La piraterie somalienne est-elle enfin sous contrôle ?

La résolution du Conseil de sécurité sur la piraterie étant arrivée à son terme, les pratiques sécuritaires dans l’océan Indien occidental peuvent faire leurs preuves.

La piraterie au large des côtes somaliennes capte depuis longtemps l’attention des médias et des gouvernements. Mais l’expiration, le 31 mars, de la résolution 2608 du Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU) relative à la lutte contre la piraterie n’a guère fait parler d’elle. Or, c’est la première fois depuis 2008 que le Conseil de sécurité ne renouvelle pas la résolution sur la piraterie dans la région.

La Convention des Nations unies sur le droit de la mer confère aux États côtiers des droits étendus et des responsabilités en matière de sécurité sur leurs eaux territoriales – une zone qui s’étend du littoral jusqu’à 12 milles marins au large des côtes. Cependant, dans le cas de la Somalie, jusqu’à une période récente, il n’y avait ni gouvernement ni marine, et ce depuis l’effondrement de l’État en 1991. Même ainsi, les forces navales internationales devaient respecter les eaux territoriales somaliennes.

Or, les pirates utilisaient cette zone comme refuge, la limite des 12 milles nautiques leur servant de barrière de protection. Il fallait régler ce problème. Ainsi, depuis 2008, des résolutions annuelles du CSNU autorisaient des missions navales étrangères à user légitimement « de tous les moyens nécessaires pour réprimer les actes de piraterie et les vols à main armée » dans cette zone, avec le consentement de la Somalie. Ces résolutions ont permis à des États d’intervenir dans les eaux territoriales somaliennes afin de poursuivre, d’interpeller, de saisir et d’arrêter des pirates.

Le Bureau maritime international met en garde contre l’expiration de la résolution du CSNU qui pourrait encourager la piraterie

Le gouvernement somalien insistait de plus en plus sur le fait que les résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU avaient atteint leur objectif premier, à savoir réprimer la piraterie, et qu’il n’était pas nécessaire de les renouveler. La résolution 2608, adoptée le 3 décembre 2021, a été assortie d’un délai de trois mois seulement, au lieu d’une année supplémentaire comme cela se faisait habituellement. La Somalie considère que cette prolongation été imposée de manière injuste pour deux raisons.

Premièrement, le pays a progressé dans la prise en charge de sa propre sécurité, aussi bien en mer que sur terre. En août 2021, la direction maritime de la Somalie a entamé un travail de révision de sa stratégie sur le plan des ressources et de la sécurité maritimes. Le Comité national de coordination maritime a lancé un exercice visant à répertorier toutes les activités maritimes, notamment l’appui international.

L’ambassadeur de Somalie auprès des Nations unies, Abukar Osman, a déclaré au CSNU : « Nous avons accéléré nos efforts pour mettre en place et renforcer les capacités de nos agences chargées de faire respecter la loi maritime et nous avons créé une unité maritime spécialisée pour faire face aux nouvelles menaces et aux nouveaux crimes internationaux commis en mer ».

Selon le Plan de transition pour la Somalie, les forces de sécurité devraient assumer toutes les responsabilités de la mission de l’Union africaine dans le pays d’ici le 31 décembre 2024. La Mission de transition de l’UA en Somalie (ATMIS) a récemment remplacé la Mission de l’UA en Somalie (AMISOM), qui existait depuis longtemps. La sécurité maritime a rarement figuré dans l’analyse et la prise de décision de l’AMISOM, mais la piraterie a exacerbé l’insécurité en Somalie en alimentant la criminalité et la corruption en raison de la circulation de sommes importantes pour le paiement des rançons.

L’expiration de la résolution soulève des questions quant à la présence des grandes puissances dans la région

Deuxièmement, aucun détournement réussi n’a été signalé depuis mars 2017. Tentatives et attaques ont fortement diminué depuis 2013. Le rapport du Secrétaire général publié en 2021 sur la piraterie et les vols à main armée commis en mer au large de la Somalie y fait référence.

