La guerre de la Russie contre l’Ukraine s’étend-elle à l’Afrique ?
Les signes dangereux d’une guerre Russie-Ukraine par procuration pourraient avoir de graves conséquences pour le continent.
La Russie semble intensifier son offensive sur plusieurs fronts pour accroitre son influence en Afrique, tandis que l’Ukraine, riposte, menaçant de transformer le continent en un grand champ de bataille par procuration.
Des escarmouches militaires ont éclaté la semaine dernière en Afrique, lorsque la force Wagner de Moscou (désormais Africa Corps) a subi de lourdes pertes lors d’une bataille contre des séparatistes Touaregs et des djihadistes à Tinzawatène, au Mali. Ce revers marque un coup dur pour le Kremlin, qui semblait étendre sa présence, ou du moins contrer les efforts occidentaux pour regagner du terrain.
Les soldats russes comblent déjà le vide laissé par le retrait des troupes américaines d’Agadez, au Niger. Cette base américaine servait à surveiller les extrémistes islamistes dans le Sahel. En République centrafricaine, sous la présidence de Faustin-Archange Touadéra, un allié de Moscou depuis quelques années, des agents de Wagner ont empêché Bancroft Global Development, une société de sécurité américaine, de s’établir à Bangui en janvier.
La Russie maintient également une présence significative en Libye, combattant aux côtés de Khalifa Haftar, chef militaire du gouvernement oriental basé à Benghazi, contre le gouvernement reconnu par les Nations Unies (ONU) à Tripoli, à l’ouest.
L’offensive africaine de Moscou cible l’Occident, mais vise aussi spécifiquement l’Ukraine
Cette guerre s’est arrêtée en 2020, mais Tim Eaton, expert sur la Libye à Chatham House, a déclaré à ISS Today que des milliers de soldats de Wagner devraient rester en Libye. Les Russes exploitent toujours leur base aérienne de Jufra, dans le centre de la Libye, et du matériel militaire russe continue d’affluer dans l’est du pays. Eaton a souligné qu’« il existe de nombreuses spéculations sur l’objectif réel de l’engagement russe en Libye : s’agit-il de la Libye, de l’accès à l’Afrique, notamment au Sahel, ou des deux ? »
Événements de violence politique impliquant Wagner/Africa Corps depuis janvier 2022
Source : ACLED
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Concernant la propagande, la chaîne de télévision publique russe RT tente de se relancer en Afrique. Une vaste campagne marketing, par le biais de panneaux d’affichage et d’autres supports publicitaires présente des images de héros de la libération tels que Julius Nyerere (Tanzanie), Apollo Milton Obote (Ouganda), Kwame Nkrumah (Ghana) et Robert Mugabe (Zimbabwe). Ces panneaux arborent le slogan : « Vos valeurs. Partagées ». Dans un communiqué, RT affirme son engagement à « déconstruire les récits néocolonialistes dans les médias ».
Cependant, la présence réelle de RT en Afrique reste floue. Après l’invasion russe en Ukraine en février 2022, la chaîne a été retirée des ondes et semble désormais fonctionner principalement via des mandataires chinois.
Anton Harber, analyste sud-africain des médias, a déclaré que la campagne de RT était « trop datée » pour influencer les jeunes Africains. Il souligne également « l’ironie de voir RT se présenter comme la voix de l’anticolonialisme alors que la Russie étend son influence sur le continent d’une manière quasi néocoloniale ». Selon lui, RT n’est pas une voix africaine, mais un organe de propagande au service de Poutine qui dissimule ses ambitions en Afrique sous une rhétorique anticoloniale paternaliste.
Toutefois, Samuel Ramani, expert en relations Russie-Afrique au Royal United Services Institute et à l’Université d’Oxford, estime que la lutte contre l’ancien colonialisme anti-occidental « renforcera progressivement l’attrait de la Russie ».
