Ministère des Affaires étrangères de Russie/Twitter

L’influence croissante de la Russie en Afrique appelle des partenariats plus équilibrés

Moscou progresse grâce à des accords bilatéraux, toutefois, les États africains ne doivent pas s’impliquer dans un conflit mondial par procuration.

Début juin, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, s’est rendu en Guinée, en République du Congo et au Burkina Faso. Cette visite était sa sixième en Afrique depuis 2022. Alors que la Russie intensifie son offensive diplomatique, les États africains peuvent-ils échapper à la concurrence géopolitique entre Moscou et l’Occident ?

La rivalité s’est intensifiée avec la guerre en Ukraine, plusieurs pays européens accusant la Russie de mener une campagne de sabotage coordonnée dans l’Union européenne (UE). Le Kremlin affirme que sa présence croissante en Afrique ne vise pas à concurrencer l’Occident, mais la rhétorique anti-occidentale accompagne souvent les visites russes.

La guerre russo-ukrainienne a accru l’importance de l’Afrique dans la politique étrangère russe. Cette politique prévoyait en 2016 un engagement minimal avec le continent ; toutefois, la version de 2023 considère l’Afrique comme un « centre distinctif et influent du développement mondial ».

L’Afrique représente le plus grand bloc de vote aux Nations Unies, avec 54 des 193 membres votants. Sans surprise, les diplomates occidentaux, ukrainiens et russes ont tenté d’obtenir le soutien des États africains au début de la guerre. Mais le conflit a entraîné des répercussions négatives sur les systèmes alimentaires, énergétiques et financiers internationaux. La sécurité alimentaire est devenue une question urgente pour l’Afrique, et le Kremlin s’en est servi pour se présenter comme un partenaire alternatif.

La Russie est parfois le seul partenaire international des pays africains sous sanctions

Pourtant, malgré les déclarations publiques, les efforts de la Russie restent en deçà des attentes pour trois raisons. Premièrement, le volume des échanges commerciaux de la Russie avec l’Afrique en 2022 (18,4 milliards de dollars) était inférieur à celui des partenaires traditionnels, comme la Chine (199 milliards de dollars), l’Italie (76,3 milliards de dollars), la France (67,8 milliards de dollars), les États-Unis (65,7 milliards de dollars) et l’Allemagne (45 milliards de dollars).

De plus, les importations africaines en provenance de Russie représentent moins de 2 %, bien moins que celles des autres partenaires commerciaux (voir le graphique). Ces tendances peuvent justifier la réticence des pays africains au pivot stratégique de Moscou. Seuls 17 chefs d’État africains ont participé au sommet Russie-Afrique de 2023, contre plus du double en 2019.

Importations africaines de certains partenaires commerciaux mondiaux% of African imports from selected global trade partners

Source : Trade Map, Centre du commerce international


Deuxièmement, la fin du blocus naval russe par l’Ukraine en 2023 a allégé les restrictions à l’exportation de céréales, favorisant une baisse de prix alimentaires attendue pour 2024. La sécurité alimentaire reste cruciale dans les relations Russie-Ukraine-Afrique, mais la guerre n’est plus prioritaire pour le continent. Certains États africains, comme le Maroc, ont profité de l’interruption des échanges pour accroître leur part de marché.

Enfin, au sommet Russie-Afrique de 2023, plusieurs États africains ont choisi le non-alignement. Cette situation pourrait difficilement changer. Par conséquent, les puissances mondiales rivalisent pour obtenir le soutien de l’Afrique sur des questions spécifiques.

Les engagements bilatéraux de Moscou portent leurs fruits. D’abord, la reconnexion de la Russie avec l’Afrique a été accélérée par les changements géopolitiques au Sahel, remettant en question la domination des puissances traditionnelles et créant un vide économique et sécuritaire dans la « ceinture des coups d’État ».

