La crise du Burundi : l’heure pour l’Afrique du Sud de prendre la direction
Alors que la violence continue de croître, le Burundi n'a plus de temps. Les pays clés comme l'Afrique du Sud doivent préconiser une intervention audacieuse pour prévenir le pire.
La semaine prochaine, le Sommet annuel de l’Union africaine (UA) se célèbrera au Siège de l’UA à Addis-Abeba. Ce sommet n’est généralement pas un événement source de politiques révolutionnaires, néanmoins celui-ci pourrait (et devrait) être historique : ce sera la première fois que les chefs d'État voteront surle déploiement d’une force de maintien de la paix dirigée par l’UA dans un pays qui n’a pas accepté ce déploiement. Ce pays est le Burundi et la décision de déployer des troupes a été prise par le Conseil de paix et de sécurité (CFP), composé de 15 membres, le 17 décembre de l'année dernière.
Le Burundi bascule de plus en plus vers l’instabilité depuis que le président Pierre Nkurunziza a décidé de briguer un troisième mandat l'an dernier. L‘interprétation de la constitution par Nkurunziza – il soutenait être en droit pour un troisième mandat sous prétexte que le premier était un mandat spécial post-transition – a été contestée par la société civile ainsi que par l’opposition politique et a déclenché des protestations généralisées avant les élections de juin/juillet.
Le sommet de l’UA de la semaine prochaine devrait être historique, en raison du vote des chefs de l’État sur le déploiement au Burundi
Malgré une victoire aux élections controversée, le gouvernement a suivi une stratégie de ligne dure envers les militants des droits de l’homme, les opposants politiques et les médias indépendants – en éliminant totalement les voix dissidentes dans le pays. Depuis juillet, la crise n’a fait qu’empirer. Peu pensent désormais que les choses vont simplement se stabiliser et des centaines de politiciens de l’opposition, de militants de la société civile et de journalistes sont actuellement en exil au Rwanda, au Kenya ou en Belgique. Cela vient s’ajouter aux 240 000 Burundais qui ont fui le pays et vivent maintenant réfugiés dans les pays voisins.
Des centaines de meurtres ont été commis par les services de sécurité et sont niés par le gouvernement. L’insécurité est généralisée dans la capitale de Bujumbura et s’étend dans les zones rurales. Les civils sont sujets aux caprices des forces de sécurité, qui ciblent aléatoirement les jeunes hommes en particulier et les accusent de soutenir l’opposition armée, qui contribue également à présent à l’insécurité par des actes de violence. Dans les zones où le mouvement de protestation a été le plus fort, les résidents ont dû s’habituer à la vue de plus en plus régulière de cadavres criblés de balles et abandonnés dans les rues.
La semaine dernière, le Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, Zeid Ra’ad Al-Hussein, a également attiré l’attention sur des cas de violence sexuelle, de disparitions et sur des allégations d’existence de fosses communes. En outre, Al-Hussein prévient que les violences pourraient prendre une dimension ethnique, en disant ceci : « Ceci indique que l’effondrement complet de l’ordre public est imminent et, avec les groupes d’opposition armés qui deviennent également plus actifs, et la dimension ethnique potentiellement mortelle qui commence à apparaître, tout cela aboutira inévitablement à un désastre si le rythme effréné actuel de destruction se poursuit. »
La décision du CFP est audacieuse et adresse une réponse à ces horreurs croissantes. Le Président de la Commission de l’UA Nkosazana Dlamini-Zuma et le Commissaire du CFP Smaïl Chergui ont au cours des derniers mois incité l’UA à répondre de manière plus intransigeante à la crise du Burundi - en admettant que le temps est compté si l’on souhaite éviter un surcroît de violence. Le gouvernement burundais semble surpris par cette position forte. Le ministre des Affaires étrangères Alain Nyamitwe a déclaré à l’Institut d’Études de Sécurité en novembre que la réaction de l’UA était disproportionnée.
La réponse de l’UA admet que le temps est compté si l’on souhaite éviter un surcroît de violence
Mais l’article 4(H) de la Loi constitutive de l’UA - sur laquelle le CFP fonde sa décision, et la Charte Africaine sur les Élections et la Gouvernance de 2007, sont des outils essentiels pour répondre à l’instabilité et aux conflits sur le continent. Les principaux aspects de la Charte répondent précisément au type de situation auquel le Burundi est confronté : un basculement dans l’insécurité généralisée et une instabilité si grande qu'elle menace le pays et la région. L’article 4 et la Charte sont les pierres angulaires du changement normatif qui a accompagné la transition de l’ancienne Organisation de l’Union Africaine vers l’Union africaine d’aujourd’hui ; passer du principe de non-ingérence à celui de non-indifférence.