Après l’attaque au Mali, la Russie a ironiquement accusé l’Ukraine d’ouvrir un front en Afrique
La Russie mène une guerre de l’information en Afrique, similaire à celle des États-Unis en 2016, avec des bots qui tentent d’influencer les élections en Afrique du Sud, à Madagascar et probablement ailleurs.
L’offensive africaine de Moscou cible l’Occident, mais vise aussi l’Ukraine en matière de propagande, et l’Ukraine riposte.
L’envoyé spécial de l’Ukraine pour l’Afrique et le Moyen-Orient, Maksym Subkh, a annoncé l’ouverture de nouvelles ambassades en Afrique. Ces initiatives visent à renforcer les relations diplomatiques et économiques, mais aussi à contrer la propagande anti-Ukraine de la Russie. Une empreinte diplomatique accrue permettrait à l’Ukraine d’aider les Africains à contrer l’influence de Wagner, car, selon lui, Kiev a acquis de l’expérience en affrontant Wagner.
Après la bataille intense de la semaine dernière à Tinzawatène, durant laquelle les séparatistes Touaregs prétendent avoir tué 84 combattants de Wagner et 47 soldats maliens, l’officier Andriy Yusov, porte-parole de l’agence de renseignement ukrainienne, a déclaré que les rebelles maliens avaient reçu les informations « nécessaires » pour mener l’attaque, insinuant une possible implication ukrainienne.
L’extension du conflit russo-ukrainien en Afrique pourrait avoir de graves conséquences pour le continent
En réponse, la junte militaire malienne a rompu ses relations diplomatiques avec l’Ukraine, l’accusant de soutenir le « terrorisme international ». L’Ukraine a démenti cette accusation, affirmant que le Mali avait agi à la hâte, sans enquêter sur l’incident ni fournir de preuves de son implication.
La junte militaire du Niger, voisine du Mali, a également rompu ses liens diplomatiques avec Kiev. La Russie a accusé l’Ukraine d’ouvrir un nouveau front en Afrique, une accusation teintée d’ironie.
Les conséquences de la guerre entre la Russie et l’Ukraine pourraient être graves pour l’Afrique. La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest a condamné « l’ingérence étrangère dans la région […] et toute tentative d’entraîner la région dans les confrontations géopolitiques actuelles ». L’Union africaine n’a pas réagi.
Cette évolution n’est peut-être pas entièrement nouvelle en Afrique. Pour Ramani si l’Ukraine a effectivement contribué à la défaite de Wagner au Mali, cela s’inscrit dans sa stratégie à deux volets en Afrique. D’une part, l’ouverture diplomatique avec l’établissement de nouvelles ambassades et, d’autre part, « des opérations spéciales discrètes comme celles observées contre le RSF au Soudan ».
Le « RSF » désigne les Forces de soutien rapide (Rapid Support Forces), engagées dans un conflit violent avec les Forces armées soudanaises (SAF). Il est de notoriété publique que la Russie, notamment Wagner, soutient le RSF. En février, le Kyiv Post a rapporté que des forces spéciales ukrainiennes opéraient au Soudan, soutenant les Forces armées soudanaises contre celles de Wagner, alliées du RSF.
Pour Ramani, la défaite de Wagner au Mali conduira à une introspection. Les forces de Wagner seront probablement davantage contrôlées par l’État, « comme le processus en cours en Libye. »
Il ajoute que « cela pourrait pousser le Burkina Faso et le Niger, qui autorisent des conseillers russes à opérer dans leurs pays… à reconsidérer la possibilité de confier à la Russie des missions de lutte contre le terrorisme à plus grande échelle ». Cependant, Ramani souligne que la Russie a déjà surmonté des revers militaires majeurs et qu’elle s’en remettra.
« La Russie est un acteur très flexible, capable de tirer parti des coups d’État et des crises. Son influence devrait perdurer, car les pays africains la considèrent comme un pôle important du système international, avec lequel ils souhaitent s’engager aux côtés d’autres puissances, plutôt que de l’isoler comme le préconise l’Occident ».
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