Les six pays lusophones d’Afrique ont signé des accords militaires avec la Russie

L’ouverture du Kremlin à des partenariats inconditionnels a fait de la Russie le nouveau favori, parfois le seul partenaire international des pays isolés et sous sanctions. Deux des trois pays visités par Lavrov en juin - la Guinée et le Burkina Faso - récents théâtres de coups d’État, sont sous sanctions, notamment de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Après le coup d’État de 2023 au Niger, la Russie a mis en garde la CEDEAO contre le recours à des mesures militaires dans le pays.

Et si les actions de Moscou peuvent affaiblir les réponses de la CEDEAO et de l’Union africaine aux coups d’État, la Russie n’est pas perçue comme un perturbateur par les pays d’Afrique de l’Ouest. Tout comme en Syrie, la Russie tire parti de son importance croissante en participant aux discussions sur la paix et la sécurité régionales.

Mais le plus grand succès de la Russie réside dans les accords bilatéraux de sécurité, incluant la formation et la fourniture d’armes. La visite de Lavrov a coïncidé avec celle du vice-ministre russe de la Défense, Yunus-Bek Yevkurov, en Libye et au Niger. La Russie devrait signer des accords de sécurité avec le Tchad, la Guinée, le Congo, la Libye et le Niger.

Selon un nouveau rapport de l’Institut polonais des affaires internationales (PISM), Yevkurov est désormais responsable des opérations d’Africa Corps (anciennement Wagner) en Afrique. Les activités illicites de Wagner sur le continent, comparées à celles d’un groupe criminel organisé, portent sur la contrebande et le blanchiment d’argent. Bien que le Kremlin revendique un certain degré de séparation, Wagner a soutenu les intérêts de Moscou.

La Russie a conclu des accords de sécurité bilatéraux, incluant la formation et la fourniture d’armes

Selon le PISM, Africa Corps, sous une nouvelle direction, poursuit efficacement les objectifs stratégiques russes, se concentrant sur la coopération économique et sécuritaire formelle pour supplanter l’influence politique occidentale en Afrique en établissant des accords alternatifs de coopération en matière de sécurité.

La coopération de la Russie avec les États du Sahel se fait au détriment de la France, dont l’influence dans la région a diminué. Un rapport récent révèle que la France devrait réduire considérablement sa présence militaire en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale, faute de demandes de formation et de partenariats en matière de sécurité. La Russie progresse également en Afrique lusophone, ce qui inquiète le Portugal. Les six pays lusophones africains ont signé des accords militaires avec la Russie.

Cette stratégie porte progressivement ses fruits. Les accords bilatéraux avec la Russie ne feront pas basculer l’équilibre mondial des pouvoirs en Afrique, mais rendront les États africains plus prudents quant à leur position sur la guerre en Ukraine ou leurs critiques envers Moscou.

En témoigne la participation limitée des pays africains au sommet Suisse sur la paix en Ukraine ce mois-ci. Avant l’événement, la Russie et l’Ukraine ont fait pression sur les pays du « Sud », en particulier en Afrique. La Russie a critiqué le sommet et tenté de dissuader les pays d’y participer. L’Ukraine s’est efforcée de garantir la participation des pays du Sud, le président Volodymyr Zelenskyy ayant personnellement invité plusieurs dirigeants africains.

Bien que l’ordre du jour du sommet portait sur des questions humanitaires non contraignantes telles que l’échange de prisonniers, le retour des enfants ukrainiens et la sécurité alimentaire, seuls 13 pays africains y ont participé dont 10 ont signé la déclaration finale.

La présence croissante de la Russie ne doit pas être perçue comme un danger, et peut compléter les relations de l’Afrique avec ses partenaires nouveaux et traditionnels. Mais si les États africains sont moins préoccupés par la guerre en Ukraine, le continent reste une priorité pour l’Ukraine, la Russie et d’autres grandes puissances. Ces concurrents mondiaux recherchent le soutien ou la neutralité de l’Afrique, mais les pays africains ne devraient pas s’investir dans une guerre par procuration.

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