prévoyante.

Six ans plus tard, le bilan des réformes de la CUA est mitigé, voire problématique

Ces fonctions à long terme, essentielles, devaient permette à l’UA d’anticiper et d’atténuer les conflits avant qu’ils ne s’aggravent. Des asymétries internes frappantes sont également apparues : la division des opérations de soutien à la paix (chargée du maintien de la paix), surdimensionnée, l’emporte sur l’ensemble de la direction de la gouvernance et de la prévention des conflits, entraînant ainsi le sous-financement de la prévention et sa marginalisation sur le plan institutionnel.

De plus, certaines unités clés ont été des victimes collatérales du processus de réforme. Le système continental d’alerte précoce, pilier central de l’architecture de sécurité, a été littéralement « oublié » et relève désormais, en théorie, de la responsabilité des bureaux régionaux. Le Programme frontières de l’UA a également disparu, alors que la gouvernance des frontières, la mobilité transfrontalière, la gestion intégrée des frontières et la zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) sont devenues des éléments centraux de l’intégration continentale.

Les mêmes incohérences touchent les pôles commerciaux et économiques. La fusion des départements Affaires économiques avec Commerce et industrie aurait pu intégrer l’industrialisation, la politique commerciale et la gouvernance économique. Au lieu de cela, la création simultanée du Secrétariat de la ZLECAf à Accra, doté d’un degré d’autonomie inhabituel, a conduit à la création de centres de pouvoir concurrents.

Si la CUA est techniquement responsable de la politique commerciale et économique, le Secrétariat de la ZLECAf se charge de l’appliquer. Cependant, chacun mobilise des ressources de manière indépendante et opère à partir de lieux différents. Il en résulte des doublons, une fragmentation et une rivalité. Si la création d’un organisme spécialisé chargé de la mise en œuvre de la ZLECAf était justifiée, l’autonomie du Secrétariat et son éloignement physique du siège de l’UA à Addis-Abeba ont affaibli sa cohérence et brouillé les responsabilités.

Enfin, les relations entre l’UA et les CER restent ambiguës malgré un protocole conclu en 2020 qui les régit. La concurrence institutionnelle et politique persiste sur qui fait quoi, quand et pourquoi. La crise des Grands Lacs en est un exemple. Elle a révélé les divergences entre la Communauté de l’Afrique de l’Est, la Communauté de développement de l’Afrique australe et l’UA qui ont conduit à un cadre de médiation inhabituel, jusqu’à présent inefficace.

En tant qu’organisation politique, l’UA doit démontrer sa valeur économique à ses membres, qui doivent comprendre clairement pourquoi ils sont mieux lotis au sein de l’organisation qu’en dehors. L’ensemble de ces incohérences suggère qu’il est temps de revoir certaines des hypothèses sur lesquelles reposait la réforme de la CUA.

Les réponses aux crises prennent le pas sur les interventions à long terme

Tout d’abord, la décision de réduire le nombre de commissaires à six était-elle appropriée ? La portée et la complexité des priorités africaines ont augmenté : la sécurité climatique, la gouvernance numérique, les pandémies, les opérations de paix, les migrations, le commerce continental, l’industrialisation et la géopolitique des minerais critiques sont aujourd’hui plus complexes que jamais. Le retour à huit commissaires, voire plus, pourrait éviter de diluer ou de marginaliser structurellement les mandats clés.

La création du PAPS devrait également être réexaminée. La gouvernance, la démocratie, la justice transitionnelle, la prévention des conflits et l’alerte précoce nécessitent leur propre écosystème institutionnel. Le PAPS est très largement orienté vers la gestion réactive des crises. Un portefeuille de gouvernance et de prévention restauré et renforcé augmenterait la capacité de gestion des conflits à long terme de l’Afrique et donnerait tout son sens au mandat d’alerte précoce de l’UA.

Les relations entre le département Développement économique, commerce, tourisme, industrie et ressources minérales, le Secrétariat de la ZLECAf et l’Agence de développement de l’UA-NEPAD doivent également être clarifiées. La multiplicité d’organismes autonomes aux fonctions qui se chevauchent nuit à la cohérence continentale.

Si leur autonomie ne peut être remise en cause, leurs rôles doivent être précisés : la CUA définit les politiques, qui sont exécutées par des entités spécialisées. La coordination doit être institutionnalisée et ne pas dépendre de personnalités ou d’arrangements informels, comme c’est le cas actuellement.

L’UA devrait envisager la création d’une commission chargée des partenariats et de l’engagement multilatéral. Le paysage diplomatique de l’Afrique et de l’UA s’est considérablement élargi et inclut l’Europe, la Chine, les États-Unis, la Turquie, l’Inde, les pays du Golfe, les BRICS+, le G20, l’ONU et les cadres climatiques. Les intérêts bilatéraux des États membres sont importants, mais, dans certains contextes, la coordination continentale peut mieux amplifier l’influence africaine.

La sécurité intérieure et la mobilité nécessitent aussi d’être examinées. Les responsabilités sont réparties entre plusieurs départements : les questions frontalières relèvent du PAPS, les migrations des Affaires sociales, les déplacements de population des Affaires humanitaires et la coopération policière d’AFRIPOL.

Renforcer la gouvernance et la prévention donnerait tout son sens au mandat d’alerte précoce de l’UA

En parallèle, le protocole sur la libre circulation peine à progresser, en partie en raison de préoccupations sécuritaires. Un commissaire à la sécurité intérieure et à la mobilité pourrait regrouper la gestion des frontières, les systèmes d’identité, la coopération judiciaire, la circulation des personnes et la lutte contre le terrorisme sous une même égide cohérente, en accord avec les objectifs d’intégration de l’Afrique.

Il convient également de réaffirmer un principe stratégique : les agences spécialisées ont pour mission de mettre en œuvre les politiques de la CUA, et non de mener des programmes indépendants. Certaines agences sont devenues de fait des centres de développement de politiques autonomes, pourvus de ressources indépendantes. Cela affaiblit la cohérence des politiques de l’UA. La mobilisation des ressources devrait être coordonnée par la commission afin d’éviter la fragmentation et la dérive institutionnelle.

La restructuration de la CUA était une étape nécessaire, mais la réforme est un processus, pas un événement ponctuel. Le succès de l’UA dépend de sa capacité à évaluer, à s’adapter et à corriger le cap. La structure de la CUA doit refléter les réalités changeantes de l’Afrique, et non les hypothèses du passé.

Il est temps de faire le point et d’affiner le processus de réforme. Cela permettra à la CUA de remplir son mandat avec clarté et une orientation stratégique, en tant que moteur central du multilatéralisme africain.

Les droits exclusifs de re-publication des articles ISS Today ont été accordés au Daily Maverick en Afrique du Sud et au Premium Times au Nigéria. Les médias basés en dehors de l'Afrique du Sud et du Nigéria qui souhaitent republier des articles ou faire une demande concernant notre politique de publication sont invités à nous écrire.

Partenaires de développement
L’ISS tient à remercier les membres du Forum de partenariat de l’Institut, notamment la Fondation Hanns Seidel, l’Open Society Foundations, l’Union européenne, ainsi que les gouvernements du Danemark, de l’Irlande, de la Norvège, des Pays-Bas et de la Suède.
Contenu lié