À l’instar du Bureau maritime international, des observateurs estiment que ces raisons ne sont pas suffisantes pour laisser la résolution du CSNU devenir caduque, et appellent à la prudence en soulignant que cela pourrait encourager la piraterie. Le terrorisme va s’aggravant, tout comme la crise politique du pays. Il semble donc peu probable que, dans ce contexte, les capacités de la Somalie en matière de sécurité maritime s’améliorent rapidement.

Plusieurs membres du CSNU, tels que la France, le Royaume-Uni et les États-Unis, ont plaidé en faveur du maintien de mesures de lutte contre la piraterie, pour protéger, par exemple, les navires du Programme alimentaire mondial. Il est peu probable que l’expiration de la résolution n’inverse la tendance à l’amélioration de la sécurité, mais elle soulève des questions quant à la présence permanente de ces grandes puissances, entre autres, dans la région.

Tout d’abord, des éléments essentiels de l’architecture de sécurité maritime permettant de faire face à la piraterie somalienne restent en place. Ainsi, le couloir de transit reconnu au niveau international permet aux navires de passer en toute sécurité par le golfe d’Aden, plutôt que de naviguer à proximité de la Somalie. Le secteur du transport maritime a également mis en œuvre plusieurs mesures relevant des bonnes pratiques qui ont réduit le risque d’être la proie des pirates.

Ensuite, les groupes criminels qui sont en mesure de commettre des actes de piraterie se sont tournés vers d’autres activités illégales. Pour contrer cette menace, les efforts multilatéraux doivent élargir leur champ d’action afin d’y intégrer les crimes transnationaux commis en mer. Plusieurs initiatives de lutte contre la piraterie se sont en effet adaptées à la nouvelle réalité sécuritaire au large des côtes somaliennes. L’amendement de Djeddah au Code de conduite de Djibouti et le Groupe de contact sur les activités maritimes illicites dans l’océan Indien occidental constituent des mesures proactives visant à réévaluer ou à élargir le champ de leurs missions.

L’opération ATLANTA de l’Union européenne (UE) serait la plus touchée par le non-renouvellement de la résolution sur la lutte contre la piraterie, car l’accès aux eaux territoriales somaliennes constitue une composante essentielle de l’exécution de son mandat. L’UE a prolongé l’opération d’un an, en espérant que la résolution du CSNU serait renouvelée. Le problème est devenu récemment moins important, après que le Conseil de l’UE a lancé son concept de Présences maritimes coordonnées qui vient compléter ATLANTA. Ce concept montre la volonté de l’Europe de rester impliquée dans les activités de sécurité maritime régionale.

Plusieurs initiatives de lutte contre la piraterie se sont adaptées à la nouvelle réalité sécuritaire au large de la Somalie

Les changements induits par l’expiration de la résolution du CSNU rendront la tâche difficile aux pays étrangers, qui ne pourront plus utiliser la lutte contre la piraterie pour légitimer leur présence militaire dans la région. Les membres du Conseil de paix et de sécurité de l’UA ont fait part de leurs inquiétudes concernant les bases militaires étrangères en Afrique, dont beaucoup ont utilisé l’argument de la lutte contre la piraterie somalienne pour justifier leur présence.

Les énormes investissements réalisés par des pays tels que les États-Unis, le Japon, l’Allemagne, l’Italie et la Chine, combinés aux intérêts d’États comme Djibouti qui tirent des revenus de leur présence, laissent supposer qu’il est peu probable qu’ils renoncent à leurs bases de si tôt. L’accroissement de la concurrence géopolitique et du militarisme dans l’océan Indien, ainsi que l’insécurité découlant du conflit au Yémen, sont autant de raisons pour lesquelles la situation n’est probablement pas prête de changer.

La manière dont l’Union européenne, les États-Unis, la Chine et d’autres pays choisissent maintenant de formuler leurs intentions à plus long terme dans la région et leur engagement à renforcer la gouvernance et les capacités de sécurité de la Somalie sera révélée au monde entier.

Timothy Walker, chef de projet et chercheur principal, et Denys Reva, chercheur, Enjeux maritimes, ISS Pretoria.

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Image : © EU Naval Force - Somalia

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