Cette élection est-elle le signe d’un changement pour la RDC ?
Tshisekedi aura peu de marge de manœuvre, le parti de Kabila étant parvenu à conserver d’importants pouvoirs.
Suite à l’annonce de ce week-end stipulant que le parti au pouvoir en République démocratique du Congo (RDC) a remporté une large majorité à l’Assemblée nationale, la structure post-électorale du pouvoir se précise.
Le chef de l’opposition Félix Tshisekedi, déclaré vainqueur de l’élection présidentielle par la Commission électorale nationale indépendante (CENI), disposera d’une indépendance bien moindre que celle dont jouissait le président sortant Joseph Kabila. Ce dernier dirigeait le pays avec une Assemblée nationale dominée par son parti et un Premier ministre dont les prises de décision devaient toujours recevoir l’aval présidentiel.
Dans le nouveau paysage politique de la RDC, Kabila et son parti voudront s’assurer que ces rôles seront inversés, le Premier ministre qu’ils désigneront devant exercer une autorité considérable. Selon la Constitution congolaise, le Premier ministre provient du parti ayant la majorité parlementaire, en l’occurrence le Front commun pour le Congo (FCC) de Kabila qui a obtenu entre 250 et 300 sièges.
L’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) de Tshisekedi dispose de 31 sièges auxquels s’ajoutent les 15 sièges de son partenaire de coalition, l’Union pour la Nation Congolaise (UNC) dirigée par Vital Kamerhe. Ces résultats en font un acteur mineur au sein de l’Assemblée nationale et affaiblit le mandat de Tshisekedi.
La stratégie de Kabila a redoré son image tout en ne cédant qu’un minimum de pouvoir
D’après la CENI, le FCC au pouvoir a également remporté la plupart des sièges dans les 26 assemblées provinciales, lui offrant ainsi la possibilité d’élire ses propres candidats aux postes de gouverneurs provinciaux. Il disposera également de la majorité au Sénat, où Kabila, qui y détient automatiquement un siège en tant qu’ancien chef de l’État, pourrait être élu président. Le président du Sénat est le deuxième personnage de l’État après le président de la République.
Si la victoire de Tshisekedi était le fruit d’un accord politique avec le camp Kabila, et non une victoire légitime, d’autres éléments de partage du pouvoir auraient été convenus comme l’obtention de ministères clés tels que la Défense, l’Intérieur et les Affaires étrangères.
L’armée restera l’un des piliers du pouvoir de Kabila, de même que les services de renseignement. Quelle qu’ait été la stratégie de Kabila, elle lui a permis de redorer son image tout en ne cédant qu’un minimum de pouvoir.
Si aucun accord n’avait été passé et que Tshisekedi était convaincu d’avoir honnêtement remporté l’élection, il serait plus logique qu’il se joigne au concert des voix réclamant une réelle transparence. Une victoire incontestée lui donnerait la légitimité dont il a besoin pour contrebalancer l’influence considérable du FCC et de l’élite de Kabila.
Si Tshisekedi est convaincu d’avoir honnêtement remporté l’élection, il doit se joindre au concert des voix réclamant une réelle transparence
Les Congolais semblent divisés quant à l’issue de la situation. Le partisans de Tshisekedi sont satisfaits, bien sûr, et, dans leur ensemble, ne demandent pas une plus grande transparence. Les partisans de la coalition Lamuka de Martin Fayulu, qui comprend également les poids lourds politiques que représentent Moïse Katumbi et Jean-Pierre Bemba Gombo, soutiennent la contestation des résultats de la CENI par Fayulu.
Il y a aussi ceux, dans les deux camps, qui pensent que la défaite du candidat du FCC, Emmanuel Ramazani Shadary, est suffisante, et qui ne veulent pas voir le pays s’embourber dans une contestation post-électorale.
Ceci est important parce que la quête d’une plus grande transparence n’est pas seulement une question de principe – il s’agit de l’avenir de la RDC à long terme. Le peuple congolais a clairement indiqué vouloir une démocratie fonctionnelle, le droit de vote et le respect de sa Constitution. Il a exprimé sa frustration envers le parti dirigeant qu’il considère corrompu et inefficace.
Cette pression intérieure soutenue a constitué l’une des principales raisons pour lesquelles Kabila n’a pas brigué, illégalement, de troisième mandat. C’est aussi peut-être ce qui a incité le parti au pouvoir à ne pas imposer Ramazani comme vainqueur de l’élection.
Quelle que soit le dirigeant du pays, il sera confronté à des défis considérables. Le démantèlement d’un système de captation de l’État, vieux de plusieurs décennies, et des réseaux d’intérêts personnels, et la lutte contre la corruption généralisée prendront du temps et nécessiteront une bonne dose de volonté politique. Dans le nouveau paysage politique de la RDC, Tshisekedi aura peu de marge de manœuvre, car ceux dont les intérêts seraient menacés par un grand ménage ont réussi à conserver un pouvoir considérable.
Procéder à l’heure actuelle à un compromis politique reviendrait à invalider le vote du peuple congolais
Pour le Congolais, cela signifie encore des années de gouvernement défectueux et de mauvaise gouvernance. Les acteurs internationaux, et tout particulièrement africains, sont indispensables pour inciter à davantage de transparence et faire obstacle à un potentiel hold-up électoral.
L’Union africaine (UA), la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC), l’Afrique du Sud et l’Angola devraient relayer les exigences de la société civile congolaise concernant la publication écrite des résultats pour chaque bureau de vote. C’est également la position de l’Union européenne et de plusieurs autres pays. L’Église catholique doit, quant à elle, partager toute preuve dont elle disposerait indiquant que les résultats de la CENI sont incorrects.
Dans leurs déclarations, l’UA, la SADC et l’Afrique du Sud ont évoqué le recours à des moyens légaux internes afin de contester les résultats. Cependant, aucune institution congolaise n’est en mesure de mener ce travail à bien de manière objective et indépendante. La Cour constitutionnelle est noyautée par des juges nommés par Kabila et les décisions qu’elle a rendues ces dernières années l’ont clairement démontré.
La SADC est allée encore plus loin cette semaine en demandant aux autorités congolaises de procéder à un recomptage des voix et en évoquant une possible résolution de la situation par la formation d’un gouvernement d’unité nationale. Le recomptage dépendrait, une fois de plus, de la volonté politique des autorités congolaises – le droit électoral du pays dispose qu’un recomptage peut être ordonné par un juge, en cas de circonstances exceptionnelles.
D’autre part, il est prématuré d’en appeler à un gouvernement d’unité nationale alors que les résultats de l’élection présidentielle font l’objet d’une contestation. Procéder aujourd’hui à un compromis politique équivaudrait également à invalider le vote du peuple congolais. De plus, il est improbable que le camp de Fayulu, qui déclare avoir remporté l’élection présidentielle avec 61 % des suffrages, donne son accord.
L’Afrique du Sud, en particulier, a souvent évoqué le fait que la stabilité est le facteur le plus important – primant sur l’existence de processus démocratiques parfaits, spécifiquement au sortir d’un conflit. Les deux dernières années de report électoral et d’incertitudes ont déstabilisé tout le pays, les élections devant y mettre un terme.
Cependant, cet équilibre doit résulter, non pas d‘élections contestables, mais d’un scrutin libre et équitable, avec des résultats crédibles et vérifiés, à l’inverse de celui qui vient de se dérouler. Il serait donc naïf de penser que les choses changeront, du simple fait que Kabila n’est plus le chef de l’État.
Stephanie Wolters, Chargée de recherche principale, ISS Pretoria
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