La RDC connaîtra-t-elle une nouvelle élection chaotique ?

Les violences dans l’est de la RDC viennent s’ajouter aux interrogations qui pèsent sur le scrutin présidentiel de décembre.

La République démocratique du Congo (RDC) qui organisera des élections présidentielles dans moins de sept semaines, semble à nouveau mal préparée. Faut-il s’attendre à une répétition du fiasco de 2018 où les résultats officiels paraissaient en décalage avec la réalité ?

La Commission électorale nationale indépendante (CENI) a officiellement annoncé le 20 décembre comme le jour des élections. Les scrutins législatifs et locaux suivront l’année prochaine, mais la date reste incertaine. Le président de la CENI, Denis Kadima, prétend ne pas disposer de moyens suffisants pour organiser ces scrutins.

Selon l’International Crisis Group (ICG), l’instabilité permanente à l’est du pays pourrait priver plus d’un million d’électeurs de leur droit de vote. La répression gouvernementale des manifestations de l’opposition constitue un autre écueil. Le 30 août, les troupes de la Garde républicaine ont massacré plus de 50 civils en passe de manifester contre la Mission de maintien de la paix des Nations unies à Goma, capitale de la province orientale du Nord-Kivu.

En 2018, malgré sa victoire, l’opinion publique soutenait que Félix Tshisekedi avait perdu les élections face à Martin Fayulu. Cette année, Tshisekedi, briguera un second mandat contre 23 candidats, dont Fayulu. Les autres candidats de renom sont Moïse Katumbi, ancien gouverneur de la province du Katanga et riche homme d’affaires, Adolphe Muzito, ancien premier ministre, Denis Mukwege, gynécologue et lauréat du prix Nobel de la paix, et Delly Sessanga, ancien ministre.

Pour l’opposition et les observateurs, la CENI est partisane du pouvoir en place

Katumbi a été évincé de l’élection de 2018 par des manœuvres juridiques fallacieuses, auxquelles il est à nouveau confronté. Cette semaine, la Cour constitutionnelle a rejeté une requête visant à le disqualifier en raison de sa nationalité italo-congolaise. Katumbi a obtenu gain de cause, mais sa candidature nécessite l’approbation officielle de la CENI, tout comme celles des autres candidats, d’ici le 18 novembre, date officielle de début de la campagne.

Selon Fayulu, pour l’opposition et des observateurs, la CENI est partisane du président sortant, car Kadima est un proche de Tshisekedi. Ils sont originaires de la même ville, du même groupe ethnique et membres du même parti politique.

Cette semaine, six candidats, dont Fayulu, Mukwege et Katumbi, ont publié une déclaration conjointe dans laquelle ils envisagent unir leurs efforts contre la fraude électorale et demandent à la CENI de prendre des mesures à cet effet. Ils réclament une transparence accrue dans la publication des listes électorales et la cartographie des bureaux de vote, afin d’obtenir du soutien et de déployer leurs agents et observateurs.

Dans un pays où les scrutins sont rares, voire inexistants, il est difficile de deviner qui serait vainqueur lors d’élections libres et équitables. En 2018, la CENI a attribué la victoire à Tshisekedi avec 38,56 % des voix, devançant de peu Fayulu avec 34,82 % et écrasant Emmanuel Shadary, candidat du parti du président sortant Joseph Kabila, avec 23,83 %.

Une mission de la SADC pourrait difficilement neutraliser les groupes rebelles pour permettre l’inscription d’électeurs

Les observateurs indépendants, y compris l’Église catholique, ont estimé que Fayulu, candidat de la coalition de l’opposition, l’avait remporté haut la main. Selon eux, lorsque Kabila a réalisé qu’il ne pouvait pas revendiquer la victoire de Shadary, battu à plate couture, il a passé un accord avec Tshisekedi pour le nommer président à condition de gouverner le pays ensemble.

Il est également impossible de déclencher cette élection. Une enquête du baromètre sociopolitique GeoPoll datant du deuxième trimestre 2023 a révélé un mécontentement des électeurs à l’égard de la gouvernance de Tshisekedi. Leur taux de satisfaction était inférieur à 50 %. Malgré cela, l’enquête indiquait qu’il serait réélu, en raison des améliorations dans sa gouvernance (notamment grâce à son initiative d’éducation gratuite) et de la division au sein de l’opposition.

Jacques Mukena, chercheur principal en gouvernance à l’Institut Ebuteli, a déclaré à ISS Today que, compte tenu des avantages considérables liés au poste de président, avec ou sans truquage, Tshisekedi devait être considéré comme le favori. Ses alliances avec des hommes politiques comme Jean-Pierre Bemba Gombo ont renforcé sa position. Selon Mukena, Katumbi est le candidat de l’opposition le plus redoutable, suivis de Mukwege et Fayulu.

« La véritable question est de savoir si l’opposition peut s’unir derrière un candidat unique pour avoir une chance face à Tshisekedi », a-t-il déclaré. Mais il en doute. Il a également souligné que Kabila n’avait pas encore apporté son soutien crucial à un candidat.

Les variables de l’issue des élections dans ce pays complexe sont multiples

Par ailleurs, Mukena estime que les élections ne seront pas totalement libres et équitables, mais que Tshisekedi et la CENI sont conscients que l’attention de la communauté nationale et internationale sera plus importante qu’en 2018. En outre, Sessanga avait déclaré qu’il s’appuierait sur l’opinion de l’Église catholique quant au vainqueur, et non sur celle de la CENI.

Fayulu est catégorique. Il a déclaré à ISS Today que « La commission électorale [prépare une élection chaotique] et donc aucunement libre, juste et transparente. Il est peu certain que l’élection ait lieu le 20 décembre. Tshisekedi ne peut être vainqueur en raison de son échec notoire dans tous les domaines : social, sécurité, corruption, tribalisme... Sa seule chance est une élection frauduleuse qu’il a mandaté la CENI de préparer ».

Fayulu a reconnu la difficulté à organiser des élections dans des régions en proie aux conflits du Nord-Kivu et de l’Ituri, mais il n’a pas expliqué comment cela affecterait les chances des candidats. Il a balayé du revers de la main les sondages qui donnaient Tshisekedi vainqueur, affirmant qu’ils n’étaient pas fiables en RDC. Pour lui, l’indicateur le plus fiable est le taux de participation et l’enthousiasme lors des rassemblements électoraux, dont, lui, Fayulu a bénéficié.

Dans son rapport de cette semaine, l’ICG propose à la communauté internationale d’encourager un règlement pacifique des différends électoraux et de jouer le rôle de médiateur.

La Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) a proposé d’envoyer une force d’intervention dans l’est de la RDC pour stabiliser la région « afin de permettre aux Congolais d’exercer leur droit de vote » a déclaré cette semaine, Elias Magosi, Secrétaire exécutif.

Mais la SADC arrive en retard. Une descente de la mission a été proposée en mai et devait se tenir en septembre. Cette semaine, la SADC a organisé un sommet virtuel pour résoudre les écueils en suspens, principalement ceux liés au financement. Le sommet a été ajourné au 4 novembre.

Il est difficile d’imaginer que la force régionale pourrait neutraliser tous les groupes rebelles de l’est de la RDC à temps pour permettre l’inscription de ces millions d’électeurs. Cette raison pourrait aussi justifier le report du scrutin.

Avec 43,9 millions de Congolais inscrits sur les listes électorales, les variables de l’issue des élections dans ce pays complexe sont multiples.

Peter Fabricius, consultant, ISS Pretoria

Image : © Reuters

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