Sur la scène internationale, le débat s’est réorienté en grande partie par nécessité sur les résultats de l’élection afin d’éviter une crise de plus grande ampleur. Ce qui s’est passé après le débat sur le mandat est très inquiétant : la désintégration de l’État de droit, la transformation vers un gouvernement qui attaque sa population et refuse d’engager un dialogue constructif avec ses détracteurs, et l’émergence d’une opposition armée qui pourrait elle aussi ne plus être engagée vers une résolution pacifique de la crise.
La semaine prochaine, l’engagement du continent envers ces principes sera mis à l’épreuve. Pour plusieurs raisons, l’Afrique du Sud est un pays qui doit être à l’avant-plan.
Premièrement, l’Afrique du Sud était un défenseur clé de la Charte Africaine sur la Démocratie et les Droits de l’Homme et de la transition vers le principe de non-indifférence. Il est maintenant possible d’aller un peu plus loin.
Deuxièmement, l’Afrique du Sud a joué un rôle de premier plan dans la médiation de la crise au Burundi et est un garant des accords de paix d’Arusha qui sous-tendent la constitution du Burundi. Elle sait ce que le Burundi a à perdre si une résolution n'est pas trouvée.
Troisièmement, l’Afrique du Sud a également joué un rôle crucial dans le développement de l’Architecture africaine de paix et de sécurité, dont le CFP est un pilier. Quatrièmement, le déploiement proposé est l’exemple d’une l’Afrique qui prend en charge ses propres problèmes et qui trouve des solutions africaines à des problèmes africains - un leitmotiv du gouvernement sud-africain et de Dlamini-Zuma.
L’Afrique du Sud a la responsabilité historique de se faire le champion d'une initiative visant à réduire les effusions de sang au Burundi
Cinquièmement, l’Afrique du Sud a déjà engagé des ressources importantes pour la paix et la stabilité dans la région des Grands Lacs à travers le déploiement de troupes de la Brigade d’Intervention de Force dans l’est de la République Démocratique du Congo (RDC). Le chaos au Burundi signifie plus de chaos en RDC, ce qui mine les objectifs de l'Afrique du Sud.
Et enfin, bien que diminuée ces dernières années, l’Afrique du Sud reste une autorité morale en matière de valeurs démocratiques, d’égalité, de droits humains et de liberté d’expression. Pour toutes ces raisons, la voix de l’Afrique du Sud sur la crise du Burundi doit être entendue haut et fort, afin de soutenir des mécanismes qui peuvent rétablir la primauté du droit et la stabilité.
Le Président sud-africain Jacob Zuma - qui a joué un rôle clé dans les pourparlers de paix au Burundi - n’a pas mentionné le pays dans son discours devant le Congrès National Africain il y a deux semaines, pas plus qu’il n’a fait de déclaration sur le projet de déploiement de l’UA. La déclaration du ministère des Relations internationales et de la Coopération du 18 décembre 2015 ne mentionne pas explicitement le projet de déploiement de troupes de l’UA, mais appelle à un « renforcement urgent et un déploiement accru par le Conseil de Paix et de Sécurité de l’UA d’observateurs de l’armée, des droits humains et de la police, » une référence aux quelques observateurs de l'UA qui ont été déployés en 2015.
L’Afrique du Sud est membre du CFP, elle prendra donc part aux discussions et à la décision relative au déploiement. Cependant le CFP fonctionne sur le consensus, et il est impossible de prédire ce que l’Afrique du Sud peut décider. Il est possible que l’Afrique du Sud soit réticente à voter en faveur du déploiement par crainte de s’aliéner d’autres présidents de l’Afrique centrale – notamment un proche allié, le Président Congolais Joseph Kabila, mais aussi Paul Kagame du Rwanda et Denis Sassou-Nguesso de la République du Congo - qui manœuvrent tous pour étendre leur mandat.
L’Afrique du Sud pourrait également être réticente à s’aliéner les pays qui ne soutiennent pas le déploiement au Burundi parce qu’ils ne souhaitent pas créer de précédent d'intervention militaire de l'UA contre la volonté d'un gouvernement. Si tel est le cas, alors – comme ce fut le cas sur la question de la Cour pénale internationale – l’Afrique du Sud aura préféré la solidarité avec les chefs d’État africains à ses principes nationaux de justice et de solidarité avec les populations africaines.
Le déploiement de l’UA est confronté à de nombreux obstacles et obtenir l’approbation d’une majorité des deux tiers des États membres de l’UA n’est pas le moindre. Même si cela semble improbable, l’Afrique du Sud a la possibilité et, beaucoup diraient, la responsabilité historique de se faire le champion d'une initiative visant à réduire les effusions de sang au Burundi
Stephanie Wolters, Chef de la division Prévention des conflits et analyses des risques, ISS